Il est 5 heures du matin ce samedi 13 août, et La Parada, au pied du pont Simon-Bolivar qui relie la Colombie et le Venezuela, est bien réveillée. Dans la nuit, les rideaux de fer des petits commerces se lèvent sur des étalages pleins à craquer. Une longue rangée de bus attend les Vénézuéliens qui voudront effectuer le trajet jusqu'aux supermarchés de Cucuta, à 5 kilomètres de là. «Il y a des femmes qui fondent en larmes en voyant les rayons pleins. Cela fait tellement longtemps qu'elles n'en ont pas vu», raconte Natalia, caissière au supermarché Exito. Au cours du week-end, quelque 50 000 Vénézuéliens ont passé le pont pour faire leurs courses en Colombie. La réouverture «ordonnée, contrôlée et graduelle» de la frontière a été annoncée trois jours plus tôt, à l'issue d'un sommet surprise entre le président colombien, Juan Manuel Santos (centre-droit), et son homologue vénézuélien, Nicolas Maduro (chaviste, du nom de son prédécesseur socialiste Hugo Chavez). Cinq points de passage ont été autorisés, aux seuls piétons pour le moment. «Le Venezuela a besoin de la Colombie» Nicolas Maduro fait donc finalement marche arrière. C'est lui qui, le 19 août 2015, avait décidé la fermeture intempestive de la frontière pour lutter contre l'insécurité et la contrebande. «Le Venezuela, qui traverse une situation économique critique, a compris qu'il a besoin de la Colombie», se réjouit le gouverneur du département de Santander, Didier Tavera, venu fêter la réouverture de la frontière. Les autorités locales préfèrent parler commerce plutôt que politique. Personne sur le pont Simon-Bolivar n'évoque la crise intérieure du Venezuela, ni l'isolement diplomatique croissant du pays. «C'est aux Vénézuéliens de régler leurs problèmes», résume prudemment le gouverneur. «Maduro a rouvert la frontière parce que la pression devient intolérable. Nous manquons de tout. Le pays est au bord de l'explosion», explique Teresa, 47 ans, qui a fait le voyage depuis Caracas. A ses pieds, quatre énormes sacs de plastique sont remplis de farine, d'huile, de sucre, de riz, de lait en poudre, de dentifrice. «Le plus grave, c'est le manque de médicaments, continue Teresa. Il y a des gens qui meurent, faute d'être soignés. Faites-le savoir.» En remplissant la nouvelle fiche migratoire, un vieil homme soupire : «Le Venezuela était le pays le plus riche d'Amérique latine. L'humiliation est douloureuse.» «Un pays qui se meurt» La revue Time a consacré cette semaine sa couverture au sujet, en titrant : «Venezuela : un pays qui se meurt». Plus dépendante que jamais du pétrole, l'économie du pays s'est effondrée avec la chute des prix du brut depuis 2012. Le gouvernement chaviste fait porter la responsabilité de la débâcle à la guerre économique que lui livrent, dit-il, les entreprises privées, alliées de la droite «putschiste». Les tentatives de médiation internationale entre les deux camps qui s'affrontent au Venezuela sont au point mort. Pour s'asseoir à la table des négociations, la coalition d'opposition (MUD) exige la présence d'un représentant du Vatican – le pape serait en train d'étudier la question – et la promesse d'un référendum révocatoire pour obtenir le départ de M. Maduro. Le Venezuela est l'un des rares pays au monde dont la Constitution offre aux électeurs la possibilité de se défaire ainsi d'un élu. L'opposition ne doute pas de la défaite dans les urnes de M. Maduro, mais son problème est d'obtenir du Conseil national électoral (CNE) l'organisation du scrutin. Le 11 août, la présidente de l'organisme, Tibisay Lucena, a annoncé que la collecte des 4 millions de signatures nécessaires pour l'organisation du scrutin n'aurait «probablement» pas lieu avant la fin du mois d'octobre. La date a son importance. Si le référendum se tient avant le 10 janvier 2017 et que le oui l'emporte, de nouvelles élections seront organisées ; s'il a lieu après, c'est le vice-président, désigné par Nicolas Maduro, qui prendra la relève. La MUD, qui accuse le CNE de faire le jeu du gouvernement, compte désormais sur la pression internationale. Vendredi, quinze pays de l'Organisation des Etats américains (OEA) ont appelé les autorités vénézuéliennes «à garantir les droits constitutionnels du peuple» et «à respecter les étapes du référendum de façon claire, concrète et sans délais». Avec l'élection de Mauricio Macri (droite) en Argentine, en novembre 2015, et la procédure de destitution engagée contre la présidente brésilienne Dilma Rousseff (gauche), le gouvernement chaviste a perdu deux de ses alliés sud-américains. Ceux qui lui restent – Bolivie, Cuba, Equateur, Nicaragua et quelques petits pays des Caraïbes – ne pèsent pas lourd dans la balance économique. Ces retournements politiques ont débouché sur une grave crise au sein de Mercosur, le marché commun qui réunit l'Argentine, le Brésil, le Paraguay, l'Uruguay et, depuis 2012, le Venezuela. Les représentants de l'Argentine, du Brésil et du Paraguay s'opposent à ce que le Venezuela assume ce semestre la présidence tournante de l'organisme. Dernier arrivé au sein de la communauté régionale, le Venezuela n'a pas encore ratifié certains traités, dont un protocole sur la promotion et la protection des droits de l'homme. Nicolas Maduro a dénoncé les «machinations de l'extrême droite» et la conformation d'une «triple alliance» au service de Washington. Le ministre brésilien des affaires étrangères, José Serra, a proposé la création d'un «conseil collégial» pour gérer les affaires courantes du Mercosur d'ici à janvier 2017, date à partir de laquelle l'Argentine assumera la présidence. Il déclarait à la presse samedi : «Imaginez à la tête du Mercosur un gouvernement qui n'arrive pas à gouverner son pays. C'est impossible.» Et d'exiger le rétablissement de la démocratie au Venezuela. Le ton est donné et l'isolement régional de M. Maduro s'accentue. Il a pu peser dans la décision de négocier la réouverture de la frontière avec la Colombie voisine. Marie Delcas