Un vice-président de l'Assemblée nationale, chargé de la Commission économique et sociale, vers le début des années quatre-vingt-dix, en marge d'une rencontre sur la valeur du dinar algérien par rapport au service de la dette et le pouvoir d'achat, a dit : «C'est pendant les périodes difficiles d'une nation que les individus et les groupes se mettent à discuter sérieusement de leur devenir et agir sérieusement pour l'améliorer.» Cette période, pour rappel, était dans l'histoire de l'Algérie indépendante, sur les marges de l'asphyxie générale sur les plans sociopolitique, économique et civilisationnel. Mais paradoxalement, ce n'est pas les facteurs inhérents au coût de la vie qui ont induit à la confrontation civile armée, avec ses dizaines de milliers de morts, de disparition, de viols et de destruction matérielle, mais la condition politique et culturelle de l'exercice du pouvoir. À cette époque, les avoirs de l'Etat, des recettes du pétrole et du gaz évidemment, ne suffisaient même pas à assurer les échéances de paiement de la dette. Une gouvernance était alors mise en place pour gérer la crise, de grandes restrictions budgétaires ont été opérées, l'Etat s'est plus ou moins discipliné sur les dépenses de son fonctionnement, les citoyens ne s'enrichissaient pas, mais ils ne mouraient pas de faim. Malgré l'insécurité, sauf dans des situations d'extrême exception, les citoyens vaquaient à leurs obligations, les enfants allaient à l'école et à la fac et les travailleurs percevaient leurs salaires – mis à part la boutade où un Premier ministre avait décidé de faire une ponction sur les mois à cause d'un problème de trésorerie dans le Btph. Il a été dit dans les commentaires de presse, dans les cafés, les marchés, pendant les repas de famille, que les responsables de l'Etat profitaient de la peur des citoyens durant la guerre civile pour agréer à toutes les directives des institutions financières créancières. Cela arrangeait peut-être -ou certainement- mais il reste à avouer que les populations avaient alors mis du leur afin d'échapper à la catastrophe. Les citoyens ne devenaient pas, tout à coup, assidus à l'imposition, les commerçants affichés au Registre continuaient de frauder le fisc, les marchands informels achetaient toujours sans facture et les contrebandiers n'arrêtaient pas d'approvisionner les premiers et les seconds en quantités de marchandises occultées aux Douanes et aux services de la répression financière hygiénique. Il ne se passait pas comme s'il y avait un bailleur anonyme palliant à la faillite du Trésor public, de la manne de qui les richesses circulaient entre les mains des citoyens, empêchant ainsi la déliquescence manifeste des parts d'achat et de vente. Il se fut déroulé, en réalité, un phénomène diffus de récupération de conscience dans les groupes. L'Etat n'a pas eu le temps nécessaire pour déclarer sa double faillite, de la finance et de la funeste contestation islamiste -du repli international, aussi, sur les affaires de l'Algérie, pour ne pas dire carrément l'abandon- et de préciser les mesures de préalable à prendre, qu'un climat différent de comportement social s'installe. Au lieu de tenter de s'enrichir, d'essayer de jouer une place vers les sphères de la rente, déconfite alors, l'homme algérien se met à raisonner le va-et-vient des valeurs dans la proximité. À cette époque donc, avec moins d'un milliard de dollars dans les caisses de l'Etat et des revenus aléatoires et très frustes, les terribles services étrangers à recourir, les dépenses de fonctionnement, de nourriture, de soins, d'approvisionnement pour les intrants, des besoins incompressibles de l'armée et des forces de sécurité, le pouvoir d'achat, dans sa globalité, ne pénalisait pas la vie courante de la majorité des citoyens. Les salaires étaient assez solvables pour la plupart des travailleurs - lorsqu'il advenait, ici et là, dans nos contrées, surtout dans les campagnes isolées, que les commerçants baissassent le rideau, c'était beaucoup plus pour des raisons de sécurité que pour la relation vis-à-vis des clients potentiels, à qui il manquerait de la ressource pour dépenser. Il n'est pas voulu dire, ici, que, dans une sorte d'un commun accord national, les citoyens se soient ligués