«Les projets que vous citez ont été décidés par la base et en ma qualité de premier responsable j'ai validé, après consultation du ministre», a souvent répété Mohamed Meziane. Ce dernier va soutenir qu'en sa qualité de haut cadre soumis à une obligation de réserve, il ne pourra pas parler des pressions subies de la part du DRS, mais laissera clairement entendre que les agents de ce service ont fait pression sur lui pour impliquer l'ex- ministre de l'Energie, Chakib Khelil. Il dira également que le bureau d'études CAD de Meliani Nouria lui a été recommandé du ministère mais aussi de «plus haut». «Je suis un enfant du peuple et je défendais Sonatrach» Du haut de ses 72 ans, Mohamed Meziane a commencé par évoquer son long parcours professionnel de plus d'une quarantaine d'années, où il a occupé de nombreux postes avant d'être nommé en septembre 2003 à la tête de Sonatrach. Quand le juge Reggad lui demande d'expliquer l'urgence évoquée par ses cadres en insistant sur la différence entre l'urgence dans la nature d'un projet et l'urgence dans son exécution, l'ex- P-dg de la firme pétrolière explique longuement son rôle dans la prévention et la gestion prévisionnelle. Le juge l'interrompe et lui fait remarquer que l'un des contrats de sécurisation a été octroyé en 2008, alors que l'instruction du ministre est datée de 2005, «Il ne pouvait donc pas avoir une urgence dans l'exécution ?» L'accusé parle de son rôle de gestionnaire prévoyant. Le juge insiste et demande à nouveau à l'accusé la raison pour laquelle il a reçu Contel Funkwerk en novembre 2004 pour l'exposé de son matériel alors que la première instruction ministérielle relative à la sécurisation des sites est datée de janvier 2005. Mohamed Meziane répondra alors : «Je rencontre souvent le ministre et je voyage avec lui. La sécurisation était une instruction du ministre. Je suis discipliné et respectueux de la hiérarchie. Mon ministre m'a donné un ordre, j'exécute.» Le tribunal va demander à l'accusé si le fait d'avoir reçu Contel en présence des membres du comité exécutif n'était pas, d'une certaine manière, une orientation pour octroyer le projet de sécurisation à cette entreprise. L'ex-P-dg, qui reconnaît que son fils Réda lui a parlé de son ami Al Ismaïl, propriétaire de l'entreprise Contel, et qu'il lui a demandé d'envoyé un fax, soutient qu'il a eu durant sa gestion à recevoir des centaines d'entreprises dans le même cadre. «Je reçois toujours en présence de mes cadres. Ma gestion est transparente. Mais je ne donne jamais un accord qu'après avoir consulté mes cadres. J'ai reçu Contel et une fois l'exposé terminé, j'ai dit à ses responsables que nous ne sommes pas experts dans le domaine et c'est tout. Je n'ai plus entendu parler de cette entreprise qu'en 2005.» Le juge demande à l'accusé de confirmer les noms des présents mais ce dernier préfèrera citer la fonction de chacun, à savoir «le responsable de la sécurité, de la production, de l'activité amont... ». «La R15 consacre l'appel d'offres comme principe fondamental. Pourquoi n'avoir pas pris en considération cette réglementation ?» demande le juge. A ce moment, Mohamed Meziane entre à nouveau dans une longue explication affirmant que Sonatrach qui n'est pas soumise au code des marchés publics, recourt à chaque fois à l'établissement des règles internes sur la base de l'expérience de l'entreprise dans la pratique courante, «d'ailleurs après mon départ, il y a eu plusieurs règles jusqu'à la R24». Il soulignera cependant que la R15 offre d'autres possibilités que l'appel d'offres, à savoir la consultation restreinte et le gré à gré. Revenant sur le premier projet, le CIS, relatif à la sécurisation des sites de Sonatrach, Mohamed Meziane explique qu'une fois l'instruction du ministre reçue et transmise à ses services, ces derniers ont commencé à faire le nécessaire et qu'«une lettre a été adressée à l'entreprise Contel qui avait fait une présentation pour un deuxième exposé devant les techniciens de Sonatrach à Hassi Messaoud. Un rapport positif a été établi à la suite de cette présentation ainsi qu'une demande d'autorisation au ministre pour le lancement du projet». «C'est Belkacem Boumediène qui a invité Contel Funkwerk à Hassi Messaoud ?», demande le juge mais l'accusé refuse toujours de citer les noms et donne la fonction de l'ex-vice-président. «Le ministre a donné son accord», a expliqué Mohamed Meziane certifiant au tribunal que «ce n'était pas sur mon orientation. Il était responsable et pouvait prendre de pareilles décisions. En ma qualité de