Jeanne-Marie Le Pen, euh... pardon, Marine Le Pen traverse en ce moment une période de turbulences avec son propre géniteur, celui-là même qui l'a intronisée à la tête du parti qu'il a fondé sur les débris mémoriels de la présence française en Algérie. Vieux singe à qui on n'apprend pas à faire des grimaces, l'ancien parachutiste tortionnaire de la Bataille d'Alger avait toutes les raisons de ne pas faire totalement confiance à sa «rejetonne». Et il a eu raison de rester sur ses gardes, car de son parcours de manipulateur de gégène, il a retenu que rares sont les langues qui ne puissent être déliées. Syllogisme évident, sa fille a une langue, donc Marine peut parler sans gégène, et sans gégène elle peut parler de lui. Ce qu'elle vient de faire dans un geste d'autodéfense immunitaire de la fausse réputation qu'elle s'est attelée à construire pour le legs partisan tombé entre ses mains d'héritière. Il faut savoir qu'au Front national, tout se gère en famille, en vertu d'un pacte de patrimonialité politique et génétique inventé et imposé par le patriarche. Mais, il faut le redire, la confiance n'est pas son fort et avant de passer la main, il a imposé une clause statutaire faisant de lui le président honorifique à vie du parti d'extrême droite. À ce titre, il se distinguera par des rappels fréquents aux fondamentaux de sa «boutique», essentiellement les Arabes, Algériens suivis des autres maghrébins en tête, l'islam et les musulmans en général, enfin les Juifs contre lesquels il vient de lancer une philippique en promettant une prochaine «fournée» qui inclurait le chanteur Patrick Bruel. Une «fournée» ? Il n'en fallait pas plus pour faire bondir le lobby le plus puissant de France. Même toi ma fille : c'est à peu près ce qu'a dit le vieil homme, à l'image d'un César reconnaissant son fils parmi ses assassins. C'est que Marine connait les outrances verbales de son père et le tort qu'elles causent au parti, les ennemis qu'elles lui créent au sein de milieux puissants par leur influence sur l'opinion française. Aussi, elle a décidé de faire ami-ami avec les Juifs et de concentrer l'essentiel de ses attaques xénophobes sur les Algériens (accessoirement, les autres Arabes et Maghrébins) et l'islam. L'ancien poujadiste ne peut se résoudre à entrer dans le moule confectionné par sa fille. Eh oui, chassez le naturel, il revient au galop et l'homme tient à son registre de commerce. Le clash entre le père et la fille était devenu inévitable et c'est un mot, un seul, qui l'a fait éclater : fournée, en allusion à four crématoire. Marine prend publiquement ses distances avec son père qu'elle jette en pâture à ses militants et aux Français. La dispute –c'est une habitude chez les Le Pen- est portée sur la place publique et le vieil homme rappelle à sa fille, dans une lettre ouverte médiatisée, qu'elle-même a été mise en cause pour avoir dénoncé l'occupation des rues par les prières des...musulmans, bien sûr. Sous-entendait-il que lui, son père, n'a pas jugé islamophobes ni racistes ses propos visant pourtant une communauté bien précise ? Un tel déballage de linge sale ne pouvait plus mal tomber pour un parti qui a le vent en poupe, grisé qu'il est par sa victoire aux élections européennes du 25 mai dernier. Un malheur n'arrivant jamais seuil, le site Médiapart révèle de graves magouilles financières auxquelles s'intéresse la justice, via les fonds du parti et les comptes de campagne, impliquant et la fille et le père. Tout ça commençait à devenir mauvais pour la nouvelle image de marque du parti. Il faut un dérivatif. Gilbert Collard, célèbre avocat élevé par Marine Le Pen au rang d'intellectuel organique et de service de son parti, trouve immédiatement une parade contrefeu : un collectif «Non au défilé des troupes algériennes le 14 juillet 2014» sera créé pour s'opposer à l'invitation de l'Algérie aux cérémonies militaires du 14 juillet. Beaucoup de bruit pour peu de chose, juste une présence symbolique, pour la première fois, de trois militaires algériens à une animation sur la place de la Concorde. Mais quelle aubaine ! Haro sur l'Algérie. Les méthodes du vieux Le Pen sont bonnes tant qu'il s'agit d'entretenir l'anathème contre la colonie perdue. Faut juste pas toucher aux Juifs. Ah, cette obsession algérienne de la famille Le Pen et consorts ! Prompts à souiller la mémoire des dizaines de milliers d'Algériens morts pour la France, mais bien silencieux sur les nombreux, luxueux et coûteux biens mal acquis à Paris et dans l'Hexagone par les nombreux corrompus et détourneurs de fonds publics d'ici et qui y disposent également de comptes bancaires qu'on imagine très volumineux. On sait que «l'argent n'a pas d'odeur» depuis l'empereur Vespasien, mais serait-ce trop demander à cette famille de voir un peu plus loin que les vespasiennes de ses miasmes nostalgiques d'une époque révolue. Ou alors, les Algériens sont-ils les bienvenus en France dès lors qu'ils arrivent avec des fortunes colossales amassées grâce à la corruption ? Si le FN, inconsolable de l'indépendance algérienne, veut continuer à se défouler sur ce pays perdu, il pourrait par exemple dénoncer le laxisme des instances de surveillance financières qui se montrent peu regardantes sur la provenance et l'origine de ces fonds. Mais le FN n'est pas le seul à se taire sur ce scandale. A. S.