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Chouaïb Oultache : «Je n'ai pas tué Ali Tounsi. Ils l'ont achevé et ils ont voulu me tuer pour me faire porter le chapeau» Le procès s'est ouvert hier devant le tribunal criminel d'Alger
Le procès de l'ex-chef de l'unité aérienne de la direction générale de la sûreté nationale (Dgsn), Chouaïb Oultache, accusé de l'assassinat de l'ancien Dgsn, Ali Tounsi, s'est ouvert hier au tribunal criminel d'Alger sous la présidence du juge Omar Belkharchi. L'accusé va récuser toutes les charges retenues contre lui et va même affirmer qu'il a été piégé : «Je n'ai pas tué Ali Tounsi. Je l'ai certes blessé mais ils l'ont achevé et ils ont voulu me tuer pour me faire porter le chapeau.» Présent seul dans le box des accusés, l'ancien colonel de l'armée de l'air, auquel Ali Tounsi avait confié les services de l'unité aérienne, en prison depuis sept ans, est poursuivi pour homicide volontaire avec préméditation contre la personne d'Ali Tounsi, guet-apens et tentative de meurtre sur les personnes du chef de sûreté de la wilaya d'Alger et du directeur de l'administration générale de la Dgsn, ainsi que pour port d'arme et de munitions type 4 sans autorisation légale. Des accusations qui peuvent valoir la réclusion à vie, voire la peine de mort. Plus d'une cinquantaine de témoins, des médecins légistes et des experts en balistique, entendus lors de l'instruction judiciaire, vont se succéder à la barre du tribunal criminel d'Alger. Le collectif de la défense, composé de Me Mohamed Tayeb Belaarif, Me Mohamed Amine Sidhoum et Me Nora Ghaffar, a également présenté une liste de sept témoins supplémentaires. Après la composition du tribunal et la lecture de l'arrêt de renvoi, Oultache est appelé à la barre. A 72 ans, l'ex- colonel, affaibli, avance difficilement. Le juge demande «une chaise ?» et l'accusé de répondre «oui s'il vous plait». Mais ce seront les seules amabilités que le juge et l'accusé vont s'échanger. Oultache, homme sévère et ne se laissant pas faire, va répondre avec de la répartie aux remarques du juge amenant ce dernier à lui dire «si vous êtes un méchant, je le suis plus que vous». Et l'accusé de rétorquer : «Je ne suis pas un méchant. Vous me respectez, je vous respecte. Entre-nous, il y a la loi.» Oultache commence son audition en se présentant. L'accusé a un master, il était pilote de ligne, moudjahid à 16 ans, colonel de l'armée avant de prendre sa retraite et de rejoindre les rangs de la sûreté nationale pour se charger de l'unité aérienne et de la modernisation de la police. Questionné sur l'absence d'une autorisation de port d'arme par le juge, il soutient qu'il n'en avait nullement besoin étant commissaire divisionnaire. Loin d'être convaincu le juge préfère passer au vif du sujet. Il demande alors à Oultache de lui raconter sa version des faits relatifs à l'assassinat d'Ali Tounsi. A ce moment, Oultache va revenir sur toutes ses déclarations faites au cours de l'instruction pour affirmer : «Je ne l'ai pas tué. Je l'ai certes blessé mais ils l'ont achevé. Je n'avais aucune raison de le tuer. Il n'avait entre nous ni femmes, ni argent, ni terres… » «Et toutes vos anciennes déclarations devant le juge d'instruction ?» demande M. Belkharchi. «Est-ce un juge d'instruction celui-là ?», lâche l'accusé, très vite rappelé à l'ordre par le président qui demande à nouveau, «combien de balles avez-vous tiré et quelle partie du corps avez-vous visé?». Oultache explique que menacé par la victime avec un coupe-papier, il s'est défendu en tirant à quatre reprises en visant la main droite du défunt Ali Tounsi. Il affirmera ensuite qu'il ne s'agit nullement de nouvelles déclarations et que lors de sa première audition par le juge d'instruction, il a refusé de parler parce qu'«ils ont voulu me tuer à l'hôpital». Il soutient également avoir «compris que le juge était complice» et d'ajouter, en le citant nommément, «Zeghmati est le copain de Zerhouni (l'ex-ministre de l'Intérieur) et c'est lui qui a monté tout ce scénario». Calmement, le