P-dgj'avais d'autres charges : des réunions, des déplacements... C'est pour vous dire que le projet du CIS est une initiative de la base». Le juge demande si «le choix d'une seule entreprise sans concurrents n'allait-il pas lui permettre d'imposer ses prix ? » Et Mohamed Meziane sans réfléchir lâche : «Sonatrach est une entreprise du peuple. Nous sommes des enfants du peuple et notre seul souci est de la défendre». «J'ai dégradé mon fils qui, ne supportant pas l'humiliation, a fait une crise cardiaque» Après une pause d'une quinzaine de minutes, le juge va demander à l'accusé de revenir un à un sur les 5 projets mis en cause dans l'affaire Sontrach 1 relatifs à la sécurisation, mais ce dernier va continuer à en parler globalement assurant que son rôle de gestionnaire ne lui permettait nullement d'interférer dans le choix des entreprises ayant bénéficié des projets. «C'est au niveau de la base, des cadres et des techniciens que les choses se passent même quand il y a des appels d'offres, tout le processus est suivi dans le cadre de la réglementation. Il y a les commissions, les départements et une fois le dossier finalisé et avalisé par l'ensemble des services, il atterrit sur mon bureau et une demande de délégation de signature m'est faite dans le respect de la réglementation». Meziane en revenant sur une question du tribunal portant sur le projet CIS va préciser qu'il a ordonné, comme dans chaque projet, la négociation «chaque dinars ou dollars de gagner, est un plus pour Sonatrach». Le juge va demander à l'accusé si Contel n'a pas été choisie parce que l'entreprise lui a été présentée par son fils Réda et que son fils Fawzi y était comme actionnaire. L'accusé conteste et soutient qu'il ne savait pas pour Fawzi. Le juge va alors lui rappeler les déclarations de l'accusé Al Ismaïl qui a soutenu avoir remis les statuts de Contel à Sonatrach. Mohamed Meziane dit : «Les statuts ne sont pas à mon niveau et personne ne m'a fait part de cette situation.» Il racontera ensuite un épisode avec son fils Fawzi afin de démontrer sa rigueur dans la gestion. «Fawzi qui était cadre à Sonatrach a été promu par sa responsable. Un ami et collègue à lui, fils d'un ministre à l'époque, a fait part de cette promotion à son père. Ce dernier en a informé Chakib Khelil qui m'a convoqué. Je lui ai dit que je n'étais pas au courant, mais de retour à mon bureau, j'ai exigé qu'il soit rétrogradé malgré l'instance de sa responsable affirmant qu'il avait mérité sa promotion. Deux jours après, j'ai été appelé à l'hôpital. Fawzi ne supportant pas cette humiliation a fait une crise cardiaque. Il a ensuite demandé à quitter Sonatrach alors que je n'étais pas d'accord. Si je refuse à mon fils une promotion, comment puis-je lui accorder d'autres privilèges. Les seules interventions que j'ai eu à faire, et j'assume mes responsabilités, c'est d'accepter les demandes de recrutement que ma mère me remettait à chaque fois que j'allais lui rendre visite.» Mohamed Meziane va continuer à se défendre en se demandant pour quelle raison aucun de ses cadres ne lui a fait part du fait que son fils était actionnaire de Contel alors qu'il était très transparent dans sa gestion et qu'il donnait toute la latitude à ses responsables de parler de tous les détails. Il reviendra ensuite sur la première déclaration de Fawzi assurant que ce dernier l'a informé non pas pour Contel, mais pour la création de son entreprise de transport «et je lui ai dit, vas y, travaille dans la légalité et je vais t'aider». Le juge ne se lasse pas de revenir aux projets incriminés afin d'avoir des réponses claires de l'accusé. Il revient ainsi sur le contrat de la base du 24-Févirer octroyé de gré à gré à Contel. Meziane va à nouveau parler de plusieurs rapports sécuritaires faisant état d'un risque et même de l'attaque du site gazier Rhoudnous où les terroristes ont occupé la base vie pendant 4 jours. Il expliquera alors l'urgence de la sécurisation de la base vie du 24-Févier, occupée par des cadres étrangers et leurs familles et dira : «On avait le choix entre faire un appel d'offres qui allait prendre du temps ou recourir à un partenaire de Sonarach qui avait prouvé son efficacité. Car, il faut le dire parmi les entreprises que nous avons choisies pour la sécurisation, deux ont fait faillite et ont laissé des dettes alors que Contel Funkwerk et selon mes cadres, avait une note de 18/20. Le choix, pour moi, était évident.» Dans l'après-midi, le juge décide de poser des questions précises afin de mieux orienter l'interrogatoire. Il