L'approche de Hamrouche dans son analyse de la situation du pays est mue par une perception fataliste des choses. Il n'existe en Algérie aucune force capable de changer le système en dehors de l'institution militaire. Mouloud Hamrouche qui se dit enfant du système et fils de l'institution militaire depuis l'ALN, ne répond pas cependant à la question lancinante que se posent les Algériens. L'armée est-elle prête à changer le système et à mettre le pays sur la voie de la démocratie participative qui consacre la citoyenneté, l'Etat de droit, la séparation des pouvoirs, l'indépendance de la justice et l'Etat social ? Lors de sa conférence de presse de jeudi dernier, l'ancien chef du gouvernement ne se propose pas comme alternative, rejette toute action de rue et semble appeler à des négociations entre toutes les composantes du système, de l'opposition et de la société pour renouveler un compromis sur de nouvelles bases tendant vers de nouvelles perspectives. «Il n'y a aucune chance d'instaurer un système démocratique sans l'aval et le soutien actif de l'armée», conclut Hamrouche. Ce verdict sans appel est un constat d'échec de toute la dynamique engagée depuis 1989. Pour Hamrouche la seule institution structurée, disciplinée et décisive est l'institution militaire. «Quand on parle de l'armée, on parle d'un bloc et nous en avons souvent l'image d'une forteresse (...). En fin de parcours, cette forteresse est constituée d'hommes et de femmes, d'Algériens et d'Algériennes», explique-t-il, ajoutant, «nous avons besoin de consensus et l'institution (ANP) participe dans l'élaboration des mécanismes nécessaires Seule l'institution de l'armée peut jouer un rôle après qu'on ait paralysé toutes les institutions». Hamrouche ne dit pas qui a paralysé les autres institutions, qui a laminé l'opposition et annihilé les contre-pouvoirs naissants. Le fils du système réformateur qui refuse de faire le procès de quiconque, refuse de remuer le passé et de situer clairement les responsabilités du blocage et de l'impasse où se trouvent et le système et le pays, n'explique pas non plus comment l'armée peut jouer ce rôle salvateur de la nation, d'autant plus qu'il n'appelle par à un coup de force. «Je ne demande pas un coup d'Etat ou que l'armée empêche le Président (Bouteflika) de se représenter mais je l'appelle à sauver le pays de l'impasse», lance-t-il. L'ancien chef de gouvernement pense également que cette institution n'a pas à s'immiscer dans les conflits politiques. «J'appelle à la discipline et à l'application des ordres quelle que soit la situation». «Je n'appelle pas l'armée à la désobéissance ou à la dissension», insiste-t-il. A travers les déclarations de Hamrouche, aussi bien dans sa déclaration préliminaire que dans ses réponses aux journalistes, l'observateur est dérouté, ne sachant pas si Hamrouche dit les choses à demi-mot où l'essentiel est dans le non-dit. Pour Hamrouche, le système est en fin de cycle et l'Algérie est passée de la crise du système à la crise dans le système. A ce titre, a-t-il déclaré clairement, «le système doit tomber mais pas dans le chaos». «Je ne veux pas un changement avec les méthodes violentes, mais je plaide pour un changement organisé et calme». Il précise aussi : «Je refuse de jouer le rôle de médiateur», ajoutant que «le problème réside dans le système dans sa globalité», estimant que «ce problème a toujours existé», et qu'il est temps d'en finir avec ce système. C'est pourquoi il faut se mobiliser, suggère-t-il, derrière l'institution militaire dans la mesure où «l'élection n'a jamais abouti au changement», affirme-t-il. Sans se prononcer clairement sur le 4e mandat de Bouteflika, Hamrouche a toutefois précisé qu'avec ou sans le 4e mandat, le blocage et l'impasse sont là et menacent le pays. il a avoué ne pas détenir «d'éléments suffisants pour comprendre les raisons qui ont mené le système à opter pour ce choix», mais a appelé à faire sortir le pays et le sauver de la situation de blocage tout en mettant en garde contre les retombées et les conséquences d'une volonté de maintenir sous perfusion un système en fin de règne non sans s'interroger sur ce que fera Bouteflika après le 17 avril et sur sa capacité à continuer à gouverner le pays. Quelle alternative ? Hamrouche a raison de dire que les responsabilités de cette situation sont partagées par tous : système, opposition et société. Qui a instauré ce système ? Tous les observateurs et historiens s'accordent à dire