Boko Haram a encore frappé au Nigeria, au moment où le président Goodluck Jonathan pensait redorer son lustre avec le "Davos africain" (Forum économique de l'Afrique), qui est passé inaperçu après un attentat à la voiture piégée dans la capitale Abuja et l'enlèvement de huit autres adolescentes, portant le nombre de rapt de filles à 208. Goodluck Jonathan, affaibli par les critiques contre la corruption de son administration, est maintenant décrié pour son impuissance à juguler les violences terroristes. L'attention dans le pays et ses partenaires est focalisée sur Boko Haram, groupe islamiste armé qui dit vouloir créer un Etat islamique dans le nord du Nigeria, notamment dans l'Etat de Borno, à majorité musulmane, et son fief historique. C'est la région où les adolescentes ont été enlevées, et où la ville de Gamboru Ngala a été rasée par eux. Les djihadistes ont pris le contrôle de la ville entière, puis ont fait du porte-à-porte pour abattre les gens qui n'ont pas pu fuir à temps vers le Cameroun voisin, et après l'avoir pillée, ils l'ont brûlée, selon les techniques des djihadistes du Sahel saharien au Mali. L'insurrection menée par Boko Haram, qui dure depuis cinq ans, a fait des milliers de morts au Nigeria, pays le plus peuplé d'Afrique et première économie du continent. Jusqu'à présent, les violences perpétrées par le groupe islamiste étaient concentrées dans le Nord-Est, son bastion historique. Mais les attentats qui ont frappé récemment Abuja, la capitale fédérale, rappellent la menace sérieuse que fait planer Boko Haram sur le pays tout entier. De secte locale, elle est devenue, au fil de ses contacts avec l'Aqmi dans le Sahel, une franchise d'Al-Qaïda et a étendu ses liens avec les Shebab de Somalie. Les trois organisations opèrent de la même façon depuis qu'elles ont établi des passerelles et coopèrent étroitement. Depuis qu'Aqmi a été chassé par la France du nord Mali en 2013, les liens entre ces groupes sont passés au stade opérationnel, selon plusieurs services de la région, ce qui est corroboré par les services français et américains, lesquels sont persuadés que les fils de la toile remontent désormais vers Maiduguri, une ville du nord du Nigeria, "berceau" de Boko Haram. Kunle Amuwo, un chercheur nigérian, est persuadé que le passage de secte à une organisation structurée date de quelques années grâce à des appuis financiers et doctrinaux extérieurs, ce qui explique selon lui son mode opératoire, qui implique le recours à la voiture piégée, aux kamikazes et aux rapts d'humains, et l'évolution de son discours proche de celui d'Aqmi et, partant, d'Al-Qaïda. C'est une évidence ces derniers mois. La communauté internationale ne s'y est pas trompée, exigeant du président nigérian de considérer Boko Haram non plus comme une communauté d'"illuminés" mais comme des djihadistes. Fondé en 2002 à Maiduguri autour d'une petite mosquée, de sa médersa et de son prédicateur fondamentaliste Mohammed Yusuf, Boko Haram, qui signifie en haoussa "l'éducation occidentale est un péché", le mouvement qui prône l'instauration d'un émirat islamique connaît un succès rapide, d'autant que le nord du Nigeria est une région pauvre, abandonnée par les autorités fédérales. Son gourou se politise, impose à ses sujets un respect strict de la charia et engage la lutte contre le gouvernement central "impie". Il vise d'abord les églises, les bars, puis les administrations et les forces de sécurité à partir de 2009, lorsque l'armée déclenche une vaste opération à Maiduguri. L'armée se montre sans nuances : 800 morts parmi les civils, Mohammed Yusuf, arrêté vivant, est tué en prison. Dès lors, la secte va se radicaliser et porter le djihad également hors de ses fiefs du Nord. Boko Haram prend de la pâte et participe à la création d'un axe terroriste en Afrique dont l'ambition est de naviguer de la Mauritanie à la Somalie en passant par le Sahel saharien avec une boucle sur le Nigeria. Alors qu'Aqmi a investi le Sud libyen et le nord du Niger, après la débâcle assénée par l'opération militaire française dans le Nord Mali, que les Shebab somaliens opèrent jusqu'au Kenya, Boko Haram apparaît comme une nouvelle menace au cœur du continent, l'organisation s'emploie également à exporter son combat et son idéologie dans les pays voisins du Niger, du Tchad, du Cameroun et de la République centrafricaine. Boko Haram est dirigé par un certain Abu Muhammad Abubakar bin Muhammad, aussi appelé "Shekau", ses partisans s'accoutrent comme leurs frères d'Aqmi et les talibans : longues barbes et foulards rouges ou noirs. D. B. Nom Adresse email