Le plus grand orateur de sa génération a fait la promotion du droit international à une époque où la majorité des puissances ne comprennent que le rapport de force. Tout avait pourtant si bien commencé. La rue arabe scandait des «Obama inchallah» pendant la campagne présidentielle qui l'opposait à John McCain, espérant beaucoup de ce candidat qui promettait de rompre avec la politique internationale de son prédécesseur. L'Europe accueillait avec enthousiasme et jalousie la victoire de ce sénateur de l'Illinois, qui semblait avoir compris, mieux que n'importe quel autre candidat, les limites de l'hyper-puissance américaine. L'Afrique se sentait fière de voir un fils de Kényan devenir l'homme le plus puissant de la planète. Le monde commençait à regarder les Etats-Unis autrement, s'autorisant à penser que la réciproque pouvait également être vraie. Barack Hussein Obama incarnait le nouveau visage de l'Amérique - celui qui devait mettre fin aux guerres d'Irak et d'Afghanistan, sonner le glas du nouvel ordre mondial théorisé par Georges Bush père dans le début des années 1990 et promouvoir le respect du droit international. Les premiers mois venaient encourager cet optimisme débordant. Le président réconciliait l'Amérique avec le monde musulman, depuis l'Université du Caire, dans ce qui restera comme son plus grand discours en politique étrangère. Il prônait l'apaisement avec la Russie, en préférant la stratégie du «reset» à celle de l'endiguement. Il recevait le prix Nobel de la paix en 2009, non pas pour récompenser ses efforts, mais pour encourager la mise en application de ses discours pacifistes. «Obama a créé un nouveau climat dans la politique internationale», déclarait à l'époque le président du comité Nobel norvégien, Thorbjoern Jaglan. Les espoirs étaient immenses. Démesurés. Et la déception n'en fut que plus grande. Huit ans après son arrivée à la Maison-Blanche, force est de constater que le 44e président n'a pas changé le monde. Pire, il quitte le bureau Ovale en laissant un monde plus instable qu'il ne l'était à son arrivée, marqué par des courses folles à l'hégémonie au Moyen-Orient et en Asie, la montée en puissance des groupes terroristes sur trois continents (Afrique-Asie-Europe), le retour d'un certain climat de guerre froide, la remise en question des valeurs démocratiques et par l'impuissance du droit international à encadrer les conflits. La faute n'en incombe pas seulement au président des Etats-Unis. Barack Obama a défendu tout au long de ses deux mandats le multilatéralisme, tout en critiquant le tropisme guerrier de ses prédécesseurs : «Ce n'est pas parce qu'on a un marteau que l'on doit voir chaque problème comme un clou», déclarait-il en mai 2014. Le président américain est convaincu, dès son arrivée au pouvoir, que les Etats-Unis ne peuvent plus être les gendarmes du monde et doivent se concentrer d'abord sur leurs propres intérêts. La période de l'unipolarisation du monde est arrivée à terme et les Etats-Unis doivent désormais accepter d'impliquer davantage les autres puissances internationales et régionales dans la gestion des affaires diplomatiques et dans la résolution des conflits. Barack Hussein Obama change ainsi complètement les règles du jeu. Sans en discuter au préalable avec ses alliés en Europe ou au Moyen-Orient, qui seront fortement déstabilisés par cette nouvelle donne. Sans anticiper que ses adversaires, la Chine de Xi Jinping et la Russie de Vladimir Poutine en tête, allaient profiter de cette phase de retrait pour accroître leur zone d'influence, et contester le leadership américain et les valeurs qu'il défend sur la scène internationale. Regret à demi-mot Le locataire de la Maison-Blanche va passer une grande partie de ses deux mandats à essayer de corriger les erreurs commises par son prédécesseur sur la scène diplomatique. Cet héritage va contribuer à accentuer sa pusillanimité autant qu'il va limiter sa marge de manœuvre. «Est-ce que je peux finir les deux guerres dans lesquelles nous sommes impliqués avant que vous en commenciez une troisième ?» répondait le secrétaire à la Défense, Robert Gates, à Barack Obama et la secrétaire d'Etat Hillary Clinton qui débattaient de la nécessité d'intervenir en Libye en 2011. Extrêmement sceptique, le président américain finira par se laisser convaincre par Mme Clinton d'intervenir dans le cadre de la légalité internationale pour protéger la population libyenne contre les menaces proférées à son encontre par Mouammar Kadhafi. Il le regrettera, à demi-mot, quelques