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Moncef Marzouki dénonce le retour de «l'ancien régime»
Accusant Béji Caïd Essebsi d'être un anti-démocrate
Publié dans La Tribune le 11 - 12 - 2014

Dans un entretien à Mediapart, l'actuel président de la République, opposant
historique à Ben Ali, alerte contre une restauration de «l'ancien régime». Candidat à un deuxième mandat, Moncef Marzouki a été devancé lors du premier tour de la présidentielle par un dinosaure de la politique tunisienne, Béji Caïd Essebsi. «C'est Ben Ali sans Ben Ali», accuse-t-il, tout en faisant le bilan de ses succès et de ses échecs. Depuis décembre 2011, il est le premier président de la République démocratiquement élu en Tunisie. Moncef Marzouki, ancien opposant au régime de l'ex-président Zine el-Abidine Ben Ali, compte bien se succéder à lui-même le 21 décembre, date probable du second tour de l'élection présidentielle. Mais la tâche sera rude : au premier tour, Marzouki, qui a gouverné pendant plus d'un an avec les musulmans-conservateurs du parti Ennahda, est arrivé en deuxième position, avec 33,4 % des voix.
Avec 39,4%, l'homme qui a viré en tête est un dinosaure de la politique tunisienne : Béji Caïd Essebsi, 88 ans, plusieurs fois ministre de Bourguiba et
président de l'Assemblée nationale au début de l'ère Ben Ali. Son parti, Nidaa Tounès, est arrivé en tête aux législatives du 26 octobre dernier et détient depuis ce jeudi 4 décembre la présidence de l'Assemblée nationale. Marzouki, lui, a subi une cuisante défaite, son parti, le CPR, n'obtenant que quatre députés.
Moncef Marzouki nous a reçus il y a quelques jours au palais
présidentiel de Carthage, dans la banlieue huppée de Tunis. Avant le second tour, il se pose en garant de la démocratie et met en garde contre le retour de l'«ancien régime»
Entretien réalisés par François Bonnet et Mathieu Magnaudeix
Président de la République, vous n'avez pas assisté, le 2 décembre, à la cérémonie d'installation de la nouvelle Assemblée issue des élections législatives du 26 octobre. Pourquoi ne pas participer à cette étape
importante de la construction de la démocratie tunisienne ?
MONCEF MARZOUKI : Mais parce que je n'ai pas été invité ! Et contrairement à ce qui a été dit, Mustapha Ben Jaafar, président de l'ancienne Assemblée constituante, ne m'a pas invité, soi-disant pour des raisons protocolaires. Je n'étais donc pas le bienvenu et cela est tout de même très inquiétant. Il y a beaucoup de signaux en ce moment sur le retour de l'ancien système. Cette non-invitation d'abord. Autre exemple : l'un de mes plus proches collaborateurs a été arrêté pendant quatre heures et fouillé par la police... Un certain nombre de structures d'Etat ou de responsables croient que le vent a tourné et se mettent déjà au service de l'ancien régime.
Votre absence lors de l'installation de la nouvelle Assemblée n'est-elle pas le
symbole de votre isolement politique ?
Isolement politique ? J'ai réuni 1 100 000 voix lors du premier tour de l'élection présidentielle (33,4%), le 23 novembre.
Non, on ne peut pas parler d'isolement. Au contraire, aujourd'hui, il y a une énorme vague de soutien populaire. Il y a ce que j'appelle le peuple citoyen : face à la machine RCD bénaliste, qui est une machine d'argent, d'influence, de
propagande, il y a une machine citoyenne, qui est en train de se mettre en place de façon extraordinaire, faite de volontaires. Dans mes meetings, les gens me disent : «On vient vers toi sans vouloir d'argent.» Parce que l'autre machine fait fonctionner les foules avec de l'argent.
Votre isolement, c'est qu'aucun parti politique ne vous soutient et n'appelle à voter en votre faveur lors du second tour de l'élection. Pourquoi ?
