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En Algérie, le livre, c'est tout un roman !
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Publié dans La Tribune le 17 - 07 - 2014

Quel bouquin n'écrirait-on pas en narrant la vie du livre en Algérie ? Dans ce pays de Cocagne, le livre, c'est tout un roman. Et c'est tout un programme pour le trouver. On parle bien du bon livre, celui que vous avez envie de lire ou de relire, aiguillonné que vous êtes par une fiche de lecture ou un ami bibliophage qui vous en a dit du bien. Mais allez dénicher le livre que vous cherchez, si par bonheur vous pouviez avoir bonne fortune de le trouver. Car, au pays du soleil généreux, un livre est une bouteille jetée en pleine mer sur laquelle une main charitable a collé l'étiquette sur laquelle est écrit «attrape-qui-peut». En Algérie, n'y trouve pas son livre qui veut, comme on ne tombe pas toujours sur le livre qu'on veut. Rare, cher, peu diversifié. Peu de livres, peu d'éditeurs, peu d'auteurs dans un bled de quarante millions d'âmes. Des lecteurs, y'en a beaucoup, mais pas vraiment assez. Mais dans ce vaste territoire de poésie céleste, de lumières étourdissantes et de couleurs enivrantes, tout ce qui fait livre, qui fait le livre et qui y amène, est une bénédiction du Ciel. Dans cette Algérie du rare plaisir, toute nouvelle se
rapportant au livre est bonne à prendre. Réjouissante même, comme le Salon national du livre d'Alger. Heureux événement, même si une belle hirondelle éditoriale n'annonce pas forcément le printemps du livre algérien. Comme, autres exemples, ces librairies qui ouvrent à l'heure où le consumérisme local a le goût de l'huile rance du sandwich frites-omelette et de la chawarma lipidique. Des librairies qui se créent pendant que d'autres librairies sont rachetées par des margoulins de la malbouffe. Alors, quand il arrive au livre de remplacer la chawarma radioactive, c'est le signe qu'il y a encore des Algériens qui se soucient de la santé intellectuelle de leurs compatriotes ! Telle cette dame accorte du Val d'Hydra, heureuse, et nous avec elle, dans sa Librairie des Arts et des lettres. Des comme cette libraire, il faudrait qu'il y en ait beaucoup pour que la pizza graisseuse, tel un moteur de vieux camion, ne prenne pas la place du livre. Comme ce fut hélas ! le cas du Mille-feuilles, coquette librairie du centre d'Alger, naguère tenue par une autre dame du livre. On sait depuis Gutenberg que «les livres ont les mêmes ennemis que l'homme : le feu, l'humide, les bêtes, le temps et leur propre contenu», disait Paul Valery. Mais ça, c'est un peu plus valable dans des pays d'opulence livresque. A ces ennemis inévitables, ajoutons chez nous l'argent, les éditeurs, les libraires, les critiques et les lecteurs qui manquent beaucoup, pour, comme Jules Renard, «tomber sur un livre à regards raccourcis», sans toujours obtenir l'objet du désir. A peine cent cinquante éditeurs dans le pays, dont les trois-quarts à Alger. Au pays de disette littéraire, la part du lion éditorial va au livre
scolaire, alors que les importateurs se taillent leur bout de gras avec le livre religieux, dieu des étals. Oh, il y a bien de la réédition, de la coédition et de l'édition alternée avec des éditeurs français, mais le livre reste toujours un fruit défendu tant il est rare, cher et rarement de qualité. À l'heure de l'Internet démocratisé, les Algériens lisent peu ou pas assez et peu d'entre eux
écrivent. Et quand les mieux inspirés tricotent des mots, le roman domine ainsi que les récits autobiographiques, hagiographiques et historiques où l'anecdote personnelle est reine. Souvent, l'édition, faute d'un soutien significatif de l'Etat, emprunte les sentiers solitaires du compte d'auteur. Alors, s'il était algérien, Honoré de Balzac aurait évoqué «la Peau de chagrin». Ici, le livre n'est pas en son royaume. Encore moins à la fête, même s'il y a beaucoup plus de titres et d'éditeurs qu'il y a vingt ans. Et même si des éditeurs audacieux comme Barzakh innovent dans la qualité. Pour que le livre soit accessible comme la pizza et la chawarma, comme sous Houari Boumediène qui le subventionnait, l'Etat doit relire «Iqra», le premier verset du saint coran. En 2014, lis au nom de Dieu, sacré nom de dieu de livre !
N. K.


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