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Trump et la nouvelle realpolitik
Publié dans La Tribune le 22 - 11 - 2016

A l'évidence, l'élection de Trump a été ressentie comme une catastrophe dans l'écrasante majorité des chancelleries occidentales. Il y a de quoi. Voilà un personnage qui déclare vouloir en finir avec le libéralisme économique débridé.
A l'évidence, l'élection de Trump a été ressentie comme une catastrophe dans l'écrasante majorité des chancelleries occidentales. Il y a de quoi. Voilà un personnage qui déclare vouloir en finir avec le libéralisme économique débridé. Certes, celui-ci a permis d'augmenter la richesse globale du monde. Il a aussi produit une telle inégalité dans sa répartition, de tels bataillons de chômeurs que le charme, si tant est qu'il ait existé, est à jamais rompu. La colère qui a porté Trump au Pouvoir a quelque chose de paradoxal. Il n'a rien d'un chevalier blanc qui se serait donné pour mission de moraliser le monde. Il n'est certes pas un crypto-communiste jurant de pourfendre la finance internationale (ça vous rappelle quelque chose «Moi, Président…» ?). Alors, pourquoi diable a-t-il été élu ? Probablement parce que sa vulgarité, son incompétence, son aptitude à aligner les mensonges les plus énormes, sa propension à changer d'avis, le fait même que la classe politique classique, policée, l'ait vomi, y compris dans son propre camp, lui ont donné sa légitimité. Les Etats-Unis se sont construits sur le socle d'une innocence autoproclamée, oublieuse du massacre des peuples premiers qui ont permis aux Blancs de s'établir dans ce pays de cocagne. Quand on voyage aux Etats-Unis, on ne peut manquer d'être frappé par l'assurance inoxydable des étasuniens d'une bonne foi inaltérable, l'absence quasi ontologique de doute. Ils partagent ces traits de caractère, toutes proportions gardées, avec leurs alliés occidentaux. Ces derniers vivent assez bien avec leur passé esclavagiste et colonial. A qui viendrait l'idée de les leur rappeler, ils opposent la réponse grossière immortalisée par Sarkozy : «La repentance, ça commence à bien faire.»
On a montré du doigt les instituts de sondage et les réseaux sociaux, accusés d'avoir permis l'élection de Trump. On les a jugé coupables de n'avoir pas été suffisamment attentifs aux nombreux mensonges colportés sur la Toile. Le même reproche leur avait été adressé lors du Brexit. Il est vrai que les partisans de la sortie de l'Europe avaient pu se répandre sans retenue et déverser leur propagande mensongère.
Mais est-ce que les citoyens britanniques ou étasuniens se sont déterminés en faisant foi à ces mensonges ? Après tout, toute la presse a rapporté les frasques sexuelles de Trump, sa désinvolture en affaires, son ignorance notoire de la politique internationale, sa propension à changer d'avis… Le problème, c'est que la presse, l'élite intellectuelle, ne sont plus audibles. Face à la crise, les peuples de la Grande-Bretagne et des Etats-Unis renouent avec la tentation de l'isolement splendide, du retour au pré-carré des pères fondateurs, avec le désir, face à la complexité du monde, de le simplifier par la grille de la violence.
Oui, l'élection de Trump est un révélateur de la méconnaissance par les élites, figées dans un entre-soi de plus en plus stérile, de l'évolution, ou plutôt de l'involution, de leurs sociétés, abruties par une école délitée, hantées par le spectre du déclassement. Ces sociétés ont choisi Trump, en parfaite connaissance de ses «défauts». Elles l'ont fait pour dire à l'establishment qu'elles n'étaient plus sous son emprise, qu'elles rejetaient les codes moraux qu'il imposait et qu'elles ont choisi un leader dans lequel elles pensent pouvoir inscrire leur immense colère, celle des «redknecks» ou «Nuques rouges», synonymes de rustres en anglais, travaillés par l'envie de revenir à la vieille loi de l'Ouest.
L'Europe de l'Est n'est pas en reste. Elle a porté Orban au pouvoir en Hongrie, Kaczynski en Pologne… Elle est de plus en plus tournée vers l'Otan et travaille à détricoter ce qui subsiste de l'Union Européenne, notamment les accords de Schengen. Obsédée par la «menace» russe, elle consacre une partie croissante de sa richesse à l'achat d'armements.
Et nous ? Nous, peuples du tiers-monde, nous risquons, si nous n'y prenons garde, de servir de variables d'ajustement dans la recomposition du monde. Les habitants de Mossoul, de Raqqa et d'Alep sont en train de l'expérimenter. Les massacres dont elles sont le siège obéissent à la logique d'une partie d'échecs dans laquelle leur sort est parfaitement secondaire.
B. S.
*Ecrivain, maître de conférences et militant algérien. Professeur de sciences physiques à l'Université de Cergy-Pontoise en France.


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