Le poète a toujours raison et Louis Aragon n'avait pas tort de l'affirmer. Ahmed Fouad Nedjm, pyramide égyptienne de la poésie subversive, est, lui, toujours dans le vrai. Le patriarche des mots qui font mal comme des pierres, a, invariablement, trouvé dans le verbe séditieux une règle de déconstruction. Un moyen de démystification des régimes et des élites arabes. Sacré bonhomme ! A bientôt quatre-vingts ans, le verbe est toujours assassin, beau et juste comme une révolution inachevée. Son retour en Algérie, sa terre d'amour, sa seconde patrie, celle des amitiés complices, est l'occasion de le prouver encore. Rouleur de mots comme une Algérienne roulant des grains de couscous, son langage a conservé la succulence des mets roboratifs. Sa gastronomie poétique sent toujours bon et sa sémantique rebelle sonne encore juste. Dent dure et acérée, le lion du Nil n'a rien perdu de son appétence pour les mots. Les mots, encore et encore, surtout les «yeux des mots» pour fustiger la corruption des régimes autoritaires arabes. Toujours et toujours les mots pour stigmatiser les maux arabes et la compromission des élites. Et, de quelques autres mots, flétrir ces judas perpétuels comme le sont les clercs de pouvoir. Ah ! L'avant-garde intellectuelle arabe… «Elle est toujours dans un dialogue permanent avec des régimes qui occultent la voix des masses». Péché véniel de proximité. Alors, pour expier la faute d'accommodement avec les pouvoirs en place, elle doit effectuer le saut de la rédemption. S'immoler pour se purifier. Un seul geste donc, «se jeter dans une fosse profonde, s'asperger de pétrole et s'y mettre le feu.» Pessimiste le poète ? Non, extralucide. A ses yeux, qui voient encore aussi loin que portent ses mots, «il n'y a pas d'opposition politique et les islamistes sont devenus de sacrés opportunistes». De tous les islamistes, seul le Turc Tayyip Recep Erdogan a quelque grâce aux yeux du trouvère qui y voit «le meilleur des fondamentalistes». Quant à Hosni Moubarak, président passager d'une Egypte éternelle, il est «le président de la plus mauvaise période dans la vie du peuple égyptien qui s'entretue pour une miche de pain alors que son gaz naturel est vendu à bas prix à Israël.» Quelques mots et voilà le vieux maréchal d'aviation habillé pour l'hiver… S'il éreinte ainsi le successeur d'Anouar Essadate, il tresse en revanche de jolis lauriers à l'homme de la Révolution de juillet 1952. Aussi , même s'il a goûté aux geôles nassériennes, il estime que le «jour le plus noir de sa vie fut celui de son décès.» Sans rancune aucune, il raconte que sa mère, venue lui rendre visite en prison, le jour de la mort du raïs des raïs, lui a dit : «Le pilier de la tente s'est effondré.» Et le nationalisme arabe avec lui. Reste l'Algérie. Pour notre pays, Ahmed Fouad Nedjm a eu, hier, les yeux de Chimène. Et, aujourd'hui, la reconnaissance du cœur. Le poète y avait comme grâce divine une muse, une fée des planches furtive. Des amis aussi, moins évanescents. Comme l'immense Kateb Yacine et l'inoxydable Tahar Benaïcha. Pour le rhapsode, l'Algérie est forcément une femme qu'on aime et une égérie bienveillante. Et il en parle avec les yeux et les mots de l'amour : «L'Algérie est un bout de chair de mon cœur. La revoir, vingt-cinq ans après, c'est comme si je renaissais ou que je la revoyais après un séjour en prison. J'y reviens en sachant y retrouver le sein chaleureux que j'ai tant aimé». Avec les mots de la gratitude, Nedjm, dont la muse est une étoile au firmament de la poésie, propose qu'Alger accueille symboliquement la manifestation «Al Qods, capitale de la culture arabe en 2009». Dans l'esprit du poète, le pessimisme est en fin de compte l'intelligence des cœurs. Il lui permet de considérer que «les pétrodollars sont la cause première de l'étiolement de la culture et de l'art arabe». Son dépérissement est tel que sa poésie est aujourd'hui sans voix depuis la disparition de son double musical, cheikh Imam Aïssa. Le duo est certes mort mais les mots de Nedjm ont toujours des «yeux». N. K.