C'est exact. Mais ça, c'est le jeu des appareils politiques... Ici, contrairement à ce que vous pouvez connaître en France, les appareils politiques ne «possèdent» pas d'électorat, les bases ne suivent pas. Donc moi, je m'adresse à l'ensemble de la population en faisant abstraction de ces jeux au sommet.
Rétrospectivement, et puisque vous aviez démissionné du CPR, votre parti, fin 2011, quand vous avez accédé à la présidence, n'avez-vous pas fait l'erreur de ne pas construire de mouvement politique ?
Je n'aurais pas pu, en étant président de la République, construire dans le même temps un parti politique. Ce sont deux choses antinomiques.
Pourquoi ? Il n'est pas anormal qu'un président soit aussi porté par un parti politique...
Oui, mais la force politique qui me portait à l'époque, c'était la Troïka (l'alliance des trois partis, Ennahda, Ettakatol et CPR, qui accède au pouvoir en 2011, après la chute du régime Ben Ali -ndlr). Maintenant, les deux partis laïques de cette Troïka ont payé lourdement leur participation au gouvernement, ils ont lourdement payé pour leurs propres fautes et pour les fautes d'Ennahda. Aujourd'hui, ce qui m'inquiète beaucoup, c'est qu'il y a deux forces
politiques -Ennahda et Nidaa Tounès-, mais que la famille démocratique est largement détruite. Il y a urgence à la reconstruire et c'est ce qui va se faire.
Parce qu'il n'y a pas de démocrates chez Nidaa Tounès ?
J'en doute fort.
Nidaa Tounès est pourtant une coalition qui regroupe des gens venus d'horizons divers...
C'est exact, mais qu'est-ce qu'un parti démocratique ? C'est d'abord un parti qui lutte pour la démocratie et les droits de l'Homme. Ce n'est pas le cas de Nidaa Tounès, puisque la base de ce parti, c'est essentiellement l'ancienne machine RCD de la dictature Ben Ali. Ensuite, dans son propre fonctionnement, ce n'est pas un parti démocratique.
Votre principal axe de campagne est de dire : «Je suis le dernier rempart» contre le retour de l'ancien régime. En quoi votre adversaire, Essebsi, incarne cette restauration ?
D'abord par sa propre personne. C'est quelqu'un qui a été deux fois ministre de l'Intérieur, sous Bourguiba, et Dieu sait que la torture a fonctionné. C'est
quelqu'un qui a participé à toutes les fausses élections, et il avoue lui-même que ces élections étaient truquées et qu'il les a entérinées. C'est
quelqu'un qui a été président du Parlement de Ben Ali. Et c'est quelqu'un qui, durant les vingt dernières années, lorsque moi et mes amis étions en exil ou en prison, n'a jamais ouvert la bouche ! Alors, comment appeler un homme comme
cela ? On ne va pas l'appeler un démocrate.
On peut s'amender... ?
À 88 ans, non, je ne crois pas. Mettez le nez dans le fonctionnement de son parti et vous comprendrez.
C'est Ben Ali sans Ben Ali ?
Oui. Il y a tout : la famille, le fils, toute la structure est là...
Et ce qui m'inquiète, c'est justement cette volonté hégémonique : on prend le Parlement, on prend le gouvernement et, maintenant, on veut la présidence de la République...
Vu la composition du Parlement, le parti Nidaa Tounès ne pourra pas gouverner seul. Essebsi le dit lui-même.
Oui, il le dit, mais il a les moyens de faire passer ce qu'il veut en allant chercher les élus de petits partis satellites.
Avec les restes du RCD, Essebsi a-t-il le soutien des principaux acteurs économiques du pays ?
