Un tir mal dirigé de l'aviation syrienne était tombé sur la Turquie mercredi soir tuant cinq personnes. La guerre Syrie-Turquie n'aura pas lieu, mais la réaction d'Ankara est instructive. La Turquie est en train de se singulariser dans la crise syrienne dont le parlement a donné, jeudi, le feu vert au gouvernement l'autorisant à organiser des «opérations militaires» sur le territoire syrien. Ce que Ankara ne s'est pas fait faute de mettre en pratique en bombardant la Syrie. Or, Damas a présenté des excuses à la Turquie pour cette bavure qui a coûté la vie à cinq (5) citoyens turcs. Notons également la sévère condamnation, dans la soirée de jeudi, de la Syrie par le Conseil de sécurité en rapport avec cette affaire. Ce qui est toutefois remarquable dans cette rapide montée de tension entre Ankara et Damas, c'est la promptitude avec laquelle l'armée turque s'est attaquée à la Syrie - même si le gouvernement d'Ankara a pris la précaution d'affirmer que la Turquie ne fera pas la guerre à la Syrie - en menant des représailles contre des objectifs syriens. Toute chose étant égale, par ailleurs, relevons néanmoins qu'il y a deux ans, le 10 mai 2010 exactement, des commandos israéliens ont abordé, dans les eaux internationales, plusieurs bateaux turcs dont le vaisseau amiral Marmara, chargés d'aide humanitaire à destination de la bande de Ghaza sous blocus israélien depuis 2007. Les soldats israéliens, arrivés par hélicoptère et par bateau, ont ouvert le feu sur les militants qui ont tenté de résister pour poursuivre leur route. Bilan de l'opération: il y eut des morts, dont neuf (9) citoyens turcs. Ankara a certes protesté - c'est le moins qu'il pouvait faire au moment où les relations entre la Turquie et Israël tombaient au plus bas - mais son parlement ne s'est pas réuni en session extraordinaire pour décider de représailles contre Tel-Aviv. Evidemment, il était plus facile et moins dangereux politiquement, militairement et diplomatiquement de s'attaquer à un pays en guerre civile - dont l'opposition armée formée de déserteurs, de mercenaires et de djihadistes est encadrée, entraînée et financée par des pays étrangers... dont la Turquie - que de faire rendre gorge à Israël qui a tué gratuitement et délibérément des militants dont le tort a été de vouloir apporter une aide humanitaire à une population ghazaouie étouffée par le blocus israélien. Il est tout aussi remarquable de relever la promptitude avec laquelle le Conseil de sécurité a condamné Damas, alors qu'en 2010 le même Conseil de sécurité s'est astreint à déplorer la mort des Turcs, tout en appelant à la retenue, sans pour autant condamner Israël. Cela juste pour relever que si la Syrie est condamnable pour les crimes qu'elle est censée avoir commis - et elle a été condamnée - ce n'est pas le cas pour Israël, jamais condamné pour les crimes que l'Etat hébreu avait commis et commet contre les Palestiniens, les Arabes en général et tout récemment contre les Turcs en particulier. C'est là juste un constat qui entre de plain-pied dans le concept du deux poids deux mesures pratiqué par les puissants qui gèrent actuellement le monde. Ceci dit, la position d'Ankara dans la crise syrienne est-elle admissible? Voilà un pays qui soutient - au moins politiquement et diplomatiquement - une rébellion étrangère - la rébellion syrienne, ce qui constitue en soit un casus belli - au moment où Ankara fait face à la rébellion kurde, se donnant les moyens politiques et militaires nécessaires pour contrer et réprimer cette révolte kurde, comme le droit de pourchasser les rebelles dans les pays voisins (en Irak et depuis peu en Syrie). Une rhétorique de maître, avec l'injonction «fais ce que je dis, pas ce que je fais» qui ne place pas la Turquie dans les meilleures conditions pour donner des leçons aux autres ou pour, éventuellement, jouer un rôle de médiation dans les conflits régionaux. Ankara qui lutte depuis 28 ans contre la rébellion du PKK (Parti des travailleurs Kurdes) aurait dû être plus pondéré car payé pour savoir ce qu'il en coûte pour un pays de ne pas respecter les différences culturelles et ethniques de sa composante humaine. Les Kurdes ne sont pas des Turcs. Or, ils sont autonomes en Irak - et Ankara a les meilleurs rapports avec eux - ils le seront sans doute à terme en Syrie et en Iran. Pourquoi ce qui est valable pour l'Irak, la Syrie et l'Iran ne le serait pas pour la Turquie alors que les Kurdes représentent un même peuple fragmenté par les vainqueurs de la première guerre mondiale? Aussi, il n'y a pas de raison que les Kurdes de Turquie, les plus nombreux, ne soient pas un jour autonomes à leur tour. Ankara mène une bataille contre le temps qu'il n'est pas sûr de gagner et personne ne comprendrait que les Kurdes des pays voisins obtiennent leur autonomie et pas les Kurdes de Turquie. Un combat d'arrière-garde qu'Ankara risque fort de perdre s'il ne comprend pas ou n'admet pas les enjeux.