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Olmert, Livni et Barak ont porté un coup à leur pays
Henry Siegman, ancien directeur de l'American Jewish Congress, dément Israël
Publié dans La Tribune le 31 - 01 - 2009

Les gouvernements et la plupart des médias occidentaux ont accepté nombre d'assertions israéliennes, justifiant l'assaut militaire sur Ghaza : que le Hamas avait constamment violé puis ensuite refusé de prolonger la trêve de six mois qu'Israël avait respectée ; qu'Israël n'avait donc d'autre choix que de détruire la capacité du Hamas de lancer des missiles sur les villes israéliennes ; que le Hamas est une organisation terroriste, appartenant au réseau jihadiste mondial, et qu'Israël a non seulement agi pour sa propre défense mais au nom de la lutte internationale que mènent les démocraties occidentales contre ce réseau.
Je n'ai connaissance d'aucun journal, station de radio ou de TV américains d'importance dont la couverture de l'assaut sur Ghaza ait interrogé cette version des événements. Les critiques dirigées contre les actions d'Israël, si tant est qu'il y en ait eu (et il n'y en a eu aucune émanant de l'administration Bush), ont plutôt convergé sur le fait de savoir si le carnage des forces armées israéliennes est proportionnel à la menace qu'elles tentaient de contrer, et si elles prenaient des mesures suffisantes pour éviter les victimes civiles.
Les questions concernant la paix du Moyen-Orient sont en général décrites en termes d'euphémismes trompeurs.
Je voudrais au contraire déclarer ici, sans ambages, que chacune de ces assertions est un mensonge. C'est Israël, et non pas le Hamas, qui a violé la trêve : le Hamas avait accepté d'arrêter ses tirs de roquettes sur Israël ; en retour, Israël devait alléger sa pression sur Ghaza. En fait, pendant la trêve, elle s'est accrue. Ceci a été confirmé non seulement par tous les observateurs et ONG internationaux neutres présents sur place mais aussi par le brigadier général de réserve Shmuel Zakai, un ancien commandant de la division de Ghaza des forces armées israéliennes. Dans un entretien accordé à Ha'aretz, le 22 décembre, il a accusé le gouvernement d'Israël d'avoir fait une «erreur majeure» pendant la tahdiyeh, la période de six mois de trêve relative, en «empirant nettement la situation économique catastrophique des Palestiniens de la bande de Ghaza, au lieu de profiter du calme pour l'améliorer… Quand on établit une tahdiyeh, et que la pression économique sur Ghaza se poursuit, il est évident que le Hamas essayera d'obtenir une tahdiyeh améliorée, et que leur façon de l'atteindre est la reprise des lancers de Qassam. On ne peut pas simplement donner des coups, maintenir les Palestiniens de Ghaza dans leur détresse économique, et s'attendre à ce que le Hamas se contente simplement de s'asseoir sans agir», déclarait le général Zakai. La trêve, qui a commencé en juin l'an dernier et devait être renouvelée au mois de décembre, exigeait des deux parties qu'elles s'abstiennent de toute action violente l'une contre l'autre. Le Hamas devait cesser ses tirs de roquettes et empêcher les tirs des autres groupes comme le djihad islamique (même les agences de renseignement d'Israël ont reconnu que ce ceux-ci avait été exécutés avec une efficacité étonnante), et Israël devait mettre fin à ses assassinats ciblés et ses
incursions militaires. Cette entente a été sérieusement violée le 4 novembre, quand les forces armées israéliennes sont entrées dans Ghaza et ont tué six membres du Hamas. Le Hamas a répondu en lançant des fusées Qassam et des missiles Grad. Il avait même offert d'étendre la trêve, mais seulement à condition qu'Israël mette fin à son blocus. Israël a refusé.
Il aurait pu remplir son devoir de protection de ses citoyens en consentant à alléger le blocus, mais n'a même pas essayé. On ne peut affirmer qu'Israël ait lancé son attaque pour protéger ses citoyens des roquettes. Il l'a fait pour protéger son droit à poursuivre l'étranglement de la population de Ghaza.