Non, d'une partie seulement, contrairement à ce qu'on croit. J'ai fait, par exemple, un très bon score dans une ville comme Sfax, qui est une ville
industrielle. J'ai rencontré là-bas des hommes d'affaires qui veulent une économie saine et non pas une économie de rente, une économie où on vit aux crochets de l'Etat, usant des réseaux du pouvoir, ce qui existait au temps de Ben Ali. Il y a tout un monde économique qui demande du droit, de la transparence, de l'honnêteté et qui n'est pas lié au bon vouloir de l'Etat et des anciens clans qui avaient confisqué l'économie. C'est l'économie parasite qui soutient Essebsi.
On dit de vous que vous êtes «le pion d'Ennahda» ou celui qui masque la vraie stratégie de ce parti musulman conservateur. Vos adversaires vous accusent même d'accueillir et de discuter avec les salafistes. Qu'en est-il ?
Nous avons analysé les 1,1 million de voix obtenues au premier tour. Il y en a environ la moitié venant d'électeurs Ennahda. L'autre moitié provient de tous les électorats. Et c'est cela ma force. Je suis le seul dans ce pays qui peut prendre des voix, d'abord dans toutes les régions, ensuite dans toutes les classes sociales et dans toutes les obédiences et idéologies.
Pourquoi ? Parce que dès le départ, dès les années 1980, j'ai joué une carte dont je suis très fier. C'était de dire : Ben Ali veut nous amener dans cette opposition islamistes/laïcs, alors que la vraie ligne de partage est entre les démocrates et les non-démocrates. Dans les non-démocrates, vous avez des islamistes et des non-islamistes. Et dans les démocrates, vous avez aussi des islamistes et des non-islamistes. Donc, tout ce que j'ai fait ces vingt dernières années, c'est d'essayer de dégager un front démocratique contre la dictature et contre la corruption en disant : la question idéologique ne m'intéresse pas. Ce qui m'intéresse, c'est la question démocratique et la question sociale.
Pour moi, Nidaa Tounès fait partie de cette mouvance non-démocratique, ils ne
pourront jamais installer la démocratie.
Et chez les islamistes ?
Dans le spectre des islamismes, il y a ceux que j'appelle les «démocrates par adoption», c'est-à-dire ceux qui, comme Ennahda au départ, ont été un parti très conservateur et qui se sont progressivement démocratisés. La Ligue des droits de l'Homme et moi-même avons eu un grand rôle dans cette émocratisation. Ce n'est pas moi qui me suis islamisé, ce sont eux qui se sont
démocratisés. Et c'est comme cela que l'on a pu dégager un front anti-Ben Ali qui, en 2003 à Aix-en-Provence, a écrit pratiquement ce qu'est aujourd'hui le texte de la nouvelle Constitution (adoptée en janvier 2014, ndlr). C'est cela qui a été à l'origine de la Troïka.
Quand je suis devenu président de la République, j'ai fait la même chose. Je me suis dit : il y a une frange qui reste à démocratiser, c'est la frange salafiste. Dans cette frange, il y a ce qu'on appelle le salafisme piétiste, qui ne veut pas entendre parler de politique. Mais il y a aussi une partie qui veut faire de la politique : et ces gens-là, oui, je les ai reçus à Carthage pour leur dire : «Faites un parti politique.» Pourquoi ? Parce que c'est dans cette frange que se recrutent les terroristes et que pour moi, il est extrêmement important d'en ramener un maximum à la vie politique et d'isoler les terroristes.
Cette stratégie est pourtant peu passée auprès de l'opinion et par conséquent, l'échec gouvernemental du parti Ennahda, vous le payez très cher
Peut-être, mais encore une fois, il fallait créer une réconciliation, ne pas se laisser obnubiler par la différence idéologique ou religieuse, pour revenir à la question démocratique et à la question sociale. Pour faire simple, mon problème avec la gauche est que c'est une gauche de plus en plus
idéologique et de moins en moins sociale. Moi, je suis un homme de gauche qui est resté sur la question sociale.
