à Benghazi, le 30 octobre 2014, après des combats entre les forces de sécurité libyennes et des terroristes islamistes. Le tableau général est plus sombre que jamais. «La situation au Sahel n'a cessé de se détériorer ces derniers mois du fait de la sécheresse, de la pauvreté, de la fragilisation des régimes politiques, des trafics et de l'afflux d'armes venues de Libye», résume Hiroute Gebre Sélassié, envoyée spéciale du Secrétaire général des Nations unies pour la région. Un autre expert onusien précise : «Les groupes armés, d'Ansar Al-Charia à Al-Mourabitoun en passant par les Chabab, disent que leur activité s'étend de l'Atlantique jusqu'à la mer Rouge. Ils ont acquis des capacités de mener des guerres conventionnelles. Ils déploient les mêmes stratégies et les mêmes modus operandi, dans un mouvement d'auto-émulation.» De mai à novembre 2013, a indiqué cet expert, 342 «incidents terroristes» recensés par l'ONU ont tué 3 398 personnes en Afrique, dont 2 400 en Afrique du Nord et au Sahel. «L'Etat islamique recrute aussi des administrateurs» D'un point de vue militaire, «on est en retard d'une règle pour appréhender ces groupes, estime un haut responsable opérationnel français. Nous sommes face à des entités qui passent d'une action déstabilisatrice, du faible au fort, à la tentation de devenir des puissances. L'Etat islamique recrute aujourd'hui aussi des administrateurs. Un de leurs objectifs est d'acquérir de nouvelles capacités militaires.» Pour ce gradé, les actions sur les causes -l'éducation, le social- ne sont pas à portée. «Nous ne sommes pas sortis de la logique militaire», dit-il. L'écho de l'Etat islamique (EI) inquiète jusqu'en Afrique de l'Ouest, même si, estiment les services de renseignement, les connexions concrètes n'existent pas encore. EI possède un agenda régional prioritaire en Irak et en Syrie, pour l'heure. Mais «la Libye est en train de cacher une union terroriste considérable derrière la guerre des clans», estime un officiel français, en mentionnant l'implantation de l'EI dans la ville de Derna, au nord de la Libye, une présence relativisée par d'autres sources sécuritaires. Dans le Sud libyen, les groupes armés djihadistes et leurs chefs se replient, s'approvisionnent. «Tant qu'on n'aura pas résolu le problème du Sud libyen, il n'y aura pas de paix dans nos régions», abonde Ibrahim Boubakar Keita, le président malien. «La source est là-bas», dit-il en évoquant l'arsenal qui circule depuis la chute de Kadhafi. «Pour un convoi d'armes arrêté», comme l'a fait récemment savoir la force française Barkhane à la frontière du Niger, «combien ont pu passer sans qu'on le sache ?». Le président tchadien Idriss Déby a interpellé les Occidentaux : «La solution est entre les mains de l'Otan qui a créé le désordre» en intervenant contre Kadhafi en 2011, a-t-il lancé en clôture du Forum mardi. Côté français, après les appels répétés de M. Le Drian à la vigilance, on assure qu'« il n'y a pas d'option» sur la table pour une intervention militaire en Libye. Ce qui peut signifier que les services préparent « toutes les options», dans l'attente d'une décision présidentielle éventuelle : des plus secrètes aux plus ambitieuses, associant des partenaires africains et occidentaux. «Le problème est que si on intervient dans le Sud libyen, la première zone de fuite des groupes armés sera l'Algérie... qui n'a pas envie de voir remonter les méchants», indique une source gouvernementale. Cible prioritaire des militaires français et américains, Mokhtar Belmokhtar, l'auteur de l'attentat spectaculaire du site gazier d'In Amenas (Algérie), aujourd'hui plutôt en perte de visibilité, «est en Libye, on l'a vu à Benghazi, rappelle cette source. Mais on n'a pas de moyens d'intervenir. S'il franchit la passe de Salvador, en revanche, on sera ravis de l'accueillir». Nécessité d'unir ses efforts Pour les pays de la région, l'autre grande préoccupation est Boko Haram. La déliquescence du Nigeria inquiète. La France a néanmoins annoncé à Dakar la mise en place d'un «comité de liaison