Photo : Zoheïr Par Amirouche Yazid Face à la croissance du nombre de sinistrés dans les wilayas touchées par les intempéries, les opérations de recasement et de relogement sont souvent confrontées à de multiples entraves. Ce qui aggrave naturellement le quotidien des victimes qui continuent à traîner, au pire dans des centres de transit, au mieux dans des chalets. S'il est vrai que toute opération de prise en charge des victimes d'une catastrophe nécessite aussi bien des moyens financiers que de la patience de la part des familles concernées, il n'en demeure pas moins que cette phase est habituellement accompagnée d'une désorganisation totale, au point de compromettre l'issue même de l'opération. Une telle situation, nous pouvons la constater partout à travers le territoire national, particulièrement dans les zones sévèrement touchées par la «colère» de la nature, conjuguée à la négligence de l'homme. Le cafouillage et la confusion qui entourent ces situations d'urgence ont pour conséquence d'empêcher une lisibilité fiable des victimes. Par ricochet, des familles se stabilisent dans des bidonvilles pendant une dizaine, voire une vingtaine d'années. A priori, cela relève de la responsabilité des pouvoirs publics, qui sont tenus d'apporter les solutions nécessaires pour venir au secours des personnes et des familles qui se sont retrouvées sans toit. Des autorités locales sont ainsi désignées du doigt dès qu'elles n'arrivent pas à remettre de l'ordre dans la cité. Une réaction pas forcément infondée. Il y a néanmoins, à ce niveau, beaucoup de zones d'ombre, œuvre de citoyens ayant profité du laxisme des autorités. On se retrouve dès lors avec de vrais sinistrés qui prient Dieu pour être relogés et de faux sinistrés qui se frottent les mains pour «chiper» un appartement. Afin de réussir son coup, la deuxième catégorie est prête à s'installer dans un centre de transit, ou bien accéder à un chalet, juste pour être recensée comme victime d'un effondrement de bâtisse. Dit autrement, de faux sinistrés se s'infiltrent souvent parmi les vrais. Ce qui remet en cause vraisemblablement le bien-fondé de l'opération. Témoignage de concernés. «Nous sommes une centaine de familles à attendre une évacuation suite à l'effondrement de la bâtisse dans laquelle nous résidions», dit une femme de Réghaïa. L'opération ne s'est pas faite dans la sérénité. «Les autorités de la wilaya, malgré les dispositions prises pour éviter la réoccupation de ces immeubles, ont été confrontées au problème des nouvelles familles qui ont squatté certaines habitations», ajoute notre interlocutrice. «L'insistance de ces faux sinistrés à bénéficier d'un appartement bloque l'opération de relogement de ceux réellement dans le besoin», regrettent les nombreuses familles en attente d'une délivrance qui tarde encore à voir le jour. La même appréhension anime le quotidien de nombreuses familles de Bordj El Kiffan qui commencent à désespérer. «Cela fait bientôt huit ans que nous sommes ici ; nous vivons toujours au rythme des promesses sans lendemain. A chaque fois, ils nous inventent un discours. «Lors de leur dernière visite, les responsables locaux nous ont informés qu'ils ne pouvaient reloger tous les occupants de ce bidonville», déclare, pessimiste, un jeune homme. L'autre fait abordé par les sans-logis a trait au danger des maladies auquel ils sont exposés. «Franchement, nous vivons des conditions insupportables. Cela me fait de la peine de voir mes frères grandir ici. J'ai aimé être le seul à passer par là. Mais que voulez-vous que nous fassions. Figurez vous que dans certaines circonstances, nous sentons que nous vivions très loin de notre pays. Pour se diriger à un centre de soin pendant la nuit en cas d'urgence, notre vie est mise en danger compte des pistes impraticables en hiver et de l'absence de l'éclairage. Nous attendons l'heure de la délivrance. Jusqu'à quand ? Nous n'en savons rien», ajoute le même interlocuteur. Devant des situations complexes, les élus locaux se déclarent impuissants. Les maux s'accumulent. Le nombre de faux sinistrés augmente. Pire, ils squattent des chalets. Les cas solutionnés sont minimes. Une question se pose dès lors de manière récurrente. Pourquoi sont-ils encore dans les chalets les centres de transit alors que l'échéance de leur relogement a bel et bien expiré ? Un membre de l'exécutif de la wilaya d'Alger pose la problématique différemment. «Il est anormal que des bidonvilles et des taudis existent encore après tant de logements distribués aux familles à travers les quatre coins de la capitale. Cela veut dire que des familles viennent s'installer même en sachant que les conditions ne s'y prêtent. Ils viennent avec l'idée de bénéficier d'un appartement qu'ils cèderont ultérieurement à des proches», a-t-il souligné. Et d'ajouter : «Les autorités ne peuvent plus répondre à une demande qui se répète. La problématique du relogement est tellement complexe qu'elle devient impossible à résoudre». Sous couvert de l'anonymat, un élu d'une circonscription de la capitale n'a pas hésité à avouer l'impuissance de l'exécutif auquel il fait partie. Pour lui, c'est plutôt des citoyens qui freinent «l'assainissement» de la situation. Le même est allé tenter d'inverser les rôles entre gouverneurs et gouvernés. «Des personnes viennent souvent saborder le travail de recensement que nous avons tenté à maintes reprises», tiennent-il à souligner. Il semble néanmoins que les explications des édiles et de leur staff ne convainquent personne. Même lorsqu'ils essaient de s'appuyer sur le refus de certaines familles d'être dans une cité lointaine de leur commune de résidence. Comme c'est le cas dans la wilaya de Boumerdès, où les séquelles du séisme du 23 mai 2003 sont encore présentes. Dans cette wilaya, les autorités locales annoncent que les 5,80% de sinistrés qui n'ont pas encore été relogés sont des familles qui préfèrent attendre que les constructions entreprises dans leur commune d'origine soient achevées et déclinent l'offre d'aller vers un autre lieu dans le cadre de la solidarité intercommunale. Car, arguent des citoyens, si les autorités n'arrivent pas à établir un fichier des habitants de la commune - ceux en situation régulière ainsi que ceux dans une situation provisoire -, il n'y pas de raison pour éterniser la souffrance des familles qui vivent des conditions intenables. Les services de l'urbanisme, de leur côté, confirment les difficultés rencontrées dans le processus de construction des logements destinés aux familles sinistrées. Ils se plaignent de la difficulté à mettre en œuvre les mesures prises par les autorités. «Pour une simple opération de recensement dans un centre de transit, nous n'arrivons pas à accomplir notre tâche», dira une vieille dame de Baraki. En définitive, la question du relogement des sinistrés restera encore posée tant que les pouvoirs publics et les citoyens n'œuvrent pas de façon consciente, citoyenne et coordonnée dans le but d'y mettre fin. La prise en charge, pas encore achevée des sinistrés du séisme de Chlef, survenu il y a 29 ans, en est la parfaite illustration.