Tout le monde semble avoir oublié que le Hamas avait déclaré mettre fin aux attaques suicide et aux lancers de roquettes lorsqu'il a décidé de se joindre au processus politique palestinien, et avait pour l'essentiel respecté ses engagements pendant plus d'un an. Bush avait publiquement bien accueilli cette décision, la citant comme un exemple du succès de sa campagne pour la démocratie au Moyen-Orient. (Il n'en avait aucun autre à revendiquer). Quand le Hamas a surpris en gagnant les élections, Israël et les Etats-Unis ont immédiatement cherché à délégitimer le résultat et ont pris le parti de Mahmoud Abbas, le leader du Fatah, qui avait été jusque-là écarté par les dirigeants d'Israël qui le traitaient de «volaille plumée». Ils ont armé et entraîné ses forces de sécurité pour renverser le Hamas ; et quand le Hamas a anticipé - brutalement, sans conteste - cette tentative de renversement par la violence du résultat de la première élection démocratique honnête au Moyen-Orient, Israël et l'administration Bush ont imposé le blocus.
Israël cherche à contredire ces faits indiscutables en maintenant qu'en retirant les colonies israéliennes de Ghaza en 2005, Ariel Sharon a offert au Hamas la chance de prendre le chemin de l'indépendance, une chance qu'il aurait refusé de saisir ; au lieu de cela, il aurait transformé Ghaza en un base de lancement de missiles sur la population civile d'Israël. L'accusation est doublement mensongère. D'abord, quels que soient ses défauts, le Hamas avait restauré à Ghaza, pour la première fois depuis plusieurs années, un niveau de loi et d'ordre inconnu, et y avait réussi sans les grandes sommes d'argent que les donateurs ont fait pleuvoir sur l'Autorité palestinienne menée par le Fatah. Il a éliminé les bandes et les chefs militaires violents qui terrorisaient Ghaza sous le règne du Fatah.
Les musulmans non pratiquants, les chrétiens et les autres minorités ont une liberté religieuse sous la direction du Hamas plus grande qu'ils ne l'auraient en Arabie saoudite, par exemple, ou dans beaucoup d'autres régimes arabes.
Le plus grand mensonge est que le retrait de Sharon de Ghaza ait été voulu comme un prélude a de plus amples retraits et à un accord de paix. Voici comment le conseiller principal de Sharon, Dov Weisglass, qui était aussi son négociateur principal avec les Américains, avait décrit le retrait de Ghaza, dans un entretien avec Ha'aretz en août 2004 : «L'accord auquel je suis en réalité parvenu avec les Américains était qu'une partie des colonies [les principaux blocs de colonies en Cisjordanie, Ndlr] ne ferait pas du tout partie d'éventuelles négociations, et que le reste ne serait traité que lorsque les Palestiniens deviendraient des Finlandais… La signification [de l'accord avec les Etats-Unis] est le gel du processus politique. Et quand vous gelez ce processus, vous empêchez l'établissement d'un Etat palestinien et vous empêchez une discussion sur les réfugiés, les frontières et Jérusalem. En réalité, la totalité de ce qui est appelé l'Etat palestinien, avec tout qu'il signifie, a été enlevé de notre programme indéfiniment. Et tout ceci avec l'autorité et la permission [du Président Bush]… et la ratification des deux Chambres du Congrès.»
