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Yémen : va-t-on vers une guerre entre chiites et sunnites ? Les affrontements ont fait des dizaines de morts à la veille du lancement du dialogue national
Le Yémen est à la croisée des chemins, près d'un an après le départ forcé de l'ancien président Ali Abdallah Saleh du pouvoir, qu'il a occupé pendant 32 ans. Les autorités de transition de Sanaa sont confrontées à un véritable dilemme à quelques semaines du lancement du dialogue national, dans le cadre de l'accord signé suite au départ de Saleh après une violente contestation populaire, en 2011. Et pour cause, le gouvernement de transition doit, non seulement, prendre compte le risque de sécession du Yémen du sud, mais aussi les rivalités ethnico-religieuses qui minent l'avenir de ce pays du sud de la péninsule arabique, l'un des plus pauvre de la région. Si au Yémen il existe un semblant d'Etat, avec toutes ses institutions politiques, économiques, religieuses et culturelles, la gestion du pays demeure tribale. La nomination des responsables politiques et des chefs militaires obéit à cette logique tribale, qui était d'ailleurs à l'origine du refus d'Ali Abdallah Saleh de céder à la pression populaire durant des mois. Le tribalisme est aussi à la source de la multiplication, depuis des années, des rébellions, aussi bien dans le nord que dans le sud du pays. Le clan au pouvoir n'a pas laissé le choix à l'expression pacifique des Yéménites, qui n'ont pas cessé de crier à la marginalisation économique et sociale durant des décennies. Mais derrière cette contestation socio-économique, se cache aussi une guerre idéologique entre chiites et sunnites qui se sont engagés dans une violente bataille pour le contrôle du pouvoir à Sanaa. Le départ d'Ali Abdallah Saleh constitue une nouvelle occasion pour la résurgence de ce conflit ethnico-religieux au Yémen. A l'approche de la grande rencontre, prévue pour cet automne, la tension est montée d'un cran. A la veille du lancement du dialogue national, auquel sont également invités les séparatistes sudistes, le jeu d'influence a viré à l'affrontement armé. C'est dans le Nord que les violences armées commencent à prendre l'allure d'une guerre civile entre les Zaïdites, d'obédience chiite, et les salafistes sunnites. Les embuscades, les affrontements directs et les attaques ciblées se sont en fait multipliés ces derniers jours dans le Nord-Ouest entre ces deux communautés. Les violences ont touché la province de Hajja, mais aussi la tribu des Waela dans la province de Saada. Ces affrontements ont débuté en décembre dernier, suite à l'attaque par des Houthis (chiites Zaïdites) d'une école au sud de Saada, contrôlée par les prosélytes salafistes. Les Houthis étaient, depuis 2004, en guerre contre le gouvernement du président déchu, Saleh, qui avait réussi à signer un accord de paix en février 2010. La rébellion Zaïdite a fait des centaines de morts des deux côtés. Ali Abdallah Saleh s'était engagé à corriger les erreurs du passé et à accorder une meilleure place au développement économique et social de cette minorité implantée dans le nord-ouest du Yémen. Son départ, un an plus tard, a faussé tous les calculs mais, sans perdre de temps, les Zaïdites ont tenté de reprendre le terrain perdu et de rasseoir leur mainmise sur des territoires qu'ils réclamaient depuis des décennies. La main de l'Arabie saoudite ! Les affrontements entre sunnites et chiites dans le nord-ouest du Yémen sont loin d'être un simple conflit entre deux groupes ethnico-religieux. L'enjeu de ces violences dépasse le contexte national. Il engage l'avenir de l'ensemble de la région, où l'Arabie saoudite et l'Iran s'affrontent, dans une guerre des tranchées, pour étendre de leur influence. La montée du courant salafiste au Yémen, où Al-Qaïda a gagné du terrain depuis deux ans, a été favorisée par Ryadh qui avait intervenu militairement contre les Houthis dans le nord-frontalier pour porter main forte à l'ex-président dans sa guerre contre les Zaïdites, qui réclamaient uniquement plus de justice sociale et la fin de la marginalisation pour causes de différences religieuses. L'Arabie saoudite, promotrice du wahhabisme, qui cherche à imposer une vision radicale et obscurantiste de l'Islam, finance et soutient discrètement les courants salafistes à travers l'ensemble des pays arabes, en Europe occidentale et en Amérique du nord. Mais, dans sa guerre froide contre l'Iran, ennemi numéro un d'Israël, elle bénéficie de l'appui diplomatique des Etats-Unis qui profitent, en contrepartie, de son pétrole et de sa position géostratégique pour ses bases militaires. Il faut rappeler, au passage, que le Yémen est un pays à majorité sunnite. L'Arabie saoudite a donc intérêt à combattre l'influence grandissante de son ennemi iranien, accusé par ailleurs de soutien au Hezbollah libanais et au Hamas palestinien dans la bande de Ghaza. Pour le cas du Yémen, les autorités de transition de Sanaa devraient prendre au sérieux les revendications légitimes des Zaïdites. A l'occasion du dialogue national, qui est une chance de sortie de la crise politique, les Yéménites n'ont pas d'autres choix que de jouer la carte de l'union plutôt que celle de l'exclusion dans la formation d'un nouveau gouvernement. Car, ignorer les violences entre sunnites et chiites dans le Nord-Ouest pourrait conduire à une guerre qui risque de durer longtemps, pendant qu'au Yémen du sud les germes de la sécession gagnent du terrain avec de plus en plus de sympathisants du mouvement séparatiste sudiste. L. M.