«Quand le despotisme est dans les lois, la liberté se trouve dans les moeurs et vice versa.» Honoré de Balzac "(La Peau de chagrin)" «Il faut dire que l´Algérien n´a pas eu beaucoup de moments de liberté: à peine sorti du joug colonial, il passe sous celui du parti unique qui va commencer, petit à petit, sous divers prétextes, à lui grignoter les petits espaces de liberté qu´il avait cru avoir conquis. Je t´ai parlé des salles du cinéma, parce que c´est l´exemple le plus simple et le plus flagrant. Le cinéma était un loisir à la portée de toutes les bourses et de toutes les intelligences. On pouvait s´y défouler, s´instruire ou faire les deux à la fois. Mais, c´était surtout le lieu géométrique de toutes les rencontres. Et il y avait une activité économique annexe qui fleurissait: avant d´entrer dans la salle, on pouvait se rendre dans un des ces magnifiques cafés qui étalaient leurs chaises sur des trottoirs larges comme des avenues et deviser sur le temps qu´il fait, la politique, le travail, les études...Et il y avait un esprit de convivialité qu´on ne retrouve plus, hélas, à présent: les familles, comme les couples d´amoureux se côtoyaient à l´entrée et c´était dans la salle qu´on pouvait voir la différence: les familles s´installaient sur les sièges des premières rangées tandis que les amoureux se réfugiaient dans les coins obscurs du fond, là où ils pouvaient exprimer, à l´abri des regards indiscrets, les feux de leur passion. Ah! je ne pourrai pas te dire combien d´amours clandestins ont abrité ces havres de bonheur et combien de jeunes débutants y avaient fait «des brouillons de leurs baisers». Car, à l´extérieur, la morale était stricte: la société, par quelques-unes de ses institutions, veillait à ce que les apparences demeurent. Rien que les apparences. Tout cela pour te dire que les cinémas, loin d´être des lieux de perdition étaient des soupapes bienfaisantes... Mais cela n´allait pas durer longtemps, les salles de cinéma, après avoir été gérées par des comités de gestion dans les conditions de désordre, de volontarisme et d´opportunisme que tu imagines, ont été refilées au Centre algérien du cinéma créé en 1964 pour poser les fondements du cinéma algérien. Dans la foulée, un institut du cinéma a vu le jour, qui a formé une soixantaine de techniciens et de réalisateurs pour le cinéma et la télévision. Puis, enfin fut créée la Cinémathèque, le musée du cinéma qui, avec le TNA, va former un duo où vont se rencontrer tous les gens attachés à la culture. La Cinémathèque va devenir le rendez-vous de grands réalisateurs du monde entier: l´Ouarsenis (Le Français), le Djurdjura puis le Sierra-Maestra et le Mouggar vont lui emboîter le pas comme salles d´Art et d´Essai. Des débats interminables et passionnés autour de chefs-d´oeuvre du 7e Art attireront les artistes et les intellectuels de tous les secteurs. Des films de toutes les nationalités, qui ne sont pas passés entre les ciseaux de la censure, vont agrémenter les après-midi et les soirées de l´Algérois. Et la Cinémathèque était située en plein centre, à un endroit stratégique, entre les petits restaurants de la rue Tanger et les cafés de la Place de l´Emir, qui offraient généreusement leurs terrasses aux cinéphiles endurcis: autour d´une bière ou d´un café, les jeunes patientaient tout en refaisant le monde avant d´aller se jeter dans le grand trou illuminé et décoré de dizaines d´affiches. On pouvait voir aussi bien «les Rapaces» d´Eric Voin Stroheim que la dernière production du cinéma cubain... Ensuite, après la séance et les débats dans la salle, les discussions allaient continuer à fleurir sur ces hospitalières terrasses à l´air frais de la Méditerranée.