contre le mauvais sort de l'histoire de la finance internationale, afin de vivre un fait accompli les induisant à accepter les conséquences des erreurs de gestion passée, et que dans le terrible lot des privations il ne peut pas émerger une catégorie de riches, au détriment de la majorité qui réussit à s'en sortir. Mais de préciser que le manque flagrant de revenus n'a pas empêché le gros de la population à se tirer d'affaires sans dégâts irréversibles – si on excepte, et c'est difficile de le faire, les grands faits meurtriers dus à la contestation intégriste. Le Trésor public et les scrupules citoyens Programme d'ajustement structurel ou non, dans les démarches de la politique économique jusque vers la fin du siècle, les rapports dans la pratique sociale ne souffraient pas de l'inégalité dans la répartition des valeurs et de la chance d'accéder aux rangs. Pendant que le citoyen courait après le logement social et un salaire un peu plus étoffé, il n'y avait pas encore à côté de lui, dans son quartier, un autre citoyen, de la même teneur d'utilité pour la nation, sinon beaucoup moindre, tentant de se faire frayer une piscine dans son jardin, après avoir rapatrié un 4x4 à un milliard et réussi un crédit faramineux pour importer des produits de consommation futile. Le troisième millénaire advient dans la formidable providence des coûts pétroliers en hausse permanente. Les caisses de l'Etat se remplissent agréablement pour le bonheur des diverses aspirations. Le nouveau chef de l'Etat prend sur lui de résoudre spectaculairement le problème de la dette – jamais vu dans les processus économiques et financiers de notre jeune république. L'argent coule à flots et les méthodes de gouvernance s'appuient énormément sur cette donne. Les idées pour bâtir et d'installer sont très louables – celle de donner la chance à la jeunesse par la formule de l'Ansej a fait reprendre de la confiance aux familles. Mais, hélas, le «nerf de la guerre», pour les batailles à gagner sur le développement des moyens de construire et de diriger, n'a pas été, dans les divers secteurs de l'activité nationale, placé avec le nécessaire des convictions patriotiques qu'il faut. Des intentions judicieuses dans les plans de développement, dans un domaine ou un autre, il en ressort souvent, malheureusement, du débordement de richesse parallèle, en capitaux ou en produits de valeur. À travers lesquels le marché informel se fortifie et les mentalités, dans l'osmose et le mimétique criminels, se désolidarise de la démarche nationale appropriée, voire du patriotisme. De l'inflation de l'économiste, qui traite du tiraillement entre l'offre et de la demande, de la parité du dinar par rapport à la norme du coût comparé de la richesse, du taux de chômage et des possibles de l'investissement national, on a assisté, au stade du baril à plus de 100 dollars, à une inflation dans l'ambition humaine. Psychologique chez l'individu et sociologique dans l'organisation des structures de la communauté : afin d'épargner un peu plus d'un dinar par jour pour la validité d'un passeport de dix années, le citoyen accepte de se transformer en bête de somme devant le guichet d'une daïra. Alors que dans cette terrible catégorie de citoyens qui agrée au mépris de l'interminable queue devant l'institution de l'Etat – pour un document de voyage – il y a une masse énorme de «contribuables» qui éprouve un malin plaisir à fuir le devoir fiscal. Et de cela, au moins de gagné dans les multiples volets de dépenses inutiles, dans ces journées de la fonte financière, des dispositions drastiques concernant les recouvrements des redevances envers l'administration publique, y sont indiquées. En même temps qu'une lutte sans merci contre les activités du commerce informel. Le prix du pétrole et du gaz peut continuer de descendre et il est aussi capable de remonter, d'atteindre le seuil mirifique de juin passé. Mais dans les deux cas, une grande rectification dans la relation du contribuable au Trésor public est salutaire pour la récupération du crédit de la nation. Dans l'idée qu'un commerçant qui ne possède pas un registre de commerce est un criminel et un citoyen qui ne paye pas ses impôts est un bandit. Quel que soit le niveau des caisses de l'Etat. N. B.