Il semble relever de la plus grande normalité que des antagonismes puissent exister entre des gens des arts et de la culture et les responsables administratifs qui seraient à la tête d'établissements publics représentant la tutelle. Pour la simple raison que tout artiste qui se respecte et respecte l'art auquel il se consacre corps et âme et auquel il consacre son temps, sa santé, son confort social, aspire par nature à une forme de liberté, sa liberté. D'ailleurs le mot bohème n'est-il pas typique de la notion d'art et des conditions de vie d'abord des artistes. Au milieu du 18e siècle Balzac disait : «La bohème n'a rien et vit de tout ce qu'elle a. L'espérance est sa religion, la foi en soi-même est son code, la charité passe pour être son budget. Tout bohème est plus grand que son malheur, au dessous de la fortune, mais au dessus du destin.» En ces temps, l'artiste était considéré comme un personnage vivant en marge de la société. Ce n'est certes plus le cas, quoi que les génies, et il en existe encore aujourd'hui à travers le monde, perpétuent encore ce mode de vie. En Algérie, les gens de l'art étaient effectivement craints parce qu'ils ne pouvaient souffrir une caporalisation et encore moins un embrigadement politique, à moins que celle-ci aille dans le sens de ce à quoi ils aspirent, et ces aspirations n'ont jamais eu rien d'individuel et relèvent par voie de conséquence de l'intérêt collectif, celui de la société. Leur devise se résumait en deux mots latins «carpe diem». Ceux qui ont fait ce choix ne pouvaient qu'être à la marge. Ils seront bien entendu nanisés quelques années après l'indépendance pour une raison ou une autre, et connaitront des fortunes diverses selon qu'ils soient rentrés dans les rangs... une solution à une question d'alimentaire, expatriés et éteints dans l'oubli. Il en existera pourtant des vernis, ceux-là même qui ont suivi le sens du vent, se muant en thuriféraires éclairés de mentors qui n'ont rien à voir avec les arts. Et c'est, à l'exception de quelques artistes qui se comptent sur les doigts d'une main pour chaque type d'art, qu'il s'agisse de peinture, sculpture, cinéma, théâtre ou musique, cette domestication, cette docilité transmises par mécanismes pavloviens aux générations, dont seuls quelques rares talents s'expriment très parcimonieusement et pour cause des contraintes administratives délibérées que ne rencontrent pas forcément ceux qui montrent patte blanche, réfléchissent sur injonction et travaillent sur commande. Preuve en est fournie aujourd'hui avec une ministre de la Culture qui ne souffre pas la contradiction d'où qu'elle vienne et dont le département qu'elle dirige fait preuve des plus grandes largesses au profit d'une appréciable partie d'artistes, comédiens, musiciens, lesquels très souvent ont l'imagination au ras-des-pâquerettes, mais des poches dignes du tonneau des Danaïdes. Les représentants des médias qui ont l'heur de résider dans la wilaya de Constantine laquelle, est-il besoin de le rappeler, sera en 2015 capitale de la culture arabe, connaissent désormais la nature des coups de gueule de la ministre. Mais il suffit simplement de ne pas la contrarier pour éviter ses remontrances et, pourquoi pas, figurer dans ses petits papiers. A. L.