Assia Djebar est décédée. Il est difficile d'écrire une telle phrase. Parce que d'abord la perte est immense, ensuite, à cause de cette immensité, la nouvelle a mis du temps pour devenir une information avérée. L'historienne et écrivaine, membre de l'Académie française, est décédée, vendredi soir dernier, dans un hôpital parisien des suites d'une longue maladie, a annoncé, hier, la Chaîne 3 de la Radio nationale. Assia Djebar, née Fatma-Zohra Imalayène à Cherchell le 30 juin 1936, s'est mise à l'écriture dès l'âge de 19 ans en signant, en 1955, la Soif, avec lequel elle adoptera son nom d'auteure. Et ne s'arrêtera plus. Romans, poésies et essais suivront. Sa soif inextinguible d'expression la poussera à investir d'autres formes d'écriture, elle produira des textes pour le théâtre et investira le monde du 7e art où elle se distinguera avec deux films, la Nouba des femmes du mont Chenoua (1978), long-métrage qui décrochera le prix de la Critique internationale à la Biennale de Venise de 1979, et un court-métrage La Zerda ou les chants de l'oubli (1982). Cette foultitude d'écrits projettera Assia Djebar sur la scène internationale. Ses textes seront traduits dans une vingtaine de langues. La notoriété se doublera de reconnaissance. L'auteure est élue, en 1999, membre de l'Académie royale de langue et de littérature françaises de Belgique. Six ans après, le 16 juin 2005, c'est la consécration. Assia Djebar est élue à l'Académie française. Elle occupe le fauteuil 5, succédant à Georges Vedel. Elle est également docteur honoris causa des universités de Vienne (Autriche), de Concordia (Montréal), d'Osnabrück (Allemagne). Elle est la première femme algérienne à siéger parmi les Immortels. Et Assia Djebar ne manquera pas de surligner son algérianité et son islamité dans le discours de réception qu'elle a prononcé sous la coupole, quand elle a pris séance à l'Académie française, le 22 juin 2006. Après avoir rendu hommage à Georges Vedel sur près des deux tiers de son intervention, l'académicienne reviendra sur le drame algérien sous le joug colonial. «Il fut vécu, sur ma terre natale, en lourd passif de vies humaines écrasées, de sacrifices privés et publics innombrables, et douloureux, cela, sur les deux versants de ce déchirement. L'Afrique du Nord, du temps de l'Empire français, -comme le reste de l'Afrique de la part de ses coloniaux anglais, portugais ou belges- a subi, un siècle et demi durant, dépossession de ses richesses naturelles, déstructuration de ses assises sociales, et, pour l'Algérie, exclusion dans l'enseignement de ses deux langues identitaires, le berbère séculaire, et la langue arabe dont la qualité poétique ne pouvait alors, pour moi, être perçue que dans les versets coraniques qui me restent chers [...], le colonialisme a été une immense plaie ! Une plaie dont certains ont rouvert récemment la mémoire, trop légèrement et par dérisoire calcul électoraliste.» De son écriture, elle dira que c'est une activité permanente, une quête... un «ijtihad». Quant à sa langue d'écriture, son français, Assia Djebar dit qu'il est illuminé de la nuit des femmes du mont Chenoua. «J'emporte outre Atlantique leurs sourires, images de ‘‘shefa'', c'est-à-dire de guérison. Car mon français, doublé par le velours, mais aussi les épines des langues autrefois occultées, cicatrisera peut-être mes blessures mémorielles [...], c'est mon vœu final de ‘‘shefa'' pour nous tous, ouvrons grand ce ‘‘Kitab el shefa'' ou Livre de la guérison (de l'âme) d'Avicenne/Ibn Sina...», avait conclu l'académicienne qui avait fait tinter trois mots en arabe dans le temple de langue française qu'elle vient de quitter sans tambour ni fanfare. H. G.