commence par demander à l'accusé s'il avait bien vendu sa villa de Khaïssia à Al Ismail. Mohamed Meziane va confirmer les dires de son fils en soutenant que sa famille ayant refusé d'y vivre, il a demandé à son fils de «faire ce qu'il voulait» de la villa et que ce dernier lui a appris qu'il l'avait vendu en 2003, mais qu'il n'avait pas reçu l'argent que bien après. «Et l'appartement achetée en France au nom de votre défunte épouse?» «Je préfère ne pas parler des menaces et des pressions subies parce que j'ai une obligation de réserve en ma qualité de haut cadre» Il reconnaît que la défunte lui a bien fait part de cette acquisition, mais bien après sans entrer dans le détail. «Elle connaissait ma mentalité et savait que je n'allais pas apprécier. Je n'ai même pas su le montant que lors de l'instruction», soutient Mohamed Meziane qui refusera d'entrer dans le détail, et ce ne sera pas la première fois, sous prétexte de l'obligation de réserves. «Je préfère ne pas parler des menaces et des pressions subies parce que j'ai une obligation de réserve en ma qualité de haut cadre», va répéter Mohamed Meziane à chaque fois qu'il niera ses propos inscrits dans les PV du DRS. Il dira concernant la somme de 650 000 euros que l'entreprise allemande Funkwerk a transféré à Al Ismaïl pour l'achat de l'appartement à la défunte Mme Meziane «Je n'étais pas au courant, il faut poser la question à l'entreprise». Le juge insiste en lui disant : «Aujourd'hui que vous le savez, est-ce que c'est normal?» Là Mohamed Meziane va dire : «Je ne veux pas parler des pressions. Il y a un agent du DRS qui m'a dit ‘‘parles des responsables''. Vous savez bien de qui je veux parler», dit Meziane avant de continuer. «Il a dit que si je parlais moi et mes fils, on sera mis hors de cause. Malgré mes 6 ans de prison, je ne peux pas faire un faux témoignage.» «Et les contrats de consulting de Réda et de la défunte» demande à nouveau le magistrat. «Je n'en avais pas connaissance». Le juge continue de lire certains passages de l'audition de l'accusé par le DRS où il avait reconnu certains faits. Mais Mohamed Meziane n'en démord pas. «J'ai l'obligation de réserves. Je ne peux pas parler de certaines choses. L'agent du DRS qui m'a accompagné chez le juge d'instruction lui a sommé de mettre sous mandat de dépôt. Ce que je peux vous dire, c'est que je n'ai pas fait ces déclarations. J'ai la conscience tranquille et la tête haute.» Le juge revient sur les déclarations des accusés qui ont tous affirmé que toutes les décisions prises, l'ont été avec l'accord du P-dg. L'accusé explique la responsabilité de chacun à son niveau dans le cadre du règlement et assure qu'il n'a jamais eu à interférer en sa qualité de responsable. «Chaque responsable a fait son travail en me faisant des propositions ou en formulant des demandes justifiées pour avoir mon accord. Pour l'ensemble des projets de sécurisation, il y avait des dossiers qui ont été étudiés dans au moins 5 réunions du comité exécutif et l'accord du ministre a été obtenu à chaque fois. C'est ce qui importe pour tout gestionnaire : la production et le bon fonctionnement». «Au mariage de mon fils Réda, j'ai rencontré Tolio Rossi, mais moi-même je n'étais qu'un invité» Le juge va passer ensuite au dossier du GK3, le projet du gazoduc dont le lot 3 a été octroyé à l'entreprise italienne Saïpem. Pour ce projet dont l'appel d'offres national et international devait être déclaré infructueux avec deux soumissions, mais pour lequel Sonatrach a décidé de poursuivre la consultation, Mohamed Meziane donnera les mêmes explications que les cadres qui ont eu à gérer le dossier et confirmera que le ministre consulté à opter pour la poursuite de la consultation. Le juge insistera pour savoir si la vraie raison n'est pas le fait que son fils Réda était consultant auprès de Saïpem, mais ce dernier soutient n'avoir pas été au courant. Il ne savait pas non plus que cette entreprise italienne a donné 400 millions de centimes à son fils pour acheter une voiture à sa femme. Il dira en tentant de se disculper qu'il est le premier défenseur des entreprises publiques. «J'ai donné des marchés de gré à gré à des entreprises publiques dont la réalisation d'un papeline vers l'Espagne et l'entreprise a fait plus d'une année de retard causant des pertes de 800 millions de dollars à Sonatrach. «Donc en tant que gestionnaire, le temps pour moi, c'est de l'argent», dit l'accusé. Le juge lui demande alors si Tolio Rossi, le patron de Saïpem était bien au mariage de son fils Réda, célébré en Tunisie. Et