Mais Ennahda, la question sociale ne l'intéresse pas
Elle ne l'intéresse pas et c'est pour cela que nous avons eu des conflits. Mais je le redis, moi, je suis obnubilé par la question démocratique et sociale. À
partir du moment où vous reconnaissez la démocratie, que vous ayez ou non une barbe, ce n'est pas mon problème. Et cela, c'est nouveau dans la mentalité des Tunisiens, comme d'ailleurs dans le logiciel français. Le logiciel français, c'est de dire : les méchants salafistes contre les bons laïcs. Ici, cela ne
fonctionne pas comme ça.
Comment expliquez-vous que ce débat, et ce qui est aussi au cœur de votre stratégie depuis des années, n'a pas pu s'installer en Tunisie ?
Parce que durant ces
trois années, les médias m'ont diabolisé, j'ai été attaqué sans interruption -je crois qu'il n'y a que Morsi (l'ancien président égyptien, issu des Frères
musulmans et renversé par l'armée en juillet 2013- ndlr) qui a été traité comme moi.
Cela a été une stratégie de la contre-révolution. J'ai réagi de façon très calme, je ne suis jamais tombé dans le piège d'aller mettre un journaliste en prison, etc. Je suis fier du fait que, durant ces trois années, la liberté d'expression a été totale, y compris la liberté de diffamer. Mais malgré cela, j'ai pu faire passer des messages.
Pourquoi Ennahda ne vous soutient-il pas publiquement ? En se refusant à le faire, est-ce qu'il ne donne pas des arguments à tous ceux qui disent : il y a un agenda caché du parti musulman, ils avancent dans un costume démocratique pour, une fois arrivés au pouvoir, le jeter par-dessus bord ?
J'ai demandé à toutes les forces politiques de me soutenir et je les mets devant leurs responsabilités, mais je ne peux pas faire plus ! C'est la raison pour laquelle ma stratégie est de m'adresser au peuple directement.
Votre faiblesse au Parlement n'accrédite-t-elle pas cette idée de dépendance extrême vis-à-vis d'Ennahda ? Votre ancien parti, le CPR, n'a obtenu que quatre députés aux législatives d'octobre, tandis qu'Ennahda en a obtenu 69Pendant les deux dernières années, j'ai eu des affrontements avec Ennahda. Il y a eu
beaucoup de difficultés. J'ai poussé des gueulantes. En juillet 2012, par exemple, j'ai fait lire une lettre dans laquelle j'ai dit : «Où est la lutte contre la corruption ? Où est la justice transitionnelle ?»
Justement, vous menez campagne contre le risque d'un retour du parti de Ben Ali, le RCD.
Mais ne pas avoir pu faire progresser la justice transitionnelle, n'est-ce pas aussi votre échec ?
Absolument. C'est l'échec de la Troïka. Evidemment, je suis obligé d'en porter la responsabilité, mais je ne suis pas le seul. Les deux problèmes qui auraient dû être résolus et auraient pu changer complètement la donne, c'est la lutte contre la corruption et la justice transitionnelle. J'ai exercé toutes les pressions possibles et imaginables en ce sens. La justice transitionnelle, on l'a fait lanterner pendant des années. J'ai d'ailleurs dû frapper un grand coup en publiant un «livre noir» pour pousser cela (Moncef Marzouki a publié il y a un an une liste des journalistes ayant collaboré avec le régime de Ben Ali - ndlr).
Mais cette initiative a été mal perçue...
Oui, mais c'est ça qui a fait bouger les lignes. C'est cette initiative qui a permis de voter la justice transitionnelle et a entraîné la création de l'instance Vérité et Dignité (IVD, chargée de recenser les abus et crimes de Bourguiba et Ben Ali, présidée par l'ancienne opposante Sihem Ben Sedrine - ndlr). Mais cette instance est directement menacée. Monsieur Essebsi a menacé de la dissoudre. Si tel est le cas, c'en serait terminé de la justice transitionnelle, un des objectifs fondamentaux de la Révolution. J'apporte mon
soutien total à cette instance.
