«Le colonialisme français s'est attelé dès le début de la colonisation à détruire tout ce qui pouvait montrer que les autochtones n'étaient pas des primitifs à civiliser. Au moins 70 bibliothèques ont été détruites rien que dans la région de Kabylie», a indiqué Khalil Fraoues, précisant que beaucoup de manuscrits sont encore disponibles, notamment au sein de certaines zaouïas de la wilaya de Tizi Ouzou La cinquième édition du colloque national sur la dimension spirituelle dans le patrimoine nationale amazigh s'est poursuivie, dimanche dernier, avec plusieurs conférences dont certaines sont d'un intérêt multiple. Comme celle de l'écrivain, éditeur mais aussi militant de la cause amazighe et démocratique Brahim Tazaghart qui a traité la question de la dimension spirituelle dans les romans et les nouvelles. C'est ainsi qu'il fera savoir que le premier Algérien à avoir écrit un roman, c'est bien Belaïd At Ali et c'est en Tamazight qu'il l'a écrit en 1946, soit quatre années avant Le Fils du pauvre de Mouloud Feraoun. Lwali n wedrar est un roman à trois narrateurs qui parle de la société kabyle, mais aussi et surtout de la zaouïa Rahmania. Belaïd At Ali est un personnage unique en son genre, selon Brahim Tazaghart qui fera vite le parallèle avec Mouloud Feraoun. «Belaïd At Ali est un personnage unique. Il est le fils d'une enseignante de français. Il a donc été en contact avec cette langue dès son jeune âge, mais il a écrit en Tamazight. De l'autre côté, Mouloud Feraoun fils d'un paysan ayant grandi au village a écrit en français», a affirmé l'intervenant qui sortira à plusieurs reprises de son sujet pour apporter des éclairages historico-culturels que les Algériens ignorent. Comme cette idée, selon laquelle le colonialisme français a tout fait pour arabiser l'Algérie et effacer toute trace de son amazighité. «Ce n'est pas par amour à la langue arabe ou l'arabité», précise cependant Brahim Tazaghart et cela faisait partie d'un plan mis sur pied par les théoriciens de la colonisation, notamment à l'occasion du centenaire de la colonisation en 1930. Il s'agissait de dire que la présence française était la continuité de l'occupation romaine qui leur permettait de considérer les Arabes comme des colonisateurs et justifier donc la colonisation française. Mais cette entreprise a été contrée de fort belle manière par certaines élites de l'époque à l'image d'Imache Amar, Mbarek El Mili, Tewfik El Madani et même Abdelhamid Benbadis, affirme en outre le conférencier. C'est bien El Mili qui a raconté dans l'un de ses écrits que le roi amazighe Koceïla (de son vrai nom Aksil) a été le premier à avoir construit une mosquée en Afrique du nord, indique Brahim Tazaghart qui regrette que le roi berbère soit effacé de l'histoire de l'Algérie et considéré comme un mécréant parce qu'il a divergé violemment avec Okba ibn Nafa. Et quand Mbarek El Mili racontait cette histoire, c'était pour rappeler aux théoriciens de la colonisation comme Louis Bertrand que la terre algérienne en particulier et nord-africaine en général était déjà habitée avant les Romains auxquels ils s'identifiaient pour justifier l'occupation française. D'autre part, le conférencier a exhorté tous les concernés à traduire vers l'arabe et les autres langues des œuvres et autres manuscrits kabyles ou amazighs. Parmi les concernés, les organisateurs et les participants à ce 5e colloque sur la dimension spirituelle dans le patrimoine national amazigh qui ont assigné à leur manifestation l'objectif de lutter contre l'extrémisme religieux. Brahim Tazaghart citera des vieux textes religieux kabyles prônant la tolérance notamment ceux de Cheikh Mohand ou el Hocine et n'omettra pas de faire savoir que les éditions qu'il a créées, Tira en l'occurrence, ont déjà traduit des ouvrages religieux vers le Tamazight, comme ceux racontant la vie de plusieurs prophètes. Cela pour établir des liens forts entre les langues arabe et amazigh, particulièrement après la consécration de cette dernière comme langue officielle. Et ce ne sont pas les écrits qui manquent, puisqu'un autre conférencier, en l'occurrence Khalil Fraoues a traité des manuscrits écrits en Tamazight datant de plusieurs siècles. Comme le glossaire des plantes d'Ibn el Baytari qui a inclus des noms de plantes en tamazight récoltés lors de ses voyages en Afrique du Nord. «Il y a d'innombrables manuscrits en Tamazight que personne ne cherche à étudier ou à connaître», se désole le conférencier qui citera en outre un manuscrit se trouvant en ce moment à Oxford montrant qu'il existait déjà une grammaire berbère au 10e siècle. «Les manuscrits en Kabyle ou en Tamazight sont malheureusement nombreux à voir été détruits durant les guerres et les conflits. Le colonialisme français s'est attelé dès le début de la colonisation à détruire tout ce qui pouvait montrer que les autochtones n'étaient pas des primitifs à civiliser. Au moins 70 bibliothèques ont été détruites rien que dans la région de Kabylie», a indiqué Khalil Fraoues, non sans préciser que beaucoup de manuscrits sont encore disponibles, notamment au sein de certaines zaouïas de la wilaya de Tizi Ouzou, appelant les universitaires et les scientifiques d'aller à leur recherche. M. B.