Après l'élection de Donald Trump aux Etats-Unis et l'échec de Matteo Renzi au référendum en Italie, la fin d'année sera rythmée par les réunions des grands instituts monétaires. A commencer par celle de la Banque centrale européenne (BCE), jeudi 8 décembre. Après l'élection de Donald Trump aux Etats-Unis et l'échec de Matteo Renzi au référendum en Italie, la fin d'année sera rythmée par les réunions des grands instituts monétaires. A commencer par celle de la Banque centrale européenne (BCE), jeudi 8 décembre. «Cela faisait longtemps que les membres de l'institution ne s'étaient pas réunis dans un contexte aussi délicat», note Howard Archer, chez IHS Global Insight. C'est peu dire : la victoire du «non», le 4 décembre, au référendum sur la réforme de la Constitution en Italie renforce les craintes sur l'état de santé des banques du pays. Surtout : la Réserve fédérale américaine (Fed) devrait, le 14 décembre, annoncer une hausse de ses taux directeurs. Dans ces conditions, que peut faire l'institut de Francfort ? Les économistes et les «ECB watchers», le petit nom donné aux experts scrutant les faits et gestes de la Banque centrale, sont divisés en deux camps. Certains sont convaincus que celle-ci est sur le point d'annoncer une réduction de son programme de rachat de dettes publiques et privées (le «quantitative easing» en anglais, ou QE), aujourd'hui de 80 milliards d'euros par mois. Censé durer au moins jusqu'en mars 2017, le QE a été lancé en mars 2015 dans l'objectif de contribuer, par différents mécanismes, à relancer le crédit aux entreprises et soutenir l'activité. L'inflation sous-jacente «désespérément basse» Or, l'économie européenne va mieux. Certes, la croissance n'est pas mirobolante. Mais le taux de chômage est repassé sous la barre des 10% en octobre – du jamais-vu depuis avril 2011. «En outre, l'inflation devrait progressivement remonter à 1,5% courant 2017 du fait de la hausse des prix du pétrole», note Patrick Artus, chez Natixis. Après des années à flirter avec le zéro, elle se rapproche enfin de la cible de 2% de l'institution. Sans compter que le programme de grands travaux annoncé par Donald Trump est lui aussi, s'il est vraiment appliqué, de nature à alimenter les tensions inflationnistes dans l'ensemble des pays industrialisés. Dès lors, la voie semble libre pour une réduction du QE dès mars 2017 – dans le jargon financier, les experts appellent cela le «tapering». Ce scénario peine pourtant à convaincre l'autre camp des économistes. «La reprise reste poussive, il est bien trop tôt pour envisager un tapering», juge Olivier Raingeard, chef économiste de la banque Neuflize OBC. «Nous estimons plutôt que la BCE devrait annoncer un prolongement de ses achats de dettes de six mois, en maintenant le rythme de 80 milliards d'euros mensuels», renchérit Johannes Gareis, chez Natixis, dans une note. Hausse des taux américains... et donc européens De fait, les arguments en faveur du maintien du QE semblent aussi nombreux que ceux pour sa diminution. «D'abord, l'inflation dite sous-jacente, c'est-à-dire qui exclut les prix les plus volatils, comme ceux de l'énergie, reste désespérément basse», souligne Charles St-Arnaud, économiste chez Nomura. En novembre, elle était ainsi de 0,8%. Or, c'est bien celle-ci que regarde vraiment la BCE, car elle est alimentée par les hausses de salaires. Elle constitue donc un indicateur bien plus fin pour juger de l'état de santé de l'économie. «De toute façon, même la cible de 2% pour l'évolution générale des prix est encore loin d'être durablement atteinte», juge pour sa part M. Raingeard. Les nouvelles prévisions de l'institut monétaire, présentées jeudi 8 décembre, devraient le confirmer. Jusqu'ici, ses économistes estiment que l'inflation, de 0,2% seulement sur l'ensemble de 2016, devrait s'établir à 1,2% l'an prochain, et à 1,6% en 2018. Enfin, le calendrier hautement politique de la zone euro pour ces prochains mois – élection présidentielle française au printemps, élections fédérales allemandes à l'automne – devrait inciter la BCE à redoubler de prudence. «D'autant que la remontée des taux américains se fait déjà sentir en Europe», souligne Frederik Ducrozet, économiste chez Pictet. En effet, la hausse des taux souverains aux Etats-Unis provoque en général celle des taux souverains européens. Un phénomène déjà observé depuis le mois de juillet : alors que les taux à dix ans sont passés de 1,35% à 2,41% outre-Atlantique, les taux français sont remontés de 0,12% à 0,78%, les allemands de – 0,18% à 0,33% et les italiens de 1,05% à 2%. Programme vivement critiqué en Allemagne Pour l'instant, cela n'a rien d'inquiétant : les achats de dettes publiques de la BCE permettent justement de limiter la contagion et d'éviter qu'une hausse trop forte des taux ne fragilise la reprise. «Dès lors, il est difficile d'imaginer que l'institut monétaire choisisse de se priver de l'arme du QE dans quatre mois», note M. St-Arnaud. Celui-ci serait aussi une arme bien utile en cas d'aggravation de la crise politique en Italie et, surtout, de dégradation de l'état de ses banques, déjà très fragiles. Pour l'instant, la victoire du «non» au référendum ne s'est pas accompagnée de tensions trop vives sur les taux d'emprunt du pays. Mais si ces derniers s'envolaient dans les semaines à venir, les rachats de dettes permettraient de contenir la fièvre. Et surtout d'éviter qu'elle ne s'étende aux autres pays du sud de la zone euro, et notamment au Portugal, dont les banques sont également plombées par les créances douteuses. Pour autant, prolonger les achats au-delà de mars 2017 n'aurait rien de simple. Ce programme soulève en effet de vives critiques en Allemagne, où on le suspecte de décourager les Etats les plus fragiles à agir pour assainir leurs finances publiques. Au reste, la BCE risque aussi, ces prochains mois, de… manquer de titres de dettes à racheter ! Un «délicat» exercice de communication «Pour contourner le problème, elle peut toujours modifier les modalités de son programme», note M. St-Arnaud. Jusqu'ici, elle s'est ainsi fixée comme limite de ne pas racheter plus de 33% des titres de dettes issues d'une même émission. Elle pourrait, par exemple, monter ce seuil à 40%. Autre option : «La BCE pourrait prolonger les rachats au-delà de mars 2017, mais sans préciser les montants des mois suivants, afin de se garder des marges de manœuvre», note M. Ducrozet. Elle se ménagerait ainsi la possibilité de réduire le programme à l'été 2017, par exemple, si les conditions étaient favorables. Cela lui permettrait aussi de commencer à préparer les esprits au tapering, qui devra bien se produire un jour… «Dans tous les cas, l'exercice de communication sera très délicat», résume M. Ducrozet. Si les investisseurs ne comprennent pas bien le message, la perspective d'un tapering trop rapide pourrait en effet déclencher une vague de panique sur les marchés, accros aux liquidités des Banques centrales. M. C.