Par A. Samil Triste ironie du sort, l'attentat d'hier commis sur une esplanade mitoyenne de la gare d'Ankara a été perpétré contre des manifestants en majorité jeunes et pacifistes qui arboraient des bannières aux antipodes de toute violence : «Travail, paix et démocratie.» Organisée à l'appel de plusieurs syndicats et partis de gauche dont des pro-kurdes ainsi que d'ONG de la société civile, la manifestation a démarré dans une ambiance bon enfant et festive. Ses objectifs comme ses mots d'ordre se voulaient profondément pacifiques et en appelaient à une cessation des hostilités entre le régime d'Erdogan et les groupes du PKK, le parti kurde autonomiste qui combat dans le sud du pats. Le premier bilan est de 86 morts, nombre qui sera forcément revu à la hausse au vu de la gravité des blessures dont ont été victimes près de 190 manifestants. Autant dire que le summum de l'horreur a été atteint avec cet attentat d'une ampleur sans précédent dans une capitale pourtant habituée aux atteintes à l'ordre public et aux scènes de violence. Les auteurs de l'attentat ou la partie commanditaire n'étaient pas identifiés hier, même si des sources proches des autorités ont évoqué la piste terroriste. Mais il ne pouvait pas plus mal tomber pour le président Tayyip Reduan Erdogan. Engagé dans des guerres à l'interne et l'externe, il se prépare à subir un test improbable dans trois semaines à l'occasion des législatives anticipées. Convoquées à son initiative pour tenter de retrouver une majorité absolue au Parlement, perdue lors des élections du 7 juin dernier. Contre toute attente, lors de cette dernière consultation, le Parti démocratique du peuple (HDP pro kurde) avait réussi à engranger 13% des suffrages considérés comme autant de voix en moins pour le parti islamiste d'Erdogan, l'AKP, qui détenait une majorité absolue depuis treize ans. Son Premier ministre n'ayant pas réussi à rallier d'autres partis pour rééquilibrer le score des urnes, des législatives anticipées étaient devenues inévitables. Mais aussi périlleuses pour le parti islamiste, car les principaux instituts de sondage turcs le créditent seulement de 38 à 40% des voix. Sur la corde raide, Erdogan et ses partisans se sont engagés dans une stratégie pré- électorale de diabolisation du parti légal kurde, le HDP accusé ouvertement de collusion avec le PKK. En jouant sur la peur que peut inspirer l'argument du terrorisme, le Président turc et son parti espèrent, plus, ils tiennent à tout prix à gagner les faveurs des ultra nationalistes qu'ils pensent effrayés par le «terrorisme» dont ils accablent le PKK. Le pari n'est pas seulement risqué, il est aventureux pour Erdogan sur certains plans, notamment celui de la géopolitique régionale. En prenant position et en soutenant des rebelles islamistes armés contre le régime de Damas, Erdogan risque de perdre avec la Russie de Poutine qui, elle, s'est engagée avec fracas aux côtés de Bachar el-Assad depuis le 30 septembre dernier avec une intervention militaire massive et impressionnante. Son engagement syrien au bénéfice d'une seule partie qu'il aide et arme, l'a placé dans une position d'adversaire vis-à-vis d'un de ses meilleurs partenaires économiques. Autre conséquence de sa politique aventureuse en Syrie, la Turquie accueille chez elle deux millions de réfugiés syriens et est devenue une zone de transit pour tous les groupes terroristes syriens. Grisé par la bonne santé économique de la Turquie sous son gouvernement, Erdogan se voyait déjà à la tête d'un empire ottoman ressuscité. Grave erreur de...vision (sic) A. S.