Israéliens et Américains pensent-ils que les Palestiniens ne lisent pas les journaux israéliens, ou que quand ils ont vu ce qui arrivait en Cisjordanie ils ne pourraient pas déchiffrer ce que Sharon préparait ? Le gouvernement d'Israël aimerait que le monde croie que le Hamas a lancé ses roquettes Qassam parce que c'est ce que font les terroristes et que le Hamas est un groupe intrinsèquement terroriste. En fait, le Hamas n'est pas plus une «organisation de terreur» (le terme préféré d'Israël) que le mouvement sioniste ne l'a été pendant sa lutte pour une patrie juive. A la fin des années 1930 et dans les années 1940, les partis du mouvement sioniste ont recouru aux activités terroristes pour des raisons stratégiques. Selon Benny Morris, c'est l'Irgoun qui a le premier visé des civils. Il écrit dans les Righteous Victims qu'une vague de terrorisme arabe en 1937 «a déclenché une vague d'attentats à la bombe contre les foules et les autobus arabes par l'Irgoun, introduisant une nouvelle dimension au conflit». Il documente aussi des atrocités commises pendant la guerre de 1948-49 par les forces armées israéliennes, admettant dans un entretien de 2004, publié dans Ha'aretz, que le matériel déclassifié par le ministère de la Défense israélien a montré qu'«il y avait eu beaucoup plus d'actes de massacre israéliens que je ne l'avais pensé auparavant… En avril-mai 1948, il a été donné aux unités du Haganah des ordres d'action qui déclaraient explicitement qu'ils devaient déraciner les villageois, les expulser et détruire les villages». Dans un certain nombre de villages et de villes palestiniennes, les forces armées israéliennes ont procédé à des exécutions organisées de civils. Interrogé par Ha'aretz pour savoir s'il condamnait le nettoyage ethnique, Morris a répondu que ce n'était pas le cas : «Il ne pouvait pas y avoir un Etat juif sans le déracinement de 700 000 Palestiniens. Il était donc nécessaire de les déraciner. Il n'y avait d'autre choix que celui d'expulser la population. Il était nécessaire de nettoyer l'arrière-pays et les secteurs frontaliers ainsi que les routes principales. Il était nécessaire de nettoyer également les villages à partir d'où on tirait sur nos convois et nos colonies.»
En d'autres termes, quand les juifs ciblent et tuent des civils innocents pour faire avancer leur lutte nationale, ils sont des patriotes. Quand leurs adversaires le font, ce sont des terroristes.
Il est trop simple de décrire le Hamas simplement comme une «organisation de terreur». C'est un mouvement nationaliste religieux qui recourt au terrorisme, comme le mouvement sioniste l'a fait pendant sa lutte pour l'indépendance, dans la conviction erronée que c'est le seul moyen de mettre fin à une occupation oppressive et entraîner la formation d'un Etat palestinien. Alors que l'idéologie du Hamas appelle formellement à établir un Etat palestinien sur les ruines de l'Etat d'Israël, ceci ne détermine pas les véritables politiques du Hamas aujourd'hui, pas plus que la même déclaration dans la charte de l'OLP ne déterminait les actions du Fatah.
Ce ne sont pas là les conclusions d'un apologiste du Hamas mais les opinions de l'ancien chef du Mossad et conseiller de sécurité nationale de Sharon, Ephraim Halevy. La direction de Hamas a connu un changement «sous notre nez même», écrivait récemment Halevy dans le Yedioth Ahronoth, en reconnaissant que «son objectif idéologique n'est pas réalisable et ne le sera pas dans l'avenir prévisible».
Il est maintenant prêt et désireux de voir l'établissement d'un Etat palestinien dans les frontières temporaires de 1967. Halevy notait alors que le Hamas n'a pas précisé à quel point ces frontières seraient «temporaires».
«Ils savent qu'à partir du moment ou un Etat palestinien est établi avec leur coopération, ils seront obligés de changer les règles du jeu : ils devront adopter une voie qui pourrait les mener loin de leurs objectifs idéologiques originaux».
Dans un article précédent, Halevy avait aussi insisté sur l'absurdité qu'il y a à relier le Hamas à Al Qaïda.
Aux yeux d'Al Qaïda, les membres du Hamas sont perçus comme des hérétiques, en raison de leur désir affirmé de participer, même indirectement, aux processus de n'importe quel entente ou accord avec Israël. La déclaration [du chef du bureau politique du Hamas, Khaled Mashaal] contredit diamétralement l'approche d'Al Qaïda, et fournit à Israël une occasion, peut-être historique, de l'utiliser pour le mieux.