président Belkharchi revient sur les rapports des expertises balistique et psychiatrique, brandissant des photographies du corps de la victime. Le juge explique à l'accusé que l'ensemble des rapports confirment qu'il est l'auteur du crime : les balles retrouvées dans le corps de la victime sont de son arme, les traces de poudre ainsi que ses propres déclarations. Rien à faire, Oultache ne change pas d'un iota ses déclarations. Mieux, il va parler d'une conspiration. «Ce sont les expertises de la police, l'enquête a été menée par une brigade de la police, le juge était complice…Regardez bien les photographies, ils ont camouflé les blessures que j'ai causé du côté droit. Les deux balles qu'Ali Tounsi a reçu à la tête, ce n'est pas moi qui les ai tiré», dira-t-il. «Vous remettez en cause le travail effectué par les services de police ? Vous étiez l'un des haut cadre de cette institution» lâche le juge avant d'ajouter «donc tout le monde est contre vous ? Même le professeur qui a effectué l'autopsie ? Même moi alors ?». Et Oultache de répondre vivement que «si vous continuez sur ce ton, oui». Le juge refuse de polémiquer plus et poursuit son audition. «Pourquoi avez-vous tenté de vous tuer ? Est-ce parce que vous veniez de tuer la victime ?». «Non parce que c'était un ami. Mon arme s'est bloquée alors j'ai appelé trois divisionnaires sachant qu'au moins l'un deux sera armé. Je voulais les menacer afin qu'ils me tuent.» Le juge rappelle à l'accusé qu'il s'était enfermé dans le bureau de l'ex-Dgsn et que la brigade d'intervention a été obligée de défoncer la porte pour l'arrêter, «ce n'est pas le comportement d'une personne qui chercher à se faire tuer», fait-il remarquer. Le juge explique à l'accusé que selon l'arrêt de renvoi, le mobile du meurtre est lié à l'affaire de corruption pour laquelle il a été condamné (après son arrestation pour le meurtre) à huit ans de prison et que le jour du meurtre, un article dans les médias faisait état de l'intention de l'ex- Dgsn de le démettre de ses fonctions. A ce propos d'ailleurs, Oultache aurait dit à sa femme le matin du meurtre, selon le témoignage de cette dernière, de ne pas faire attention «aux conneries de la presse». Oultache soutient que c'est une affaire fabriquée de toute pièce pour l'enfoncer et qu'il n'avait pas pris connaissance de l'article de presse en question. Pourtant il reconnait que le jour du meurtre il était convié à une réunion-bilan consacrée à la modernisation des services de police, qu'il avait bien demandé à voir Ali Tounsi quelques minutes avant la réunion pour demander le report n'étant pas prêt pour l'exposé de son bilan. Il indique également qu'Ali Tounsi a accepté de le recevoir, qu'il était froid et qu'il lui a reproché sa gestion après avoir appris qu'il avait donné un marché dans des conditions douteuses à son beau-fils. Il avoue «avoir été en colère» lorsque le défunt l'a «traité de traître et de fils de harki», et reconnaît avoir «tiré» sur lui «en légitime défense pour des considérations professionnelles et non pas personnelles». L'accusé a soutenu qu'Ali Tounsi le menaçait avec un coupe-papier et qu'il avait tiré afin de se défendre. Tout au long de l'audition, l'accusé va continuer de nier les faits. Le juge va finir par lui dire : «Vous parlez de remords et d'amitié et vous avez tiré deux balles dans la tête de votre ami dont l'une a troué sa langue et l'autre a fait exploser sa tête. C'est bien cet ami qui vous a permis de devenir un cadre supérieur de la police alors que vous n'aviez plus de travail. C'est bien cet ami qui a appris à votre fille à jouer au tennis, vous a ouvert sa maison …. ». «Je dis à ses enfants, à sa femme et à ses frères…Je ne l'ai pas tué», lâche Oultache calmement en guise de réponse. «Il était vivant. Il appuyait avec sa main sur sa blessure et gémissait», insiste l'accusé. Cependant, il ne réussit pas à convaincre grand monde. Toutes ses réponses seront décousues et inconcevables. Il dit, à titre d'exemple, qu'il a toujours porté son arme, acquise en 1980 aux