Sur la question des libertés publiques, vous avez été parfois en porte-à-faux par rapport aux promesses de la Révolution : la torture qui continue d'exister dans les commissariats, votre attitude durant l'affaire Jabeur Mejri, ce blogueur accusé d'outrage au sacré dont vous aviez dit qu'il serait plus en
sécurité en prison qu'en liberté, etc.
Vous allez très vite en besogne. Jabeur Mejri, c'est moi qui l'ai libéré et Dieu sait que j'ai eu les pires pressions pour qu'il ne le soit pas. Je l'ai protégé, j'ai voulu l'exflitrer, je l'ai libéré, mais il a quand même été remis en prison pour d'autres choses. S'il y a un cas où j'ai vraiment mis en jeu ma crédibilité auprès d'un certain nombre de forces, dans une société où le sujet du sacré est sensible, c'est bien celui-ci. Par ailleurs, quand je suis arrivé ici, 220 personnes attendaient dans le couloir de la mort. J'ai commué leur peine. Il y a eu plusieurs cas d'attaques terroristes, des crimes horribles, j'ai eu des pressions, mais j'ai dit : tant que je suis là, la peine de mort n'existera pas.
La peine de mort n'a pas été supprimée dans la Constitution...
C'est vrai, la Constituante a refusé de le faire. J'ai envoyé des courriers, je l'ai exigé, mais ça n'a pas marché.
Pour ce qui est de la torture, j'ai toujours défendu son interdiction au sein du Conseil de la sécurité nationale, qui regroupe des représentants de la police et de l'armée. Dans l'armée, sur laquelle j'ai un contrôle total, il n'y a pas de cas de torture. Là où je n'ai pas de contrôle, il peut y en avoir. Je harcèle le ministre de l'Intérieur sur ce sujet, je lui signale des cas. Un de mes conseillers suit ces affaires au cas par cas. Si je n'avais pas été là, ce phénomène aurait peut-être explosé.
L'avocate Radhia Nasraoui (une ancienne opposante à Ben Ali, comme Marzouki - ndlr) me signale les dossiers. Sur ce sujet, la présidence de la République
travaille avec la société civile.
Le ministère de l'Intérieur, aux méthodes musclées, qui, sous Ben Ali, pourchassait les opposants comme vous, a-t-il vraiment changé ?
Il a changé au niveau de la tête. Ce n'est plus la police de Ben Ali mais non, tout n'a pas changé et certains se sentent visiblement pousser des ailes en se disant que l'ancien régime va revenir.
Pendant ces trois ans, avez-vous eu l'impression de faire face à une administration difficile à maîtriser ?
Bien sûr. Selon la Constitution, le président de la République gère essentiellement la politique étrangère et l'armée. C'est mon pouvoir d'influence qui m'a permis de me mêler de la question des droits de l'Homme.
Revenons au parti Ennahda. Comment analysez-vous son échec au gouvernement ?
On a appelé ça «la politique des mains tremblantes». Ennahda n'a pas pu trancher dans l'ancien régime, prendre en charge la lutte contre la corruption et la justice transitionnelle. Mais il faut être juste. Durant la période de transition, nous ne pouvions pas résoudre tous les problèmes, qu'il s'agisse d'Ennahda, de la Troïka ou de moi-même.
Le contrat fondamental était d'écrire une Constitution, mettre en place les institutions de la République, amener le pays aux élections, maintenir le pays à flot sur le plan économique. Ce contrat a été complètement rempli. Regardez ce qui s'est passé ailleurs, en Libye, etc.
Mais ce retour du RCD sur lequel vous alertez, n'est-ce pas aussi votre échec ?