militaire» avec les quatre pays concernés. Des officiers camerounais, tchadiens, nigérians et nigériens seront présents dans l'état-major de la force Barkhane. Objectif : partager du renseignement. Paris résume sous deux slogans les réactions à bâtir : «Renforcement des capacités africaines» et «Appropriation par l'Afrique de ses propres enjeux de sécurité». Les experts et chefs de gouvernement présents à Dakar ont tous souligné la nécessité d'unir les efforts. Mais, de l'Union européenne à l'Union africaine (UA), de l'aide au développement aux opérations militaires, les rivalités politiques et la dispersion dominent. L'on recense pas moins d'une quinzaine de « stratégies Sahel». Pour quel résultat ? « Au Mali, on verse de l'eau dans le sable, il n'y a aucune volonté des autorités», peste un officiel. Il faut «éviter la multiplication des initiatives», plaide de son côté l'Algérien Smaïl Chergui, commissaire pour la paix et la sécurité de l'Union africaine. Alger, qui a pris seule la direction de la négociation entre les groupes armés touareg et Bamako, n'a dépêché aucun responsable gouvernemental au Forum. Dans l'immédiat, chacun tente de colmater les brèches, par tous moyens. Les militaires insistent sur le besoin de « couper les populations de ces groupes armés par des stratégies de contre-insurrection». Onze Etats d'Afrique centrale ont décidé de mettre en œuvre des programmes contre la radicalisation. Le président tchadien appelle, lui, ses voisins à investir dans leur défense : «Il est important que tous les pays se dotent d'au moins deux ou trois unités opérationnelles.» L'UA assure que sa « capacité de réaction rapide sera sur pied en 2015», 5 000 soldats mobilisables - mais la promesse de cette force africaine s'enlise depuis des années. Paris propose de changer les règles de l'Ocde qui interdisent de financer des équipements militaires au titre de la formation des armées africaines... Projets hybrides originaux Des projets hybrides originaux voient même le jour, ciblant les zones grises frontalières. Entre le Mali, le Burkina Faso et le Niger, dans un cercle de 500 km de rayon, la Direction de la coopération et de la sécurité de défense (Dcsd, qui relève du ministère français des Affaires étrangères) lance un programme qui relève autant des vieilles «psy ops» de l'armée que du développement durable. « L'idée est de fractionner les zones de trafic, explique l'amiral Marin Gillier, le Dcsd. Nous allons commencer par recenser les besoins des populations, leurs peurs, leurs perceptions. Puis nous nous tournerons vers les gouvernements pour qu'ils développent des patrouilles ensemble, et qu'ils organisent les réponses judiciaires pour traiter les trafiquants. Enfin, nous développerons des microprojets dans les communautés pour qu'elles aient des ressources alternatives.» Un appel aux bailleurs internationaux est lancé. «Nos efforts paient, assure M. Le Drian. Depuis un an, 200 djihadistes ont été neutralisés» par la force française. «Barkhane est un dispositif régional de contre-terrorisme inédit. Et dans un proche avenir, les opérations conjointes, à deux ou trois Etats, vont se développer au Sahel.» Les Etats-Unis ont dépensé 800 millions de dollars (642 millions d'euros) dans les programmes d'aide à la sécurité en Afrique en 2014, a rappelé Amanda J. Dory, sous secrétaire d'Etat à la défense américaine, «et ces sommes sont en augmentation malgré la pression sur les budgets». De son côté, l'Union européenne a investi 1,2 milliard d'euros dans les opérations de maintien de la paix en Afrique sur les dix dernières années, et 750 millions pour les seules années 2014-2016. Mais, pour l'heure, la réaction sécuritaire l'emporte, au risque de l'escalade. «Faut-il se réjouir de la militarisation croissante de la région ?» s'interroge Gilles Yabi, expert de Wathi, un nouveau cercle de réflexion de l'Afrique de l'Ouest. Selon lui, «la militarisation a peut-être autant affaibli les Etats de la région que les groupes terroristes». N. G. In Le Monde du 17 décembre 2014