années plus tard, considérant que la question du «jour d'après» n'avait pas été assez bien préparée. La scène moyen-orientale, d'où Barack Obama voulait progressivement dégager la puissance américaine, aura hanté sa politique extérieure tout au long de ses deux mandats. Le «pivot stratégique» vers l'Asie, requalifié plus tard de «rééquilibrage», sera largement retardé par l'obligation d'un «détour» par le Moyen-Orient. C'est dans cette région que le 44e président américain va signer son plus grand succès sur la scène diplomatique, l'accord nucléaire avec l'Iran, mais aussi son plus grand échec, la crise syrienne. Persuadé que la voie diplomatique est le meilleur moyen d'éviter que l'Iran ne devienne une puissance nucléaire, le commandant en chef des Etats-Unis va faire de cet objectif sa priorité stratégique dans la région. Quitte à se mettre à dos les deux alliés traditionnels des Etats-Unis dans la région, Israël et l'Arabie saoudite, qui verront d'un très mauvais œil cette consécration du rôle de l'Iran en tant que puissance régionale. L'accord entre l'Iran et les 5+1 (Etats-Unis, Chine, Russie, Royaume-Uni, France, Allemagne), signé à Vienne le 14 juillet 2015, est le parfait exemple de ce qu'aura été la doctrine Obama, détaillée dans un article référence publié par le mensuel américain The Atlantic, en mars 2016. Un mélange de réalisme (il était difficile d'obtenir un meilleur accord avec Téhéran), d'internationalisme (les grandes puissances ont été impliquées dans le processus) et de libéralisme (le pari étant que l'Iran va finir par se démocratiser en réintégrant le concert des nations). Mais à quel point sa volonté de conclure cet accord - qui n'a pas incité l'Iran à modérer ses positions sur la scène régionale - a déterminé sa politique étrangère au Moyen-Orient ? Entre deux eaux Barack Obama n'a pas réussi à mettre fin aux guerres américaines. Loin de là. Sa volonté de se désengager précipitamment a, au contraire, permis la renaissance de l'Etat islamique (EI) - que le président américain a mis du temps à prendre au sérieux - en Irak et la montée en puissance des talibans en Afghanistan. Le relatif retrait américain a encouragé l'Iran à poursuivre son entreprise de conquête de l'hégémonie régionale en confrontation directe avec le rival saoudien et a laissé la Russie faire un retour fracassant au Moyen-Orient. Le 44e président américain n'a pas su, ou n'a pas pu, tirer profit du printemps arabe pour appuyer les forces modérées dans la région. Et il aura attendu le dernier mois de son mandat pour faire un geste fort en faveur des Palestiniens, en s'abstenant de mettre son veto sur une résolution de l'ONU condamnant la colonisation israélienne, après avoir offert à l'Etat hébreu une aide militaire record pour les dix prochaines années. L'Amérique d'Obama aura entretenu des relations froides avec tous les alliés traditionnels des Etats-Unis au M-O : Israël, l'Arabie saoudite, l'Egypte et la Turquie. Sans pour autant réussir à nouer de nouvelles alliances solides qui lui auraient permis de contrebalancer les politiques irrationnelles menées par chacun de ses alliés. Il a navigué entre deux eaux, critiquant les dérives de ses alliés tout en refusant de renverser la table et de remettre en question ces alliances. Trop tard ou trop tôt Le plus grand orateur de sa génération a fait la promotion du droit international à une époque où la majorité des puissances ne comprennent que le rapport de force. Comme s'il était arrivé trop tard ou trop tôt, dans un monde où la pax americana est fortement remise en question sans qu'une ou plusieurs autres puissances soient pourtant capables de prendre le relais. Le bilan diplomatique de l'ancien sénateur de l'Illinois ne doit pas être négligé : sans lui, il n'y aurait sans doute pas eu d'accord sur le climat à Paris, ni de réconciliation entre les Etats-Unis et Cuba. Mais ce bilan apparaît insuffisant par rapport aux attentes, certes démesurées, que son arrivée au pouvoir avait suscitées, et semble plus fragilisé que jamais par la victoire à l'élection présidentielle américaine de son antithèse, Donald Trump, qui veut dissoudre une grande partie de l'héritage de son prédécesseur. Pur produit de rationalité, la doctrine Obama - synthèse entre les visions de Woodrow Wilson, de Henry Kissinger et de James Monroe - n'aura pas réussi à susciter l'adhésion du reste de la planète. Mais en comparaison avec la doctrine Trump, elle pourrait assez rapidement être réhabilitée par l'histoire. A. S. In lorientlejour.com