Les grandes douleurs sont muettes. Quand Hassan Gherab, directeur de la rédaction, m'a appelé à 6h du matin de la journée de dimanche pour m'annoncer «une mauvaise nouvelle» que pouvait-il justement y avoir de mauvaise nouvelle que celle de la disparation du patron emblématique du journal ? En effet, pour moi il n'y avait pas plus importante et dramatique qu'une telle réalité… même s'il s'était agi d'un membre de ma famille, mon frère, ma sœur. Parce que justement BCH était plus que ça, c'était d'abord un ami et la notion d'ami est pour moi une chose qu'on ne galvaude pas. Pourtant, j'ai régulièrement intériorisé cette amitié parce qu'avant tout Bachir… «Si Bachir» était mon patron, d'ailleurs ça l'incommodait et combien de fois m'a-t-il demandé d'envoyer aux orties ces «Si Bachir», une demande que je n'ai jamais pu honorer en raison de ma longue carrière dans l'administration où les règles tant de la bienséance que de l'ordre hiérarchique voulaient qu'un supérieur reste avant tout un chef. Il l'était autrement dans tous les sens et toutes les compétences. Personnellement, je pense que plus rien ne sera comme avant. Du moins pour moi, sans doute en raison des relations professionnelles exceptionnelles que j'ai appris à connaitre dans un autre moule qu'est le journalisme, une vocation que très précocement je nourrissais et que la Tribune plus particulièrement m'a permis d'aiguiser comme en témoigne cette fin de journée caniculaire de l'été 2005 durant laquelle BCH m'appelle pour un édito, je me souviens lui avoir répondu qu'il s'agissait là d'un exercice difficile, voire spécialisé, une sorte de sanctuaire infranchissable que je n'aurais jamais imaginé désacraliser. Bien au contraire, le patron me dira : «Si ! Tu en as la capacité, tu fais partie de nos meilleurs collaborateurs… allez, j'attends ton papier avant 18h.» Le lendemain, il me rappelle pour me dire que l'édito était excellent et que désormais je faisais partie de ceux qui, une fois par semaine, y contribueront. Les grandes douleurs sont muettes et c'est pour cette raison également que les mots pour dire l'abyssal vide que laisse mon patron ne peuvent se suffire de leur alignement. En fait, pour quelqu'un comme moi qui a biberonné très jeune au sein de l'administration, BCH était un patron atypique. Pour moi, il y a une certitude : la vie ou sinon la mort est injuste en ce sens qu'elle a pris le meilleur d'entre nous, quoi que je m'efforce à me convaincre qu'il est parti sans doute vers un monde meilleur, pas celui rabâché par le premier quidam et les prêcheurs de bonne conscience mais celui plus paisible des vertes prairies, des cours d'eau loin de tout tumulte.