En se rendant aux urnes aujourd'hui et dimanche prochain pour les deux tours des élections législatives, les français ont à répondre à une question : faut-il donner au président Macron, qu'ils ont élu le 7 mai, une majorité absolue de députés pour qu'il dispose d'une chambre favorable à la mise en œuvre de son programme ou est-il préférable de lui enlever cette arme afin qu'il compose un gouvernement de cohabitation avec des forces politiques de l'opposition ? Poser cette question en ce jour de scrutin, classique en d'autres temps, peut être considéré comme saugrenue tellement tous les sondages et enquêtes, si nombreux ces dernières semaines, jusqu'à ce vendredi, prédisent une victoire mémorable des candidats estampillés République en Marche (REM), parti créé il y a juste un an. Dans les médias comme dans les bouches de personnalités politiques, il est question de «Big bang», «raz-de-marée», voire de «révolution législative» ou «avis de tsunami à l'Assemblée nationale» (dernier titre du Monde) qui va produire une recomposition politique française sans précédent, provoquée et au bénéfice de celui qui était un inconnu en politique il y a deux ans et dirige maintenant le pays. En effet, s'il y a 7 882 candidats en lice, des dizaines de partis, dans les 577 circonscriptions correspondant à autant de députés à élire, les sondages s'accordent pour affirmer que les porteurs de l'étiquette REM et son petit allié centriste le Modem, du ministre de la Justice, François Bayrou, auront une victoire éclatante, écrasante. Si la majorité absolue est acquise à partir de 289 sièges, les macronnistes pourraient s'adjuger (avec seulement 31,5% des intentions de vote au 1er tour) entre 360 et 400, même 427 selon un sondage commandé par France télévision ! C'est énorme si la réalité confirmait les sondages. Une odeur de parti unique flotterait alors sur l'Assemblée nationale française qui réduirait les oppositions à faire de la figuration parlementaire. La droite des Républicains (LR) et les socialistes (détenteurs de la majorité absolue de l'Assemblée sortante), qui ont dirigé la France tour à tour depuis 1958, connaitront le coup de massue de leur histoire. Surtout les socialistes, crédités de 8% des voix (30% en 2012 !), qui n'atteindraient pas la barre de 30 sièges. La droite qui se voyait triomphante avant le «suicide» Fillon, pourrait avec 20-22% des intentions de vote compter sur une centaine de sièges alors que le Front national (18%) et la France insoumise/communistes (13,5%) auraient du mal à glaner les 15 députés qui permettent de créer un groupe à l'Assemblée nationale. Oui, si les urnes confirment les sondages, c'est une révolution qui s'emparera du Palais Bourbon. Macron aura réussi son double pari : se faire élire Président, lui qui est venu de nulle part, s'offrir une majorité absolue de députés avec un nombre impressionnant de novices qui auront mis au placard nombre de caciques et de poids lourds, de droite comme de gauche, qui ont marqué la vie parlementaire française depuis des décennies. Une expérience politique historique nouvelle pourrait vraiment commencer : croire qu'il est possible de remplacer le traditionnel clivage gauche-droite par une séparation progressiste-conservateur, au-delà des origines idéologiques des uns et des autres. La pratique, les faits et le contenu des réformes, notamment, départageront ceux qui croient que Macron n'est que la droite soft chargée de «revitaliser» le capitalisme et ceux qui sont convaincus que c'est une voie inédite pour le progrès par la réconciliation entre les classes sociales. Pour comprendre la non correspondance entre les intentions de vote et la projection de sièges de députés, il faut tenir compte du fait que nous n'avons pas à faire à un scrutin proportionnel à un tour mais à un scrutin majoritaire à deux tours. Tous les candidats qui n'obtiendraient pas ce soir 12,5% des voix des inscrits seront éliminés du second tour qui laissera place à des duels ou à des triangulaires. C'est le système de report des voix de ceux qui ont voté pour les candidats éliminés qui amplifiera les voix qu'obtiendraient ceux qui brigueront la députation dimanche prochain. M. M.