C'est ce que je vous dis. Si nous avions réussi à frapper un grand coup contre la corruption, à garantir la justice transitionnelle et peut-être à faire voter une loi d'exclusion contre les anciens responsables du régime, peut-être n'en serions-nous pas là. Mais si nous avions fait cela, aurions-nous pu écrire la Constitution ? Ne nous auraient-ils pas empêchés de le faire ? C'était très complexe. Nous aurions peut-être eu une guerre civile. Rien n'est parfait sur cette planète, mais je le répète : le contrat fondamental a été rempli.
Pensez-vous avoir réussi à convaincre que l'islam politique peut venir dans le jeu démocratique ?
Ennahda a fait des erreurs mais s'est aussi sacrifié en abandonnant le pouvoir pour le donner aux technocrates par amour de la stabilité. Ce parti a échoué par certains côtés, mais Ennahda a aussi permis à ce pays de se maintenir à flot et d'arriver jusqu'aux élections. Sur le fond, Ennahda est un parti islamo-démocrate, comme il y a des partis chrétiens-démocrates. Ce que je lui reproche, ce n'est pas d'être islamo-démocrate, mais d'être conservateur sur le plan social. Dites à vos lecteurs que le logiciel français qui met tous les islamistes dans le même sac est une grave erreur. L'islamisme n'existe pas. Il y a des islamismes, qui forment un spectre extrêmement complexe et dynamique. Nous avons la chance en Tunisie, avec Ennahda, d'avoir un islamisme démocratique. Ennahda est beaucoup plus démocratique que Nidaa Tounès.
Vous écriviez, il y a quelques jours, que votre «ennemi», c'est «la dictature et la pauvreté». Mais les inégalités, qui ont créé la révolution, sont toujours là...
Bien sûr. En trois ans, nous avons eu trois gouvernements, et chacun a rafistolé comme il a pu. C'est le propre des phases intermédiaires. Il faut désormais installer un gouvernement pour cinq ans, qui va s'attaquer à la pauvreté et, je l'espère, dans la paix sociale. Durant ces trois ans, j'ai tout de même commencé à mettre en place un programme de lutte contre la pauvreté. J'ai fait plancher des experts, nous avons tenté d'imaginer un modèle à la
brésilienne d'économie solidaire et sociale, pour l'instant en phase d'expérimentation dans trois gouvernorats. Nous avons lancé un vaste réseau de
petites communautés avec 5 300 micro-projets.
Durant les cinq prochaines années, si je suis toujours président de la République, nous devrons trouver 100 millions de dollars pour financer ce vaste réseau associatif. La question sociale est fondamentale. Si je suis élu, il y aura un partage des pouvoirs. La bourgeoisie pourra se reconnaître dans Essebsi, le peuple en moi, et je serai là pour ancrer les questions de liberté et de droits de l'Homme.
Il faudra ensuite faire fonctionner ces deux entités antinomiques, ce ne sera
pas facile, mais il vaut mieux cela que le retour à la dictature. Après, il faudra que tout le monde s'attelle à la problématique économique. Ce qui nous pend au nez, c'est une grave crise budgétaire. Le pays produit peu depuis trois ans, nous avons besoin d'un taux de croissance de 5 ou 6 %, ne serait-ce que pour absorber les jeunes qui arrivent sur le marché.
Finalement, vous voilà confronté à ce risque que la Révolution dévore en général ses enfants
Oui. Il y a des lois éternelles, des risques de contre-Révolution. C'est ce qui s'est passé en Roumanie. Une révolution décape à la tête. Mais on n'efface pas d'un coup un réseau extrêmement vaste d'intérêts vieux de cinquante ans. Ça ne disparaît pas d'un coup, c'est une lente maturation.
Comment espérez-vous battre Essebsi ?
Par un sursaut citoyen. Il est en train de se construire tout seul. Face à moi, il y a la machine RCD, avec l'argent, la manipulation, le discours de la peur. Les gens sont en train de s'élever contre ce système qui a gouverné pendant cinquante ans et risque de refaire la même chose.
F. B./M. M.


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