Le Yémen se retrouve aujourd'hui plus que jamais face à une situation extrême mais loin d'être inédite. Le pays a déjà connu ce déchirement territorial entre le Nord et le Sud, ponctué de luttes fratricides. Le conflit s'est durci malgré un appel du Conseil de sécurité de l'ONU à préserver l'unité du pays. Les Houthis continuent leur action dans l'objectif de s'imposer sur tout le territoire yéménite. Ils acheminent des renforts vers le Sud, avec comme but la ville d'Aden où justement est retranché le président Abdrabbou Mansour Hadi, qui tente de résister. La progression des Houthis se heurte à la ténacité de tribus du Sud. Ces dernières tentent d'empêcher les Houthis de prendre le contrôle de leur ville Taez après avoir conquis son aéroport. Les Houthis, qui contrôlent la capitale Sanaa et le nord du Yémen, bénéficient de puissants relais au sein de l'armée parmi les fidèles de l'ex-président, Ali Abdallah Saleh, au pouvoir de 1978 à 2012. Saleh a choisi de miser sur les Houthis alors que Hadi est soutenu par les monarchies du Golfe, notamment le puissant voisin du nord, l'Arabie saoudite. La présence de Saleh dans le camp des Houthis pourrait constituer l'élément prépondérant dans cette guerre de position. Non pas que l'ex-Président soit populaire dans les différentes provinces du Yémen, mais sa grande expérience à la tête de ce pays (30 ans) très difficile à gouverner pourrait particulièrement peser dans l'évolution de la situation. Hadi a fui Sanaa et s'est réfugié en février à Aden, deuxième ville du pays. Il a promis de tout faire pour que «le drapeau de la République du Yémen flotte sur les montagnes de Maran à Saada et non pas le drapeau iranien». La référence directe à l'Iran illustre le fait que ce conflit dépasse le cadre interne. Les Houthis qui détiennent un soutien franc de Téhéran ont appelé à «la mobilisation générale» pour poursuivre l'offensive lancée par leurs forces dans le Sud. Une offensive qui vise les extrémistes d'Al-Qaïda et du groupe Etat islamique (Daech). Ce dernier, avec la revendication des sanglants attentats-suicides qui ont fait 142 morts et 351 blessés dans deux mosquées de Sanaa, devient de facto acteur direct de cette nouvelle guerre du Yémen. Scénario à la libyenne Aujourd'hui le Yémen se dirige inévitablement vers «une guerre civile». Le pays risque la «dislocation» avec «une division croissante entre le Nord et le Sud», estime l'ONU. Le fait que ni les Houthis n'ont la possibilité de contrôler l'ensemble du pays, ni le président Hadi n'a la force de reprendre le contrôle de la situation devrait maintenir une tension permanente au Yémen. L'on s'acheminerait inévitablement vers un scénario à la libyenne avec un territoire et deux capitales qui se font la guerre détruisant le pays. Ce qui n'est pas sans nous rappeler 1994, lorsque les forces d'Ali Abdallah Saleh ont arraché la ville d'Aden des mains des sécessionnistes de l'époque. À la différence que les adversaires d'hier se retrouvent aujourd'hui dans le même camp, à savoir celui des Houthis. Aujourd'hui que les tensions entre l'Iran et l'Arabie saoudite sont exacerbées à cause des conflits environnants (Syrie, Irak), les observateurs évoquent des conséquences d'ordre stratégique. En progressant vers le sud-ouest du Yémen, les Houthis devraient contrôler le fameux détroit de Bab al-Mandab, point d'importance par lequel transite une partie non négligeable du trafic maritime international. Ce détroit entre la mer Rouge et le Golfe d'Aden, qui sépare l'Afrique de la Péninsule arabique, est situé à proximité de la grande ville de Taëz, aujourd'hui au cœur de la lutte. C'est cet éventuel scénario qui donne une dimension géopolitique au conflit yéménite. Les puissances occidentales et Israël verraient d'un mauvais œil le fait qu'une force ayant des liens présumés avec l'Iran, pays qui contrôle déjà le détroit stratégique d'Ormuz, s'impose sur le détroit de Bab al-Mandab. «Dans ce cas, l'Iran serait le principal bénéficiaire et aurait en main une carte pour faire pression sur les puissances mondiales dans les négociations sur le dossier du nucléaire iranien», estiment des analystes. Le détroit de Bab al-Mandab, situé à 150 km à l'ouest d'Aden, pourrait devenir dans les jours prochains le point de fixation sur lequel se concentrera la guerre fratricide entre le Nord et le Sud du Yémen. M. B.