Quarante-huit heures après avoir connu un échec à Marseille avec l'arrestation de deux présumés terroristes qui s'apprêtaient à perpétrer des attentats en vue de «déstabiliser» l'élection présidentielle française, le terrorisme est passé à l'action jeudi soir dernier à Paris, dans un lieu hautement symbolique : l'avenue des Champs Elysées. Sur une cible tout aussi symbolique : la police. Vers 21h, heure locale, un dénommé Karim Cheurfi, 39 ans, de nationalité française, né dans la région parisienne, a tiré avec une arme à feu sur des policiers en faction à la hauteur du n° 102 de la plus belle avenue du monde, tuant l'un deux, blessant grièvement deux autres ainsi qu'une touriste étrangère. L'assassin a été abattu sur le champ. Connu pour des faits de délinquance des services de sécurité, Cheurfi l'était également, par ces mêmes services, comme un élément «excessivement dangereux» qui a été radicalisé par des islamistes fanatiques. Contrairement à ses habitudes l'EI a rapidement - deux heures après l'attentat - revendiqué le crime via son agence Amaq. Au même moment, le président François Hollande affirmait que «les pistes sont d'ordre terroriste». Cet acte terroriste réussi en plein cœur de Paris a soulevé une grande émotion à travers le pays. Les images du drame tournent en boucle sur les chaînes de télévisions généralistes et d'information. Cela a bouleversé le déroulé de la soirée de jeudi et de la dernière journée de la campagne électorale pour la présidentielle, vendredi. L'ultime émission télévisuelle qui se passait sur une chaîne publique avec un entretien, 15 mn chacun, accordé pour les onze candidats, a soudainement perdu de son intérêt initial dès l'attentat appris. Depuis, le sujet dominant épousé par les candidats en lice est la sécurité et la lutte contre le terrorisme. Fillon, Le Pen et Macron, entre autres, ont modifié leur programme d'hier en procédant tout particulièrement à l'annulation des déplacements en province en signe, ont-ils dit d'hommage au policier assassiné. Mais à écouter les déclarations qu'ils ont données hier à Paris, il y est à se demander s'il ne s'agissait pas d'un redéploiement tactique pour exploiter le triste évènement à des fins électoralistes en attaquant le gouvernement, la cible visée, par ricochet, étant Macron. C'est ainsi que la candidate de l'extrême droite a saisi cette opportunité pour «ordonner la restauration immédiate» des frontières, de «mettre en œuvre l'expulsion immédiate de tous les fichés S étrangers» (Cheurfi est non concerné !), l'interdiction des signes religieux dans l'espace public ou la «dissolution de l'Union des organisations islamiques de France» (une association qui a changé de nom puisqu'elle s'appelle «Musulmans de France»). Jouant au plus offrant pour cette frange de l'électorat de la droite dure qu'il dispute à Marine Le Pen, François Fillon s'est présenté en meilleur rempart au «totalitarisme islamique», en combattant «d'une main de fer» le fondamentalisme terroriste. Lui qui prévoit dans son programme économique et social la suppression de 500 000 postes de fonctionnaires, le voilà qu'il promet 10 000 policiers supplémentaires. Le Premier ministre, Bernard Cazeneuve, a certainement vite compris l'originalité inattendue de cette fin de campagne due à l'attentat de Paris, l'élection risquant de se jouer à quelques milliers de voix pour accéder au second tour, pour réagir vivement en accusant Fillon et Le Pen d'avoir fait «le choix de l'outrance et de la division». «François Fillon, a-t-il aussi déclaré, préconise la création de 10 000 postes de policiers. Comment croire sur ce sujet un candidat qui, quand il était Premier ministre, en a supprimé 13 000 dans les forces de sécurité intérieure ?». Concernant Le Pen il dira que «la candidate du FN cherche, comme après chaque drame, à provoquer et instrumentaliser pour diviser. Elle cherche à provoquer l'émotion à des fins uniquement politiciennes […] Cette attaque est un drame. Mme Le Pen cherche à en faire une occasion médiocrement électorale au mépris de la vérité.» Le candidat socialiste, Benoît Hamon, a dénoncé la «surenchère politique» qu'il trouve «sordide», alors qu'Emmanuel Macron a mis dos-à-dos Le Pen et Fillon qui entretiennent «la peur». Enfin, Jean-Luc Mélenchon a pris le choix de poursuivre sa campagne électorale, car, a-t-il affirmé, la démocratie est plus forte que le terrorisme. Il a appelé au «sang-froid», au refus de la «haine», «de la vengeance» et pour que «cesse la polémique, notamment contre les responsables du pays», allusion à Fillon et Le Pen. Après l'attentat terroriste de jeudi soir, la principale interrogation qui est posée en France est quelle serait son influence sur les résultats de l'élection demain ? Est-ce que le sentiment de peur que cultivent la droite et l'extrême droite pourrait faire basculer des électeurs indécis vers leurs camps ? Ou est-ce que ces électeurs resteront insensibles à cet appel qui fait fi de la raison ? L'un des tous derniers sondages autorisé par la loi, publié vendredi, prédit les scores suivants : Emmanuel Macron 24%, Marine Le Pen 22%, François Fillon et Jean-Luc Mélenchon au coude-à-coude à 19%, Benoît Hamon largué à 7,5%. M. M.