Le Liban est confronté à une importante manifestation organisée par la société civile pour exprimer son hostilité envers une classe politique jugée corrompue et incapable de garantir les services de base, 25 ans après la fin de la guerre civile. La manifestation dit refuser de s'inscrire dans un quelconque projet politique. Le rassemblement s'est installé à la Place des Martyrs, lieu symbolique du centre de Beyrouth où durant la guerre civile (1975-1990) passait la ligne de démarcation séparant la partie de la capitale à majorité chrétienne et celle à majorité musulmane. Pour éviter que se répètent les actes de violence survenus lors des premières manifestations le week-end dernier et imputés à des «fauteurs de troubles», les organisateurs ont constitué un service d'ordre de 500 membres. La police doit encadrer la manifestation et l'armée se positionner sur les routes menant au lieu du rassemblement. Organisée par le collectif «Vous puez», la campagne a commencé avec la crise des ordures provoquée à la mi-juillet par la fermeture de la plus grande décharge du Liban et l'amoncellement des déchets dans les rues de la capitale et des autres villes du pays. Mais au delà de la crise des déchets, elle illustre plus généralement le ras-le-bol d'une partie de la population contre la corruption endémique, le dysfonctionnement de l'Etat et la paralysie des institutions politiques. Vingt-cinq ans après la fin de la guerre, l'électricité est rationnée dans tout le pays et chaque été l'eau vient à manquer dans de nombreuses régions, notamment Beyrouth, alors que le Liban est le pays le plus arrosé du Moyen-Orient, mais manquant cruellement de barrages. Les organisateurs exigent la démission du ministre de l'Environnement Mohammad Machnouk, le transfert de la collecte des déchets aux municipalités, le jugement des auteurs des violences du week-end dernier et la tenue d'élections législatives. Depuis les dernières élections de 2009, le Parlement a prolongé à deux reprises son mandat et les députés n'ont pas réussi à élire un président de la République, poste vacant depuis mai 2014. Dans ce pays profondément divisé où le système politique est basé sur la répartition confessionnelle, la manifestation a un caractère unitaire éloigné du morcellement entre communautés. Les analystes notent la fracture entre une partie de la population et ses dirigeants. «Ce qui se passe aujourd'hui est différent de tout ce que nous avons vu. Ce mouvement n'est pas politisé, n'est lié à aucun mouvement politique. On n'avait jamais vu ceci dans le passé. C'est important. Le mouvement a été capable d'unifier les gens qui sont dégoûtés par les politiciens», note Jad Chaaban, professeur d'Economie à l'Université américaine de Beyrouth. Pour Fadia Kiwan, professeur de Sciences politiques à l'Université Saint Joseph «ce mouvement, quel que soit la suite, a déjà secoué la confiance des citoyens dans leur élite politique. Il a secoué l'édifice». R. I.