Si jusqu'ici la filière lait a fait l'objet d'une attention toute particulière des pouvoirs publics dans le but de booster la production de lait en raison d'une facture d'importation sans cesse croissante ces dernières années pour cause d'augmentation des cours sur le marché international, il n'en demeure pas moins qu'il va falloir plus d'initiatives dans ce sens comme «il s'agira aussi de revoir quelque peu la stratégie en place», estiment des spécialistes en la matière. C'est d'autant plus souhaitable lorsqu'on sait que des aides accordées jusqu'ici par l'Etat à la filière ont concerné plus l'aval que l'amont de la filière lait. C'est ce qu'ont souvent souligné des membres du Conseil interprofessionnel du lait (CIL). Ils l'ont dit à maintes occasions : «L'essentiel des subventions n'est pas injecté dans les aides à la production de lait cru.» En effet, «dans les 46 milliards de dinars de subventions accordées à la filière lait, 70% vont à la poudre de lait», argue-t-on du côté du CIL. En outre au sein du CIL on considère que les producteurs sont insuffisamment aidés par l'Etat. «Pas d'accompagnement bancaire, en dehors du Rfig, pour leurs investissements dans la production, l'achat de matériel moderne, et absence d'exonérations fiscale et parafiscale», indique-t-on du côté du CIL. Dans un autre registre, et à l'adresse de ceux qui croient que pour augmenter la production de lait cru il faut importer plus de vaches laitières, les professionnels jugent qu'«il ne suffit pas d'importer des vaches pour augmenter la production. Il faut par contre assurer une bonne alimentation des vaches si l'on veut qu'elles donnent de bon rendement». Et d'ajouter : «Pour assurer le ratio alimentaire indispensable aux vaches laitières, il faut que les éleveurs disposent de quantités suffisantes de fourrage. Ce qui n'est pas le cas dans beaucoup de nos étables au point où l'élevage en hors sol est devenu une pratique qui s'est généralisée malheureusement.» «A quoi ça sert d'importer des vaches laitières si elles ne sont pas assez nourries et finissent à l'abattoir ?», nous a-t-on fait remarquer. Toujours dans ce même ordre d'idées on apprendra qu'une grande partie du cheptel souffre de malnutrition. En clair, dans de nombreuses étables la bonne conduite de l'élevage bovin laitier fait grandement défaut au point où les rendements par vache laitière sont de plus en plus insignifiants. Et pour preuve, «les vaches importées, suffisamment nourries peuvent donner jusqu'à 20 litres de lait cru par jour. Dans le cas contraire leur production ne peut dépasse les 12 litres/jour. Et quand la traite stagne autour des 10 litres/jours cela veut dire que la vache n'est plus rentable et du coup il ne restera plus à l'éleveur que de la cédée à l'abattage», nous ont expliqué des professionnels en la matière. C'est pourquoi au niveau de l'Institut des techniques d'élevages (Itev) on reste convaincus que si l'on veut que notre production de lait cru augmente deux conditions majeures sont à remplir : accroître nos capacités fourragères et vulgariser les techniques d'élevage chez les producteurs de lait cru. Pour la première condition certains observateurs indiquent que la résorption de la jachère, évaluée à plus de 3 millions d'hectares, est aussi de nature à contribuer au développement de la production fourragère. Une perspective qui commence à connaître un début d'exécution sur le terrain. Preuve en est, il y a seulement trois ans, l'Algérie ne comptait que 20 hectares cultivés de maïs fourrager, considéré comme un aliment incontournable dans l'élevage des vaches. Aujourd'hui, la culture de cet aliment s'est développée à une vitesse incroyable pour atteindre les 600 ha. «Ce chiffre est appelé à se développer pour dépasser les 5 000 ha en 2012 et arriver à 300 000 ha de maïs implanté à l'horizon 2015», souligne le ministère de l'Agriculture et du Développement rural (Madr). Quant à la seconde condition tout semble croire que le volet de la généralisation de la bonne conduite d'élevage a été sérieusement pris en charge par les pouvoirs publics. Le projet Alban en est la preuve (lire à ce sujet papier ci contre). Autre donne qui entrave l'essor de la production de lait cru : la faiblesse de sa collecte et cela malgré les primes accordées par les pouvoirs publics aux fins de booster la collecte. Les derniers chiffres en la matière donnée par le service statistiques et production auprès du Madr sont des plus éloquents quant à l'écart entre la production nationale de lait cru et sa collecte. Qu'on en juge : durant la campagne 2011-2012 il a été collecté 687,9 millions de litres pour une production qui a atteint les 3,1 milliards de litres de lait. La campagne 2012-213 s'est soldée par une collecte de 701 millions de litres pour une production de 3,4 milliards de litres de lait cru. Des résultats qui démontrent qu'il existe un sérieux problème de déperdition de grandes quantités de lait cru produit dans les fermes. «Ce constat pourrait changer à condition que soit mis en place une politique efficiente de ramassage de ce produit de première nécessité», rappellent souvent les rapports le CIL. Autre état des lieux : on a chez nous de nombreux petits élevages, en moyenne 5 vaches par éleveur. Un facteur structurel qui, selon les experts, s'oppose à l'augmentation conséquente de la production de lait. Une croissance de la production qui reste à notre portée. C'est ce qu'avancent des professionnels dans la filière lait. Il suffirait selon ces derniers d'encourager les industriels et les transformateurs à investir dans de grandes fermes laitières de 500 à 1 000 vaches, voire 10 000 vaches. Des projets existent dans ce sens «mais qui n'arrivent pas à se concrétiser du fait que les demandes de terres en concession afin d'assurer les fourrages à leur cheptel n'obtiennent pas de réponse le plus souvent», nous a fait savoir un membre du CIL. Toutefois des projets ont pu avancer. C'est le cas de l'initiative du groupe laitier Soummam à Constantine. «L'entreprise a signé une convention avec un groupe d'éleveurs de la région, impliquant 20 000 à 30 000 vaches, et des céréaliers dans un programme de production intensive de lait cru qui appelle à l'utilisation des terres en jachère et qui est destiné à alimenter les usines de transformation de lait de la société privée», nous a confié à l'époque le Dr Haroun,membre du Comité interprofessionnel du lait. «Nous avons un potentiel en friche : 40% des terres agricoles sont en jachère, elles sont inutilisées.Pourquoi ne pas les affecter pour les grandes exploitations laitières notamment ?», s'interroge Haroun. Toujours au sujet de l'investissement dans la filière, il est utile de rappeler que l'Algérie s'apprête à accueillir un grand projet d'investissement dans le domaine de la production laitière. Ce projet, présenté par des investisseurs irlandais et britanniques, prévoit la création de 12 fermes de 3 000 vaches laitières chacune, réparties sur une superficie de 120 000 ha, et le développement de la filière fourragère. «L'Algérie a donné son accord de principe pour ce projet qui sera réalisé selon la règle 51-49 régissant l'investissement», a fait savoir le ministre du secteur dans une déclaration à la presse. Selon ce dernier, le projet sera implanté entre El Ménéa et Ghardaïa et 5 000 ha lui on été réservés pour son lancement prochain dans l'attente de lui accorer d'autres superficie. C'est pour dire, enfin, que c'est là une orientation tout à fait louable compte tenu de l'enjeu d'en finir au plus vite avec l'importation en grande quantité de poudre de lait. C'est en tout cas primordial. Z. A.