Invité de la chaine publique française TV5 Monde, Yves Bonnet, patron de l'ex-DST de 1982 à 1985, a déclaré qu'il a écrit à Jean-Yves Le Drian, nouveau ministre des Affaires étrangères, pour lui demander de restituer à l'Algérie le canon mythique Baba Merzoug. L'ex-député, ami de l'Algérie assumé et actuel président du Centre international de recherches et d'études sur le terrorisme et l'aide aux victimes du terrorisme (Ciret-AVT), a encore dit que ce serait de la part de l'ancien ministre de la Défense un «geste d'amitié» envers les Algériens dont c'est le bien historique. Il y a cinq ans, un autre ami de l'Algérie, Jean-Pierre Chevènement (ex-ministre de la Défense, ministre de l'Intérieur et de l'Education), invité alors à un colloque sur l'Emir Abdelkader, avait plaidé pour la restitution des archives coloniales. Pour ce faire, Français et Algériens doivent «arriver à une conscience commune», avait dit en conscience le Che de Belfort. Il a même soufflé une idée pratique aux autorités de son pays : «Rien n'empêche le partage des archives, on peut même les dupliquer.» Pour le papier, ça va, mais pour un canon de 12 tonnes de bronze tel Baba Merzoug, long de 6,25 mètres, sorti de la fonderie algéroise Dar Ennahas en 1545, c'est un peu plus compliqué ! Comme les pouvoirs publics français ne peuvent réaliser une copie conforme de Baba Merzoug que leur marine a féminisé en le baptisant La Consulaire, s'offre donc à eux une solution plus simple que la suggestion du Che : le restituer tout simplement à qui de droit. Mais, il ne faut pas rêver, et surtout pas croire aux promesses de Gascon si elles existent. Pour revoir un jour Baba Merzoug à Alger, là où il a craché des boulets de feu des siècles durant, précisément au môle Kheïreddine, entre Bordj Essardine et Bordj El Goumène, à l'Amirauté d'Alger, il faut plutôt sortir les canons ! Tonner, comme doivent le faire les autorités algériennes, présidence de la République et ministère de la Défense en tête. Sortir le gros calibre pour revendiquer sa restitution. Tonnerre de Brest, ce ne serait que justice que de rapatrier de cette ville Baba Merzoug, père affectueux, jadis dispensateur de baraka et de bonne fortune aux Algérois ! Bénis soient alors son tube et son affût ! Gouvernement et présidence de la République devraient aligner les batteries d'artillerie diplomatique. Monter en première ligne pour ne pas laisser Belkacem Babaci, fondateur du comité de restitution du légendaire canon, tirer à blanc, au même titre que des journalistes esseulés, réduits à lancer des pétards mouillés. Que nos militaires et nos diplomates sachent donc que des Français n'ont pas hésité à donner de la voix, chez eux, utilisant tour à tour les armes de la pétition et du lobbying. Il en est ainsi de ces honorables officiers de l'armée française qui, déjà en 1912, ont signé une pétition réclamant la restitution de Baba Merzoug à ses primo-propriétaires. De même que cet homme d'affaires breton, Domingo Friand de son nom, imbu de justice et si friand d'histoire, qui a porté la question devant le président Jacques Chirac et au Parlement français. En vain, car la ministre de la Défense de l'époque, une rigide Michelle Alliot-Marie, avait entonné que La Consulaire «fait partie intégrante de notre patrimoine historique de la Défense ; de plus, le personnel de la Marine manifeste un attachement particulier à ce monument qui commémore la participation des marins à un épisode glorieux de l'histoire de nos armées». Mais, si la dame trouvait dans la séquestration de Baba Merzoug une justification de la mémoire coloniale, les Algériens, eux, devraient inverser l'argument mémoriel pour revendiquer la restitution d'un canon qui fit tant de bien pour la défense d'Alger contre des vagues d'envahisseurs. En son temps, Baba Merzoug, dont la portée est de 4,872 km, exceptionnelle jusqu'à l'avènement de la Grosse Bertha allemande au XXe siècle, avait fait des étincelles en tirant à boulets d'enfer sur moult escadres ennemies. Il est vrai, les marins français maugréent sous le képi bicorne à l'idée qu'on puisse déboulonner un jour Baba Merzoug, érigé en colonne votive dans la rade de Brest. Soit. Mais, si la marine française y voit encore quelque gloire militaire à conserver par-devers elle le canon ennemi, son maintien au cœur de l'Arsenal de Brest ne relève pourtant d'aucune fatalité historique. Tout bien mal acquis est condamné à revenir à ses légitimes propriétaires. Le président Chirac, exemple symbolique à méditer, a déjà restitué le sceau du Dey Hussein, ce potentat émasculé qui a capitulé sans tirer un coup de canon, en juillet 1830. La France, d'autre part, n'a-t-elle pas rendu aux Allemands la statue d'Apollon que Napoléon Bonaparte leur a volée comme un vulgaire chapardeur de poules ? Alors, pour Baba Merzoug, chargeons tous les canons possibles pour exiger son retour, mais aussi celui des huit couleuvrines du château parisien des Invalides et celui des crânes du Chérif Boubaghla, de Cheikh Bouziane et de Moussa Derkaoui, entre autres, conservés au Muséum d'histoire naturelle de Paris comme des curiosités anthropologiques. Plus que des canons ou des restes mortuaires prestigieux, ce sont là des corpuscules insécables et incessibles de la mémoire historique algérienne. Inaliénables, ad vitam aeternam. Alors, M. le président Macron, rendez-nous notre bien spolié, rendez-nous Baba Merzoug ! N. K.