que techniquement c'est l'armée qui a formulé et mis en place ce système depuis l'opposition de l'état-major de l'ALN au Gpra à partir de 1958. Au-delà des luttes de chapelle pour le contrôle du pouvoir, des divergences politiques et idéologiques se sont manifestées et exprimées dès les premiers contacts entre le FLN et les autorités coloniales. Les autorités civiles incarnées par le Gpra. Le fameux appel de De Gaulle à «la paix des braves» suivi en 1959 d'un appel au cessez-le-feu et à l'autodétermination, a suscité l'enthousiasme du Gpra et la méfiance de l'EMG. Si les tensions entre autorités civiles et militaires ont commencé avant cette date, les manœuvres françaises semblent avoir réussi à diviser le camp algérien. Ces divisions se sont aggravées lors des négociations d'Evian menées essentiellement par le Gpra accusé par l'EMG d'hypothéquer la souveraineté nationale en faisant des concessions. A l'intérieur du pays en guerre, ce sont les militaires qui avaient l'ascendant sur les populations majoritairement rurales et proches des unités combattantes. Seules les versions des faits de l'état-major de l'ALN étaient de mise aux yeux des populations. Le refus des autorités françaises à négocier directement avec les cinq dirigeants emprisonnés (Ben Bella, Ait Ahmed, Khider, Boudiaf et Bitat), a exacerbé les luttes internes au sein du Cnra et du CCE qui se traduisent par des conflits entre Gpra et EMG. Face à ce déchirement, Ben Bella, Khider et Bitat soutiennent l'EMG contre le Gpra, d'où la légitimité du pouvoir militaire et le désaveu du pouvoir civil assimilé à la compromission. La suite des évènements est connue. Ben Bella est imposé par l'état-major aux détriments d'un Cnra sans pouvoir et d'un Gpra déliquescent. Après le coup d'Etat de 1965, l'armée prend ouvertement le pouvoir et donne forme au système en place à ce jour. Pendant près de trente ans, le système va formaté la société et les mentalités selon son moule et instauré une culture de peur et de résignation en vigueur à ce jour et ce malgré les évènements d'octobre 1988 et les années de braise qui ont failli saper les fondements de l'Etat national. L'ouverture démocratique de 1989 a produit une dualité de fait, entre le système incarné par le FLN et ses sous-produits et le FIS et ses alliés objectifs. Les Algériens n'avaient pas d'autres choix : où le système ou le chaos. C'est ce dernier qui l'a emporté parce que l'opposition dite démocratique n'a pas mesuré l'importance du moment pour se présenter sous une seule bannière et avec une seule liste et un seul programme : la fin du système. Vingt-quatre ans après la première crise du système, rien n'a changé. L'opposition a fait le jeu du système en entretenant ses divisions, ses querelles et ses clivages absurdes. Le retour au processus électoral avec la présidentielle de 1995 et les législatives de 1997, a confirmé l'indigence de l'opposition, sa faiblesse et son infantilisme chronique. La fraude massive lors des législatives 1997, n'a pas été organisée contre les candidats de l'opposition mais contre ceux du FLN qui, malgré la destitution de Mehri n'était pas encore bien apprivoisé pour lui confié un rôle politique de premier plan tant au sein du Parlement qu'au sein de l'exécutif. Encore une fois, l'opposition s'est présentée aux élections en rangs dispersés, face à un système en crise en passe de se reconstituer, de colmater ses brèches et renouveler ses clientèles politiques et sociales. En parallèle, la société n'a pas réussi à construire ou à reconstruire ses instruments de résistance et de contre- pouvoir en raison de son éclatement et de sa dislocation. Les élites nationales se sont dispersées après la crise économique des années quatre-vingts qui a laminé la classe moyenne et les violences des années quatre-vingt-dix qui ont ouvert la voie à l'exil. Les nouvelles élites intellectuelles sont souvent liées à des intérêts de groupes ou, dans le meilleur des cas, ont opté pour la neutralité et la passivité, refusant de jouer le rôle historique qui leur est dévolu. Le constat de Hamrouche est amer. La scène algérienne ressemble à un printemps factice paré de fleurs en plastique qui risque d'exploser à tout moment sans pour autant offrir d'alternative fiable et viable. Le verdict fatal de Hamrouche sur le rôle de l'institution militaire est aussi vrai qu'incertain. A moins que Hamrouche soit au fait du combustible des fumées papales, c'est l'attentisme qui est de mise. A. G.