Meziane donne cette réponse un peu bizarre. «Oui, je lui ai dit bonjour ou bonsoir, mais je ne sais pas en quelle qualité, il était invité. Moi-même je n'étais qu'un invité.» Etonné, le juge lui rappelle alors qu'il avait déclaré avoir dit à son fils : «Sonatrach n'est pas ma propriété», lorsque ce dernier est intervenu pour les dettes de Saïpem. «Il faut dire qu'il y a les conditions de détention et la pression, raison pour laquelle il y a mélange. Il est vrai que Réda est venu me voir sur demande de la défunte Amel Zerhouni pour Saïpem, mais il ne m'avait pas parlé de son consulting», rectifie l'accusé. Le juge n'en a pas fini avec Mohamed Meziane et lui rappelle qu'il avait déclaré que son épouse malade a été prise par Euro-assistance dans un hôtel avant que la Sonatrach ne décide de lui louer un appartement. «C'était moins cher que l'Hôtel et je ne voulais pas que la Sonatrach dépense plus», dit Meziane. A ce moment, le juge rappelle Al Ismaïl à la barre et lui demande : «Vous avez déclaré que l'achat de l'appartement pour la défunte mère de Réda était sur sa demande parce qu'elle ne voulait pas rester dans un hôtel. Expliquez-nous ?» Al Ismaïl n'a pas le choix et ne peux revenir sur ses déclarations. «Je ne savais pas pour euro-assistance. Pour ma part, c'est ce que j'ai compris.» «Le bureau d'études CAD a beaucoup travaillé avec Sonatrach. Il a été proposé par le ministère et même plus haut». Le troisième et dernier volet incriminé dans le procès Sonatrach 1 est abordé à savoir la réhabilitation du siège Ghermoul par l'entreprise allemande Imtech qui a estimé le projet à 73 millions d'euros. Mohamed Meziane va revenir sur l'urgence déjà évoquée par l'un des accusés à savoir l'intention du Premier ministre d'octroyer le siège au ministère des Transports. «Le docteur Khelil ne voulait pas et m'a ordonné d'occuper le siège et de commencer les travaux rapidement. J'ai alors contacté Abdelwahab Aziz qui était directeur du siège. Il y a eu ensuite l'étude et les travaux». Le juge interrompe l'accusé et lui demande d'expliquer comment une consultation ouverte pour l'étude a été abandonnée pour aller vers un gré à gré avec le bureau d'études CAD. Meziane va tergiverser à nouveau et parlera des 1 000 cadres et ingénieurs récupérés par Sonatrach après la dissolution de BRC et expliquera que le dossier est passé d'une direction à une autre à cause de la lenteur et... Le juge l'interrompe et décide de poser des questions. «L'accusé Rahal vous a bien adressé un courrier pour vous informer du lancement d'un appel d'offres pour l'étude du projet?» Meziane dit n'en avoir aucun souvenir. Le juge appelle Rahal à la barre et ce dernier confirme ses déclarations d'avoir informé son P-dg par courier. Le juge demande à Mohamed Meziane si l'accusé Senhadji lui a bien également envoyé un courrier l'informant du gré à gré pour CAD. Le magistrat appelle également Senhadji pour confirmer ses dires. Et demande à Mohamed Meziane : «Comment pouvez-vous donner votre accord pour un appel d'offres et après accepter pour le même projet d'accorder le gré à gré?» L'ex-P-dg dit n'avoir donné son accord que pour Senhadji et non pour Rahal infirmant ainsi avoir pris connaissance de l'appel d'offres. Et c'est là qu'il ajoute : «Le bureau d'études CAD a beaucoup travaillé avec Sonatrach. Il a été proposé par le ministère et même plus haut». «Plus haut, c'est indéfini, précisez ce que vous voulez dire», demande le juge avant d'ajouter : «Dans le dossier, il n'y a que le nom de Réda Hamèche qui était votre chef de cabinet. C'est de lui que vous voulez parler?» «El Hamèche était conseiller du ministre». «Il était conseiller du ministre et votre chef de cabinet?» demande le juge et Mohamed Meziane de dire «Je suis discipliné». Le juge va poursuivre ses questions pour connaître la raison du gel et de l'annulation du projet. L'accusé va revenir sur les pressions du DRS subies par l'accusé Rahal qui l'ont amené à prendre dans un premier temps la décision du gel «pour y voir plus clair» et ensuite l'annulation avec l'accord du ministre, mais «lorsqu'on a décidé de résilier le contrat, il était bien clair entre Imtech et Sonatrach, que cette résiliation était sans conséquences pour les deux parties. Deux ans après Imtech a demandé 17,5% du montant du projet comme dédommagement. Il y a un mais dans cette histoire...c'est clair qu'il y a un mais», finit par lâcher Mohamed Meziane qui va continuer jusqu'à une heure tardive à répondre aux questions de la partie civile, du parquet et des avocats. H.Y.