Tous les Algériens, notamment les artistes, parlent avec beaucoup de nostalgie quand ils évoquent l'ambiance culturelle des décennies 1960, 1970 et 1980. Tous regrettent cette époque où l'art et la culture, malgré le peu d'intérêt accordé par les pouvoirs publics d'alors, étaient cependant de haute facture. À la moindre évocation de cette période, on entend l'expression : «ya hasra !» qui, dans le parler algérien, exprime un profond regret pour une espèce d'âge d'or. Dans tous les domaines, les œuvres, les auteurs et les créateurs de cette ère postindépendance restent, à ce jour, comme des références. Le théâtre, la poésie, la musique, le cinéma, les arts plastiques et la littérature, en dépit des moyens dérisoires qui y sont consacrés, se distinguaient brillamment dans tous les rendez-vous internationaux. La force de ces œuvres résidait essentiellement dans la profondeur des thématiques abordées et l'harmonie du cadre esthétique qui les enveloppe. On y trouve plus de génie que d'artifice. La tragédie de la décennie 1990 et l'exil forcé des élites ont brisé cette dynamique qu'on n'arrive plus à renouveler à ce jour. Aujourd'hui, l'Etat accorde des subventions conséquentes à la création, mais la qualité de nos productions artistiques et culturelles - fort abondantes, du reste- est bien en dessous des moyens qui leurs sont consacrés. Si l'on fait l'inventaire des budgets de soutien consommés, on trouvera que des milliards de dinars ont été dépensés à cet effet. La critique impartiale et les journalistes intègres dénoncent régulièrement le recul de la valeur artistique des œuvres subventionnées dans le fond comme dans la forme. De pseudo-artistes profitent de cette aubaine pour se faire du blé sur le dos des véritables créateurs qui choisissent volontairement le silence ou la fuite. Ce constat se justifie de lui-même. Avec une énorme quantité d'œuvres ainsi produites, aucune n'a été primée ou simplement saluée lors des festivals internationaux. Il est temps de revoir les conditions d'attribution de cette précieuse aide étatique dans le sens de l'encouragement de la qualité. Faisant le parallèle avec l'économie, un collègue parle de «la fausse monnaie qui chasse la bonne». Jadis, avec infiniment moins de moyens, les artistes algériens ont rivalisé avec les grands maîtres de leur temps. Le public, autrefois très exigeant, s'est progressivement habitué à la médiocrité. Rien qu'à voir les chanteurs à succès de nos jours, on réalise qu'il y a beaucoup de fausse monnaie dans notre souk culturel. On n'a pas eu de relève à la hauteur d'El Anka, Wahbi, Fergani, El Hasnaoui, Khelifi Ahmed et, plus récemment, Chaou, Guerrouabi, Idir, Matoub ou Warda, et la liste est encore très longue. Les bons écrivains se font rares. Des scribouillards jouent aux romanciers ou s'improvisent essayistes. Le plagiat aveugle, en toutes choses, fait des ravages. Les Dib, Mammeri, Feraoun, Kateb, Djebbar, El Khalifa, Zakaria, Amrani, Mimouni, Benhadouga et Djaout, entre autres, attendent aussi une descendance digne de leur talent. Le cinéma algérien s'inspire des feuilletons moyen-orientaux de basse facture, alors, qu'il n'y a pas longtemps, il titillait les monstres sacrés du septième art européen. L'énorme héritage des Badie, Hamina, Haddad, Chouikh, Zinet, Laskri, Allouache, Rachedi, Zemmouri, Bouguermouh et Meddour n'inspire, apparemment, plus personne. Nos dramaturges, faute d'un regard critique et renouvelé sur la société algérienne contemporaine, font les clowns ou, au mieux, réchauffent d'anciennes recettes. Les Kateb, Bachtarzi, Ksentini, Touri, Kaki, Alloula, Benaissa, Mekhoukh, Medjoubi et les autres manquent tant aux passionnés du quatrième art. Dans les arts plastiques et la peinture, on guette attend aussi la naissance de nouveaux Racim, Khedda, Martinez, Issiakhem, Koreichi, Mesli, Baya, Khodja, Hellal, Arezki Larbi, Morsly, Samsom, Silem et tant d'autres encore. Oui, on a beaucoup reculé depuis le début des années 1990 à ce jour. Cette régression culturelle a eu un impact catastrophique sur tous les autres secteurs de la vie publique. Si aujourd'hui, des trabendistes notoires «colonisent» le champ politique, c'est en partie à cause de cela. Un effort colossal doit être fourni, à plusieurs niveaux, pour redresser la barre. La tutelle, les éditeurs, la critique, l'école, l'université et la presse ont, chacun, un rôle important à jouer, sans complaisance aucune, pour accomplir cette œuvre de redressement, indispensable, vitale. C'est le seul redressement qui compte. Tous les autres, dont on entend parler çà et là, sont faux et menteurs. Il serait, donc, très intéressant d'ouvrir un large débat sur la question. En somme, il y a tant de choses à faire pour relever le niveau de la production culturelle ; à commencer par la formation de qualité et le développement de la critique. K. A.