Alors pourquoi les dirigeants d'Israël sont si déterminés à détruire le Hamas ? Parce qu'ils croient que sa direction, contrairement à celle du Fatah, ne peut pas être intimidée pour accepter un accord de paix qui établisse un «Etat» palestinien composé d'entités territorialement déconnectées sur lesquelles Israël pourrait garder un contrôle permanent. Le contrôle de la Cisjordanie a été l'objectif permanent de l'armée, du renseignement et des élites politiques d'Israël depuis la fin de la Guerre des Six jours. Ils croient que le Hamas ne permettrait pas une tellle «cantonisation» du territoire palestinien, quelle que soit la durée de l'occupation. Ils peuvent avoir tort concernant Abbas et sa cohorte usée, mais ils ont tout à fait raison concernant le Hamas.
Les observateurs moyen-orientaux se demandent si l'assaut d'Israël contre le Hamas arrivera à détruire l'organisation ou à l'expulser de Ghaza. Ceci est une question impertinente. Si Israël a l'intention de garder le contrôle sur la future entité palestinienne, il ne trouvera jamais un partenaire palestinien, et même s'il arrive à démanteler le Hamas, le mouvement sera, avec le temps, remplacé par une opposition palestinienne bien plus radicale.
Si Barack Obama choisit un émissaire au Moyen-Orient qui s'accroche à l'idée que les outsiders ne devraient pas présenter leurs propres propositions pour un accord de paix juste et viable, encourageant ainsi les parties à renforcer leurs différences au lieu de les résoudre, il rend assuré la naissance d'une future résistance palestinienne, de loin plus extrême que celle du Hamas - probablement alliée avec Al Qaïda. Pour les Etats-Unis, l'Europe et la plupart du reste du monde, ceci serait la pire issue possible. Peut-être que quelques Israéliens, dont les leaders des colons, croient-ils que cela servirait leurs buts, puisque cela fournirait au gouvernement un prétexte irrésistible pour tenir toute la Palestine. Mais ceci est une illusion qui provoquerait la fin d'Israël en tant qu'Etat juif et démocratique. Anthony Cordesman, un des analystes militaires les plus fiables du Moyen-Orient, et un ami d'Israël, affirme, dans un rapport publié le 9 janvier par le Center for Strategic and International Studies, que les avantages tactiques d'une continuation de l'opération à Ghaza étaient contrebalancés par le coût stratégique - et n'étaient probablement pas plus grands que n'importe quel gain qu'Israël aurait pu obtenir tôt dans la guerre grâce à des frappes sélectives sur des installations-clés du Hamas. «Israël s'est-il d'une manière ou d'une autre empêtré dans une guerre d'escalade sans un objectif stratégique clair, ou a-t-il au moins un objectif qu'il puisse atteindre de façon crédible ?», s'interroge-t-il. «Israël finira-t-il par renforcer, politiquement, un ennemi qu'il aura battu en termes tactiques ? Les actions d'Israël compromettront-elles sérieusement la position des Etats-Unis dans la région, l'espoir de paix, de même que les régimes et les voix arabes modérés dans le processus ? Pour répondre sans ambages, la réponse jusqu'ici semble être oui». Cordesman conclut que «n'importe quel dirigeant peut adopter une position intransigeante et proclamer que les gains tactiques représentent une victoire significative. Si c'est tout ce que Olmert, Livni et Barak ont pour réponse, alors ils se sont déshonorés et ont porté un coup à leur pays et leurs amis».
H. S.
*Henri Siegman dirige le US Middle East Project, à New York. Il est professeur associé à la School of Oriental and African Studies de l'université de Londres. Par le passé, il a occupé, de 1978 à 1994, le poste de directeur de l'American Jewish Congress et du Synagogue Council of America.
*Né en 1930 à Francfort, Henry Siegman a fui l'Allemagne avec sa famille à l'arrivée de Hitler au pouvoir en 1933, pour la Belgique et la Hollande, avant de parvenir aux Etats-Unis au début des années 1940. Il a grandi comme juif judaïsant, qui a fait des études rabbiniques et a servi comme aumônier dans l'armée américaine pendant la guerre de Corée (1950-1953).
In London Review of Books (15 janvier 2009)


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