L'éclipse attendue d'Ali Haddad, patron des patrons rassemblés sous la bannière du FCE, montre que n'est pas oligarque qui veut en Algérie. Et que l'on ne vit pas encore en oligarchie, ce système politique dans lequel le pouvoir réel est détenu par un nombre restreint d'individus. Une infime élite formée par l'alliance entre une aristocratie politique et une ploutocratie financière. Une minorité politique et une minorité possédante interdépendantes. Fort heureusement, ce n'est pas encore le cas chez nous où les privés les plus importants dépendent essentiellement de la commande publique, de la subvention des matières premières stratégiques (sucre, huiles, blé) et de prêts bancaires publics assez avantageux. Des hommes d'affaires qui ont certes acquis des monopoles de fait ou des positions dominantes, mais dont la prospérité financière a été largement favorisée par la politique de redistribution de la rente. Un cordon ombilical qui a permis à certains privés de se placer dans la proximité du pouvoir, tout en essayant de l'influencer, mais pas toujours dans le sens de l'intérêt général. Les privés algériens ne sont donc pas encore parvenus à s'organiser en lobbys bien structurés, puissants, dominants et irrésistibles. Toutefois, l'idée leur a d'autant moins manqué que l'Etat, sous le coup du terrorisme, la fuite continue de cerveaux et l'effervescence sociale régulière, s'était quelque peu dévitalisé. Il avait notamment perdu une partie de ses capacités de conceptualisation, de réalisation et de contrôle. De ce fait, certains privés ont eu alors tendance à se voir dans l'habit de l'oligarque, pensant fort aux oligarques ukrainiens ou même russes qui, eux, furent à un moment donné un terme réel de l'équation du pouvoir dans la Russie eltsinienne et post-Eltsine. On sait ce qu'il en est advenu lorsqu'ils ont essayé de phagocyter le pouvoir en Russie poutinienne. N'est pas oligarque qui veut, répétons-le ! Et n'oublions pas, dans le cas algérien, que l'Etat, fort heureusement, possède encore les moyens de les neutraliser, voire même de les désintégrer, si d'aventure ils avaient les yeux du pouvoir politique plus gros que le ventre de l'économie. Reste alors l'essentiel stratégique qui est de construire un grand patronat. Organisé pour devenir une source régulière de création de richesses, une puissance de production à l'export. Une force de contribution à la réduction de la dépendance mortifère aux hydrocarbures. Un contributeur positif à la transition énergétique. En somme, un acteur patriotique, transparent et efficace participant à l'essor du Bien commun. A l'image de la Chine, devenue une superpuissance mondiale grâce à ses entrepreneurs publics et privés. Le pays a plus que jamais besoin d'un privé en bonne santé, autonome, inventif, agressif à l'export, qui investit dans le pays et à l'étranger. Qui contracte des partenariats favorisant le transfert de technologie et l'accumulation des savoirs, dans des cadres respectant la souveraineté nationale là où elle doit être impérativement défendue par l'Etat en premier lieu. Un Etat qui doit tout faire pour l'épanouissement d'un privé dynamique qui sera un atout lorsque l'adhésion inéluctable à l'OMC provoquerait le désarmement tarifaire et ne s'accommoderait pas toujours des protections nationales. Un Etat qui serait dans son rôle national et naturel de régulateur, d'arbitre et de recours ultime. Un Etat qui veillerait à ce que le privé ne cède pas à la tentation du démantèlement des digues et des protections sociales, ainsi que des acquis sociaux des Algériens. Pour que le privé ressemble au portrait-robot esquissé, il faudrait que ses forces vives ne soient pas des regroupements d'aventuriers mais de véritables capitaines d'industrie. Des forces d'entraînement qui doivent se poser aujourd'hui ces questions structurelles : après avoir réglé le problème de l'accumulation de l'argent, que dois-je en faire désormais ? Et quel sens politique donner à son usage ? C'est en répondant intelligemment à ces deux questions que notre privé sera ou ne sera pas, aux côtés du secteur public, un moteur de développement durable et solidaire du pays. N. K.