Boko Haram a pris de court tout le monde en s'attaquant, durant le week-end et pour la première fois, au Niger, au moment où toute l'attention était captée par le double-scrutin présidentiel et législatif du 14 février, reporté jusqu'au 28 mars prochain. Certes, les spécialistes du terrorisme avaient signalé la présence de Boko Haram sur le sol nigérien, mais d'aucun n'a prévu que ce mouvement allait mener des attaques, qui lui ont d'ailleurs coûté cher à regarder le bilan officiel de ses pertes humaines. Jusqu'à samedi dernier, profitant de la faiblesse des Etats voisins aux frontières poreuses, Boko Haram s'était servi du Niger comme base-arrière pour faire transiter ses armes et pour aussi recruter des djihadistes ou en envoyer au Mali et en Libye. Avant le Niger, Boko Haram a multiplié ses incursions en territoire camerounais, en s'attaquant à plusieurs villages du nord du Cameroun et enlevant des dizaines de personnes. Si on peut expliquer, en partie, les raisons des attaques menées par ce mouvement au Cameroun, en remontant aux origines présumées de sa création, il est difficile de le faire pour le cas du Niger. En effet, l'origine de ce mouvement islamiste, qui a obligé Abuja à repousser la date des élections présidentielle et législatives, ne remonterait pas à 2003, à en croire les chercheurs. «L'histoire de Boko Haram est floue, et les diverses recherches n'ont pas permis de remonter à ses origines. Selon plusieurs sources cependant, le groupe est né de l'action de quelques éléments extrémistes qui ont cherché à radicaliser des segments au nord du pays entre les années 1940 et 1990. Ses origines remonteraient aussi à un certain chef islamique camerounais, Muhammad Marwa, qui s'était installé à Kano dans les années 1980. Boko Haram aurait changé de forme depuis sa création en 2003», lit-on dans le numéro 59, datant de juin 2014, de la revue de l'Institut d'études et de sécurité (ISS). Selon l'ISS, le mouvement islamiste a décidé de passer à l'action armée en 2009, après l'assassinat de son leader Mohammed Yusuf. En dehors de l'esprit de vengeance contre l'alliance Abuja-Yaoundé-Niamey, y-a-t-il d'autres explications à l'attaque de Boko Haram contre le Niger, qui partage avec le Nigeria une frontière longue de 1 479 km ? Abubakar Shekau, l'actuel leader de Boko Haram, avait, en effet, menacé les trois chefs d'Etat du Cameroun, du Nigeria et du Niger de leur livrer une guerre sans merci. La vidéo qu'il a postée, au lendemain du massacre de Baga (2 000 morts au moins), peut attester de cette hypothèse. «Les rois d'Afrique, je vous défie de m'attaquer, je suis prêt», avait-il asséné dans cette vidéo, dans laquelle il avait revendiqué les tueries dans plusieurs villages de Baga qu'il a totalement rasé. Toutefois, il n'y a pas que la haine qui peut justifier une telle attaque sur les villages nigériens, frontaliers avec le Nord musulman du Nigeria, où Boko Haram a pris racine. Que cache donc l'action de Boko Haram en territoire nigérien, où l'armée française dispose de bases militaires dans le cadre de son opération Barkhane ? Officiellement, Boko Haram demeure un groupe indépendant, surtout après avoir échoué à obtenir des financements de la part de la première nébuleuse terroriste islamiste Al-Qaïda à laquelle il avait fait allégeance durant quelques temps. Mais cela n'exclut pas une alliance stratégique de ce mouvement avec les autres groupes terroristes islamistes qui activent au Mali, au Niger, au Tchad et en Somalie. «Sous différentes dénominations, la secte Boko Haram avait déjà existé dans les années 1980. Et, sous différentes dénominations, elle existera toujours. Pour la réprimer, dans les années 1970 et 1980, l'armée avait tué quelques milliers de personnes», avait déclaré un responsable nigérian lors d'une rencontre sécuritaire organisée à Bamako. Mais cela n'a pas réglé le problème. La répression menée par l'ancien président Olusegun Obasanjo n'a fait que radicaliser les membres de ce mouvement. Ce dernier a profité de la situation économique du pays, de la corruption et d'une alliance conjoncturelle avec certains politiques locaux pour recruter et réorganiser sa base, dont on ignore le nombre exact d'éléments. Aujourd'hui, après avoir réussi à faire repousser la date de l'un des plus importants rendez-vous politique du Nigeria et ouvert, parallèlement, un nouveau front au Niger, Boko Haram serait-il tenté de sceller définitivement son alliance avec Al-Qaïda au Maghreb islamique et le Mouvement pour l'unicité et le jihad en Afrique de l'Ouest ? Cela semblerait être le cas. Et cette supposition avait déjà été émise par de nombreux chercheurs qui avaient averti contre un embrasement généralisé de l'ensemble de la région sahélo-saharienne. L'«insertion (de Boko Haram) dans un djihadisme sous-régional aux connections globales, l'afflux d'armes libyennes en Afrique de l'Ouest et le recours aux attentats-suicides marquent, indubitablement, des nouveautés inquiétantes dans sa capacité de destruction et de nuisance. À cet égard, Boko Haram va encore faire parler d'elle dans les années à venir, et pas seulement au Nigéria ou au Mali», a résumé Antonin Tisseron, chercheur associé à l'Institut Thomas More, dans son analyse qui a été publiée en 2012 par Le Magazine de l'Afrique. Autrement dit, le pire est à venir. L. M.