Pour une fois qu'à nos frontières, dans un pays cher au cœur des Algériens, se déroule (aujourd'hui) une élection présidentielle authentiquement pluraliste et sans réels soupçons de fraude, notre regard se porte naturellement vers la Tunisie voisine. Il y a moins d'un mois, le 26 octobre, des élections législatives avaient posé les jalons des institutions pérennes pour ce pays qui revient de loin, après que sa révolution de janvier 2014 ait connu une grave déviance. Malgré les craintes, le scrutin s'était déroulé dans des conditions de régularité soulignées par les très nombreux observateurs étrangers présents. L'émergence, à cette occasion, d'un vieux routier de la politique ayant servi sous Bourguiba, confirmait un changement de braquet décisif «sorti» des urnes. Nidaa Tounès, le parti-rassemblement créé deux ans plus tôt par Beji Caïd Essebsi coiffait au poteau, avec 86 sièges, le parti islamiste Ennahda (69 sièges) dont l'étoile n'avait cessé de décliner tout au long de son règne de trois ans, controversé et contesté. C'est une particularité majeure de la «Révolution du jasmin» qui a mis fin au pouvoir personnel et clanique du président Ben Ali, les Tunisiens se sont tournés vers leur passé et ses ressources morales et historiques, pour y puiser un nouveau ferment pour leur avenir. L'homme qu'ils vont porter aujourd'hui à la magistrature suprême, en cas de majorité absolue à ce premier tour, fêtera prochainement ses 88 ans. Par quel miracle un électorat majoritairement jeune peut-il accorder ses suffrages et sa confiance à un homme qui a blanchi sous le harnais bourguibien dans les années 50-60 du siècle dernier ? Un homme qui a repris du service sous Ben Ali avant d'être sollicité en 2011 pour former et diriger un gouvernement de transition, celui-là même qui organisera, huit mois plus tard, des élections pour une Assemblée constituante remportées largement par le parti islamiste de Rached Ghannouchi. Ses détracteurs l'accusent aujourd'hui de velléités de retour de l'ancien régime. Autant accuser les électeurs tunisiens d'immaturité politique et de «contre-révolution». Ce que Béji Caïd Essebsi (BCE) a de plus que ses adversaires balayés par le précèdent vote du 26 octobre, c'est cette capacité à sentir, deviner et comprendre les aspirations de la société tunisienne. Elles peuvent se résumer à un triptyque : stabilité, sécurité, justice sociale. Quand lui, «l'homme du passé», exhibe une feuille de route claire et courageuse, eux en sont encore à louvoyer et à s'enferrer dans les manœuvres politiciennes d'un autre âge. Le président Merzouki, longtemps nourri à la mamelle des «droits-de-l'hommiste» français, aurait gagné à savoir que ses compatriotes le désignent sous le terme peu flatteur de «Tertour», qui signifie en parler tunisien parler beaucoup pour ne rien dire et rien faire. Belle formule qui se traduirait autrement par le culte d'une démocratie de la jactance si ce n'est celle du jappement. Au final, la stabilité comme première condition sine qua non pourrait être au rendez-vous avec BCE. Avec ses objectifs courageusement affichés et son parti-pris anti-islamiste et intégriste publiquement assumé, il trace une voie droite. Mais il ne sera pas à l'abri de recompositions politicardes qui pourraient rendre ardu le parcours. Le redoutable Ghannouchi est déjà en embuscade avec ses troupes et ses affidés opportunistes. A. S.