Dans une récente conférence de presse, le directeur de cabinet du président de la République s'est montré assez dubitatif au sujet d'une loi de criminalisation du colonialisme français. «Nous ne pensons pas qu'une telle loi apportera quoi que ce soit au peuple algérien», a répondu Ahmed Ouyahia à une question qu'il l'interpellait sur l'intention d'un député FLN de déterrer un projet dans les tiroirs de l'Assemblée nationale depuis plusieurs années. Pour le SG élu du RND, la meilleure réponse à donner au colonialisme et à ses nostalgiques en France «c'est d'être dignes de nos martyres en bâtissant un pays puissant, un Etat démocratique». Cette position mérite débat. En effet, une loi de ce genre ne changerait rien à la question mémorielle en France et n'inciterait pas aujourd'hui son Etat à la repentance. Au fond, la réflexion d'Ahmed Ouyahya n'est pas dénuée de pertinence. Elle est même frappée au coin du bon sens et teintée de réalisme. Dans la réalité, les ex-pays colonisés, dont l'Algérie qui a pâti le plus de la colonisation, n'ont jamais été dans une approche foncièrement culpabilisante de la France. Les anciennes colonies musulmanes, elles, peuvent même exciper de l'argument religieux qui veut qu'«aucune âme ne portera le fardeau d'autrui, et qu'en vérité l'homme n'obtient que le fruit de ses efforts» (sourate de l'Etoile, versets 37, 38). En tout cas, il n'a jamais été envisagé d'exiger de la France une dure pénitence et une douloureuse flagellation. Personne ne lui demande d'être tondue, en robe de bure, et de s'agenouiller pour demander, toute contrite, le pardon. La repentance attendue de la France n'a aucune forme à connotation religieuse et pénitentielle. Force est de reconnaître que la colonisation française, différenciée selon les pays dominés, n'a pas été une entreprise génocidaire systématique. Ce fut plutôt des crimes de masse, des violences génocidaires ponctuelles. A l'égard de ces crimes d'Etat qui sont par certains aspects des crimes contre l'humanité, l'Etat français, de Jacques Chirac à François Hollande, a effectué des pas progressifs, relativement significatifs, mais insuffisants. En fait, ce qui est attendu de la France, ce n'est pas tant l'affirmation d'une immense injustice et des dérives intolérables du système colonial, que la reconnaissance des tragédies qu'elle a engendrées. Or, la France tarde à reconnaître qu'elle a été à la tête d'un grand empire colonial ayant dominé par le fer, le feu et la spoliation des peuples entiers. Elle oublie même que ces peuples se sont libérés en rapport avec les idéaux mêmes de la Révolution française. S'agissant du cas précis de l'Algérie, la France est toujours tenue par les lois d'amnistie de 1962 interdisant tout débat public, toute poursuite judiciaire. Et, cerise infamante sur le gâteau du crime colonial, la représentation politique française a gravé dans le marbre de la loi l'apologie du colonialisme présenté comme une œuvre de civilisation de peuples qui, sans elle, auraient quitté l'histoire ou y seraient entrés à reculons ! La loi scélérate de février 2005 est en effet fondée sur le vieux paradigme de la colonisation comme entreprise humanitaire et de modernisation de vieilles sociétés primitives. Et c'est tout juste si elle a admis dans le sillage d'Alexis de Tocqueville que la colonisation «est une nécessité fâcheuse». Ce même Tocqueville qui s'exclamait : «Dieu nous garde de voir jamais la France dirigée par un des officiers de l'armée d'Afrique !» Et alors qu'elle a fini par reconnaître l'esclavage comme «crime contre l'humanité» (loi Taubira de 2001), la France peine à trouver un consensus national pour la reconnaissance, l'acceptation de la souffrance de l'Autre, le colonisé, sous toutes les latitudes de l'empire colonial. Finalement, ce qui est demandé à la France, ce n'est pas tant une repentance individuelle, qui serait cantonnée au domaine franco-algérien. C'est plutôt un devoir de vérité et de reconnaissance pour toutes les victimes de la colonisation française, quelles que soient leurs origines. N. K.