Seul contre tous. C'est ainsi que l'on peut résumer la posture dans laquelle se trouve aujourd'hui le président du Yémen, Abd-Rabbo Mansour Hadi, qui a remplacé le chef d'Etat déchu, Abdellah Ali Saleh, chassé du pouvoir après plusieurs mois de manifestations populaires à Sanaa fin 2011. Touchée par la vague des «révolutions arabes», Sanaa s'engouffre de plus en plus dans la crise et Adb-Rabbo ne sait plus s'il doit consacrer ses effort pour lutter contre les autonomistes zaidites (chiites) dans le Nord-Ouest, contre les scissionnistes sudistes à Aden ou contre la branche locale d'Al-Qaïda dans la péninsule arabique (Aqpa) qui a profité de l'instabilité politique pour étendre son influence. Après avoir réussi à réunir autour de lui l'ensemble des acteurs politiques et tribaux au sein d'une même assemblée pour parachever le processus de transition dans le pays, l'actuel Président a été surpris par une recrudescence des violences terroristes d'Al-Qaïda qui a lancé plusieurs attaques sur des positions stratégiques de l'armée, tuant des officiers de haut rang au sein des services de sécurité. Même si, de temps à autre, les drones américains causent des pertes à la nébuleuse islamiste, cela ne suffit pas pour endiguer la déferlante djihadiste qui embrase aussi bien le Yémen que les autres pays de la région. Issu du Yémen du Sud, Abd-Rabbo Hadi a affiché une ferme volonté de lutter contre tous les germes de divisions et d'adopter une politique économique et sociale égalitaire. Trois ans après, le chaos s'installe progressivement dans le pays, dans la quasi-indifférence totale de la communauté internationale qui s'est déjà illustrée par sa lâcheté et son impartialité à considérer la gravité de la crise interne et multidimensionnelle yéménite. Depuis fin 2004, la minorité chiite zaidite, ou les Houthis, dans le nord-ouest du Yémen, ont enclenché une rébellion armée pour réclamer leur droit au développement. L'ancien président déchu, Ali Abdellah Saleh, a préféré apporter une solution armée aux revendications des Houthis, les poussant à radicaliser leur mouvement de rébellion. Appuyé par le principal financier du terrorisme international, l'Arabie saoudite, l'ancien Président a accusé l'Iran de soutenir les rebelles zaïdites avec l'intention de semer l'anarchie et d'étendre son influence dans la région. La suite des évènements qui secouent aujourd'hui la Syrie et l'Irak et la révolte réprimée de la majorité chiite au Bahreïn, largement relayées par les médias occidentaux, ennemis jurés de Téhéran, ont isolé les Zaïdites qui ont autoproclamé l'autonomie de leur région, après 2011, ayant pour capitale la grande ville de Saâda. La semaine dernière, alors que toute la planète est préoccupée par la Coupe du Monde au Brésil et la situation chaotique en Irak et en Syrie, les rebelles chiites ont décidé de quitter leurs positions à Saâda pour avancer sur Sanaa. Officiellement, les Zaïdites auraient lancé leur opération armée contre les troupes régulières dans le but d'étendre leur influence, en perspective de la mise en œuvre du projet de création d'un Etat fédéral, lancé dès l'arrivée du nouveau Président au pouvoir. Par ailleurs, dans le Nord-Est, des affrontements meurtriers ont opposé des groupes armés à la frontière saoudienne, faisant une dizaine de morts, ont rapporté les médias. Deux groupes armés se sont affrontés dans la province de Al-Jawf, au Nord-Est, ouvrant un nouveau front de violences auxquelles de fidèles partisans de l'ancien Président auraient pris part, selon des sources locales. Ces combats ont opposé des rebelles chiites et des tribus fidèles au parti Al-Islah qui a été soutenu par la 115e brigade de l'armée. Dans le Yémen du Sud, les partisans d'un retour à l'avant période d'unification des deux Yémen en 1990 ont aussi saisi l'occasion de la crise qui a balayé l'ancien régime de Sanaa pour revenir à la charge. De nombreuses manifestations de rues ont été organisées par les leaders séparatistes du mouvement indépendantiste sudiste, dont certains sont carrément accusés de collision avec Al-Qaïda pour renverser le régime de Sanaa, même s'ils ne sont pas du même abord idéologique que les éléments d'Aqpa. Au Yémen, où les tribus sont plus influentes que tous les mouvements politiques réunis, les terroristes d'Al-Qaïda ont su exploiter cette donne pour rallier à leur cause les chefs de tribus opposés à la politique exclusive de Sanaa. Selon les analystes, dont les thèses pourraient être remises en cause par l'accélération des évènements en Irak et en Syrie, la menace djihadiste pèse moins sur l'unité du Yémen que le mouvement séparatiste sudiste et zaïdite. L'avertissement du Conseil de sécurité de l'ONU de prendre des sanctions ciblées contre tous ceux qui entravent le processus de transition au Yémen ne prémunit en rien Abd-Rabbo Mansour Hadi contre un retour du pays à l'instabilité. Car, la donne humanitaire joue aussi son rôle dans la sortie de crise politique et sécuritaire. Si les mouvements djihadistes arrivent à étendre leur influence dans certains villages et provinces, c'est en raison de la pauvreté galopante dans ce pays où plus de 10 millions de personnes, soit 44% de la population totale selon l'ONU, souffrent de malnutrition et accuse le pouvoir de Sanaa de marginaliser les populations isolées. L. M.