La Turquie qui avait vocation par sa proximité avec la Syrie à jouer un rôle majeur dans le conflit semble avoir perdu la main. Le pari risqué d'Erdogan dans le conflit syrien a confiné la Turquie à jouer les «supplétifs» de certains pays du Golfe. La dégradation aujourd'hui de la situation sécuritaire en Turquie est un échec d'Erdogan. Et l'opposition turque qui dénonce sa dérive autoritaire ne se fait guère prier pour souligner que c'est bien sa politique syrienne qui a mis la sécurité du pays et son économie sous pression. Il est vrai qu'Erdogan qui avait de bonnes relations avec Damas a changé radicalement de politique après le début de la crise en Syrie. Pariant sur des «printemps arabes» aux conséquences hypothétiques Le président turc Recep Tayyip Erdogan est loin de passer la meilleure phase de sa vie à la tête de son pays. Sa politique syrienne semble bien se retourner contre lui. La multiplication des attentats sanglant de Daech sur le sol turc s'ajoutant à ceux imputés aux séparatistes kurdes du PKK commence à peser lourd. Huit mois après l'incident de l'avion russe sur la frontière syrienne la Turquie semble vouloir sérieusement revoir ses calculs. La crispation turco- russe semble avoir trouvé un début de sortie de crise. Dans un message adressé au Kremlin, le président turc Recep Tayyip Erdogan exprime un regret relatif à la destruction en vol, en novembre 2015, d'un avion de chasse russe, et appelle à «restaurer les relations» entre les deux pays. Dans son message Ankara affirme n'avoir «jamais souhaité ou eu l'intention d'abattre un avion militaire russe». Le dégel des relations est confirmé par les deux parties. Selon les observateurs, ce «retour» d'Ankara vers Moscou est également lié à la «réconciliation» conclue la veille entre Ankara et Israël après six ans de brouille alors que la situation à Ghaza n'a pas évolué d'un iota. D'aucuns voient également dans la menace terroriste croissante qui affecte la région, au-delà des frontières syriennes, une des raisons de ce «changement» de cap. Les problèmes aigus auxquels la Turquie est confrontée aujourd'hui semblent fortement avoir joué. «Erdogan a décidé de régler la situation au moins sur l'un des fronts et a présenté ses excuses en espérant pouvoir rapidement reprendre les projets conjoints avec Moscou», estiment des analystes. La lettre d'excuses du dirigeant turc à Vladimir Poutine reste une victoire politique pour la Russie. Ankara connu pour avoir «fermé les yeux» sur l'activisme des groupes armés dans la tragédie syrienne est allé jusqu'à se brouiller avec Moscou. La Turquie avait alors affirmé que l'avion russe avait violé son espace aérien. Faux, avait répliqué Moscou pour qui l'avion survolait le territoire syrien et n'avait pas été mis en garde avant d'être touché. Depuis, les relations diplomatiques et économiques entre les deux pays se sont dégradées, Moscou ayant appelé ses ressortissants à bouder les stations balnéaires turcs. Le temps des revirements Aujourd'hui le sentiment d'insécurité lié à des attentats terroristes de plus en plus sanglants pourrait avoir une influence sur le tourisme où les pertes sont estimées à plus de 20 milliards de dollars. Ce retour de manivelle de la politique syrienne d'Erdogan s'est accompagné de la reprise d'une guerre plutôt classique. Celle entre l'armée turque et le PKK. Ce dernier à travers les Faucons de la liberté du Kurdistan (TAK), a multiplié les attaques. La dégradation de la situation sécuritaire en Turquie est imputée à la politique d'Erdogan. Et l'opposition turque qui dénonce sa dérive autoritaire ne s'empêche guère de souligner que c'est bien sa politique syrienne qui a mis la sécurité du pays et son économie sous pression. Il est vrai qu'Erdogan qui avait de bonnes relations avec Damas a changé radicalement de politique après le début de la crise en Syrie. Pariant sur les «printemps arabes» et leurs bouleversements attendus dans la région. La frontière turque servira le camp anti-Damas avec l'acheminement d'armes aux groupes armés. Cet état de fait aura très largement contribué, en accord avec les pays du Golfe, à renforcer des groupes armés dont l'objectif premier était la chute du régime syrien. Mais l'un des effets le plus désastreux du point de vue de la politique traditionnelle d'Ankara est que la situation de guerre et de chaos aura permis aux kurdes syriens de devenir, à travers le Parti de l'union démocratique (PYD), allié au PKK, un des acteurs majeurs en Syrie. La menace posée aujourd'hui par Daech en a même fait un interlocuteur des occidentaux et notamment des Américains au grand dam d'Erdogan. Le résultat du pari syrien parait ainsi catastrophique. Aujourd'hui tous les acteurs du conflit semblent hostiles à la Turquie. La Turquie qui avait vocation par sa proximité avec la Syrie à jouer un rôle majeur semble avoir perdu la main. Et c'est bien, un effet d'une politique approximative d'Erdogan qui se retrouve, au mieux, à jouer les «supplétifs» de certains pays du Golfe. L'image restera. Le 29 janvier 2009 à Davos, Erdogan, empêché de répondre à des allégations du président israélien Shimon Peres se lève prestement et quitte les lieux. Le geste est particulièrement salué lui valant une popularité immédiate dans les pays arabes et musulmans. L'image prend du relief après sa réaction ferme à l'agression meurtrière, en mai 2010, d'un commando israélien contre le Mavi Marmara, qui faisait partie d'une flottille internationale qui tentait de briser le blocus sur Ghaza. L'attaque fait 9 morts et 28 blessés. Erdogan rompt avec Israël exigeant trois conditions pour le rétablissement des relations : des excuses, des dédommagements et la levée du blocus contre Ghaza. La Turquie a obtenu des «excuses», des dédommagements de 20 millions de dollars. Mais la condition de la levée de l'inhumain blocus sur Ghaza n'a pas jamais abouti. Les Palestiniens attendront. Comme toujours. Mais ces derniers ont appris de ne pas se faire d'illusions. La Turquie est membre de l'OTAN et cette dernière fait de la défense d'Israël un axe central de sa politique. Aujourd'hui Erdogan n'a pas encore pris le chemin de Damas, mais en faisant acte de contrition envers Moscou la route s'y prête. M. B.