L'Algérie a connu un Premier ministre qui avait constaté que l'argent, notamment la finance noire ou carrément sale, avait trouvé une place plus ou moins importante dans l'économie et la politique. Sous la direction gouvernementale d'un autre, l'argent facile et l'argent gagné grâce à la manne de la commande publique et de la subvention des matières de base, a, en effet, fini par influer sur certains choix et décisions gouvernementaux. Il s'est même ouvert le chemin du Parlement et des principaux partis politiques du pays. L'actuel Premier ministre, et c'est heureux, a affiché d'emblée une couleur différente en exprimant, dès la présentation de son Plan d'action gouvernementale, sa ferme volonté de lutter contre l'influence de l'argent politique au sein de l'Etat. Comprendre qu'il entend que soit désormais dissociés argent et politique. A savoir que si les détenteurs de l'argent ont le droit de s'adonner à la politique, ils ne devraient plus le faire dans le mélange des genres. C'est ce que l'on comprend chez Abdelmadjid Tebboune lorsqu'il parle de moralisation de la vie publique par l'édiction de nouvelles règles devant éviter des situations de rente économique favorisées par l'influence politique, de même que la création et l'abus de positions dominantes. Bref, encadrer les choses par la loi pour mieux mettre des frontières claires entre les mondes politique, économique et associatif, ainsi que les situations d'incompatibilité entre un mandat électif et des intérêts particuliers. Si le président Abdelaziz Bouteflika a nommé Abdelmadjid Tebboune, un homme qui n'a pas fait entendre jusqu'ici, derrière lui, des bruits de casseroles, et s'il a surtout remercié son prédécesseur, c'est que le poids de l'argent en politique a commencé par trop se faire sentir. Et que certaines de ses exhalaisons ont fini par ternir assez sérieusement l'image de l'Etat et saper quelque peu sa crédibilité auprès d'une opinion publique qui ne semble plus croire à la politique, et surtout pas aux politiques. On a même noté, au fil du temps, que la presse qualifiait certains riches hommes d'affaires d'oligarques, osant même les comparer aux oligarques russes nés de la présidence cacochyme et éthylique de Boris Eltsine. Certes, comparaison n'est pas raison, mais le parallèle avec les oligarques de Russie ne peut toutefois laisser indifférent. Qui dit oligarque, dit oligarchie et qui dit oligarchie évoque nécessairement un système politique dans lequel le pouvoir réel est détenu par un nombre restreint d'individus. Une infime élite formée par l'alliance entre une aristocratie politique et une ploutocratie financière. Une minorité politique et une minorité possédante. Mais est-ce déjà le cas en Algérie, sachant que M. Abdelmadjid Tebboune s'est engagé à lutter contre l'influence inacceptable du mur de l'argent ? En réalité, s'ils ont déjà acquis plus qu'il n'en fallait d'influence politique, y compris au niveau de certains ministres passés déjà à la trappe, on est quand même un peu loin du schéma d'une oligarchie à la russe dans une Algérie où les privés dépendent, pour la plupart d'entre eux et pour une large part, de la commande publique que l'Etat peut décider d'arrêter à un moment donné. Des hommes d'affaires qui ont certes acquis des monopoles de fait ou des positions dominantes, mais dont la prospérité financière a été largement favorisée par la politique de redistribution de la rente en vigueur durant les années 1990 et nettement accélérée depuis 2000, avec notamment l'accès privilégié aux marchés publics et à des crédits bancaires publics très avantageux, souvent sans garanties solides et parfois sans jamais être remboursés ! Si l'actuel numéro deux de l'Exécutif entend engager la lutte contre l'argent politique, c'est que l'on n'était plus dans un simple schéma de lobbying classique et que les lois du pays étaient allégrement bafouées, entre autres, par un favoritisme devenu criard. Il était donc temps de sonner le tocsin et d'agir pour éviter que des privés s'organisent en lobbys puissants, dominants et irrésistibles. D'aucuns avaient donc tendance à les comparer aux oligarques russes qui, eux, furent à un moment donné un terme réel de l'équation du pouvoir dans la Russie eltsinienne et post-Eltsine. Mais on sait ce qu'il en est advenu lorsqu'ils ont essayé de phagocyter le pouvoir politique et de l'incarner. Nonobstant le destin tragique de certains d'entre eux, n'est pas un oligarque digne de ce nom le premier privé algérien qui le souhaiterait, dusse-t-il peser désormais en milliards de dollars. L'Etat, dont dépend la bénéfique commande publique, possède, outre l'arme de la loi, les moyens de les neutraliser, voire même de les disloquer, si d'aventure ils avaient les yeux du pouvoir politique beaucoup plus gros que le ventre de l'économie. Mais on n'en est pas encore parfaitement là, même si certains privés se sont comportés jusqu'ici telle la grenouille de la Bible qui veut se faire aussi grosse que le bœuf. N. K.