Chaos sécuritaire en Libye, terrorisme en progression et en fixation en Tunisie, instabilité politique chronique et terrorisme endémique au Mali, menace militaire stratégique à la frontière marocaine, conflit limitrophe et insoluble au Sahara occidental, sans oublier le grand banditisme à toutes ses frontières : l'Algérie est désormais sur tous les fronts ! Sur le théâtre diplomatique et sur le terrain sécuritaire. Depuis l'Indépendance, l'Algérie est restée cohérente avec sa doctrine diplomatique de voisinage positif, d'intangibilité des frontières héritées de la colonisation, de non-ingérence dans les affaires internes des pays voisins et du respect de leur souveraineté politique et de leur intégrité territoriale. Mais, à la faveur de l'évolution de la menace terroriste à ses frontières avec sept territoires limitrophes, l'Algérie constate que le facteur «insécurité transfrontières» est en train de modifier les solides paradigmes de sa diplomatie. Aujourd'hui, à l'exception du domaine maritime, aucune frontière ne présente des garanties de sécurité, encore moins d'étanchéité acceptable, le degré de porosité variant d'une frontière à l'autre, en fonction du niveau même de la menace terroriste et du danger insécuritaire représenté par le grand banditisme. Les facteurs de fragilités régionales font donc que la posture stratégique évolue. Dans un contexte régional très complexe, marqué par l'instabilité des acteurs régionaux, des voix, en interne, posent désormais la question de la non-intervention redoutant de voir l'Algérie marginalisée dans les décisions qui seraient prises lors de grandes délibérations internationales sur la région. C'est ainsi que le pays a dû donc s'engager, de façon plus résolue, dans une coopération anti-terroriste avec ses voisins, ce qu'il rechignait à faire auparavant. On peut citer par exemple en 2010 la création d'un centre de commandement militaire combiné à Tamanrasset (Cemoc) et un centre d'échange de renseignements basé à Alger pour coordonner les actions transsahéliennes en la matière. A la fin de l'année 2011, l'Algérie avait engagé plus de 25 000 soldats au total dans des activités anti-terroristes conjointes dans la région du Sahel. Et tout récemment, elle a renforcé, de manière discrète mais considérable, sa coopération antiterroriste avec la Tunisie et s'est engagée résolument à se coordonner avec les nouvelles autorités libyennes. Ainsi, le contexte géopolitique très tendu aux frontières avec des pays grandement déstabilisés (Mali, Libye, Tunisie), voire en rupture ou en guerre froide avec l'Algérie (Maroc), représente une menace de plus en plus forte sur le pays. En toute logique, la déstabilisation de la région et son impact sur la sécurité nationale, font évoluer l'Algérie quant à ses paradigmes diplomatiques et ses théorèmes stratégiques. Le moteur de cette inflexion progressive étant l'objectif d'éradiquer le terrorisme et de réduire les nouvelles instabilités régionales. Si elle l'a, peu ou prou, incité à revoir les fondements historiques de sa diplomatie, cette inflexion n'a pas pour autant transformé l'Algérie en pays interventionniste, en puissance régionale unilatéraliste, même quand la source de la menace terroriste émanait d'un pays voisin. C'est le cas, par exemple, avec le Mali où, malgré le kidnapping d'un groupe de ses diplomates à Gao, ses troupes ne sont jamais intervenues sur le territoire malien, même discrètement. Dans ce pays, l'Algérie s'est contenté de faire jouer les canaux diplomatiques ouverts, de s'ériger en facilitateur discret, en conciliateur efficace et en médiateur «favorisateur» d'accords de paix inclusifs. En «exportateur net de stabilité», pour reprendre une formule aussi jolie qu'opérationnelle, de Ramtane Lamamra, notre chevronné ministre des Affaires étrangères. Ce même «diplomator» qui précise que «l'Algérie œuvre à régler les différends, non à les exacerber». En Afrique du Nord, l'Algérie agit sur le plan bilatéral et dans un cadre multilatéral. Avec la Tunisie, dont elle est désormais liée par des accords solennels de coopération militaire et sécuritaire, elle apporte un soutien matériel important et participe, dans ses propres zones frontalières, à la lutte contre les terroristes tunisiens implantés dans la région limitrophe de Chaambi et Kasserine. Si elle a déployé des moyens conséquents, en adéquation avec la menace locale, les troupes engagées ne sont jamais intervenues sur le territoire tunisien. Le contingent de troupes spéciales, de gendarmes et de GGF qui forment la task force algérienne aux frontières avec la Tunisie, interviendraient, le cas échéant, à la demande formelle des autorités tunisiennes, et en totale conformité avec l'accord de coopération militaire et sécuritaire signé en mai dernier. Pour le moment, les unités de l'ANP se contentent de tâches défensives et offensives, dans l'hinterland que constituent les wilayas de Tébessa et Souk-Ahras. Notamment le travail qui consiste à empêcher les terroristes de venir se cacher dans les maquis de la région, traquant leurs mouvements dans un théâtre d'opération à cheval entre les deux pays. Et fournissant au partenaire tunisien les renseignements opérationnels nécessaires. Toujours sur le plan bilatéral, le chaos politique et le prurit sécuritaire libyens ont amené l'Algérie à travailler de conserve avec l'Egypte, pays frontalier de la Libye et directement concerné, à l'instar de l'Algérie, par la menace terroriste qui en émane et par le risque de dissémination d'armes de guerre. Coopération similaire avec la Tunisie, pays limitrophe d'une Libye fortement déstabilisée. Les mêmes déterminants politiques et sécuritaires ont amené les trois pays à coordonner leurs actions, sous couvert de l'Union Africaine. Dans un cadre multilatéral élargi à tous les pays ayant avec la Libye post-Gueddafi des frontières en partage, l'Algérie coordonne désormais une Commission de sécurité des frontières de six pays maghrébo-sahéliens. L'Egypte, quant à elle, dirige une Commission politique. Ces deux instances de travail ont été créées à l'issue d'une réunion regroupant en juillet dernier les ministres des Affaires étrangères de l'Algérie, la Tunisie, l'Egypte, le Soudan, le Tchad, le Niger et le Mali. La diplomatie faisait d'Alger une plaque tournante africaine et tiers-mondiste qui attirait vers elle, telle une force d'attraction, des délégations qui y venaient par mouvements successifs. A telle enseigne que le révolutionnaire Amilcar Cabral disait «Les chrétiens vont au Vatican, les musulmans à la Mecque et les révolutionnaires à Alger». Aujourd'hui, si elle n'est plus la Mecque de révolutionnaires qui n'existent plus dans un monde globalisé et unipolaire, elle redevient progressivement un pôle d'attraction diplomatique. Quand ce n'est pas elle-même qui crée le mouvement en le favorisant dans sa sphère d'influence naturelle, en Afrique du Nord et en Afrique Subsaharienne, deux aires géographiques auxquelles elle appartient. N. K.