Etats-Unis, sur lui et non pas uniquement le jour du meurtre alors qu'aucun témoin, ni même la femme de l'accusé, ne l'avait vu auparavant cette arme, ni en porter une. Il soutient également qu'Ali Tounsi aurait pu le tuer avec un petit coupe-papier (exposé à l'assistance par le procureur général) et que la victime lui avait assuré auparavant pouvoir assassiner une personne juste avec un trombone. A ce propos d'ailleurs, le procureur général va se demander pour quelle raison Ali Tounsi ne se serait pas suffit d'appeler ses gardes personnels qui eux sont armés jusqu'aux dents ? Oultache va afficher un regret en disant que «depuis sept ans je repense à ce qui s'est passé et il n y a pas un jour où je ne regrette pas de m'être emporté et de l'avoir blessé». Malgré ses regrets Oultache insiste, «je n'ai pas tué Ali Tounsi, ils l'ont achevé et ils ont voulu me tuer. Lors de l'intervention de la BRI, j'ai été blessé par trois balles. Presque inconscient, je me suis assis dans le bureau d'Ali Tounsi. J'ai entendu quelqu'un dire tout haut ‘‘personne ne doit quitter la scène de crime et il faut les achever tous les deux''. Là j'ai reçu une autre balle au foie et j'ai entendu un autre coup de feu. C'est peut-être celui qui a achevé la victime». Le juge lui demande alors «qui a tué Ali Tounsi ?». «Je ne sais pas. Celui qui avait un différend avec lui.» Aux questions de la partie civile, Oultache ne va pas changer ses réponses. Sa défense va soutenir que les balles retrouvées sur la scène du crime ne correspondent pas à l'arme d'Oultache. «C'est du 8 mm alors que l'arme de notre client c'est du 9 mm» soutiennent les avocats demandant à essayer les balles dans l'arme. Ce que le juge va refuser. A l'appel des témoins, l'étau se resserre sur l'accusé. En effet, le secrétaire personnel d'Ali Tounsi, Dahlal Abdelaziz, le premier à accéder au bureau de la victime alors qu'Oultache, le seul à quitter le bureau à ce moment là, menaçait trois divisionnaires avec son arme, a déclaré : «Quand je suis entré, j'ai vu Ali Tounsi mort sur le sol dans une grande flaque de sang.» Il confirmera même l'impact de la balle à la tête de la victime, réfutant par là la thèse de l'accusé qu'Ali Tounsi a été achevé quelques minutes plus tard. Il soutiendra avoir entendu les deux coups de feu et avoir cru qu'il s'agissait de pétards, vu que ce jour-là était le jour du Maoulid Ennabaoui. Le second témoin, l'ex- chef de la sûreté d'Alger a, quand à lui, soutenu qu'Oultache, avec qui il avait un différend depuis une longue date à cause des malversations, avait l'intention de le tuer et qu'il n'a eu la vie sauve que parce que l'arme d'Oultache s'est bloquée. «Après avoir tiré sur Ali Tounsi, il m'a fait appeler avec deux autres collègues par le secrétaire personnel d'Ali Tounsi, en faisant croire que c'est le Dgsn qui nous demandait. Dès que je suis arrivé, il a dit ‘‘regarde où j'en suis arrivé à cause de vous'' en pointant son arme vers moi et en tirant. Heureusement que son arme s'est bloquée. On a essayé de le maîtriser mais il m'a asséné un coup au visage avec son revolver. Je suis convaincu à 100% qu'il avait l'intention de me tuer». Le juge rappelle au témoin à ce moment là, la violente altercation qu'il a eu avec l'accusé à cause du projet de modernisation et ce dernier de confirmer, «oui je l'ai traité de traitre et de voleur. Il mentait à Ali Tounsi en lui disant que les talkies-walkies acquis étaient codés alors que j'avais saisi dans des boites de nuit des modèles de talkies-walkies qui permettaient d'entendre toutes les émissions de nos services». Les témoins ont continué à défiler hier à la barre, remettant en cause toutes les déclarations de l'accusé, à l'exception de l'épouse de l'accusé qui est revenu sur ses déclarations affirmant pour la première fois être au courant du port d'arme par son mari. Le président Belkharchi a levé la séance annonçant la poursuite du procès aujourd'hui où il est attendu le réquisitoire du procureur général et les plaidoiries de la partie civile et de la défense. H.Y.