Bien plus qu'un sport, le football est un véritable phénomène social en Algérie. Peu importent les barrières sociales, le jeu à onze brasse toutes les catégories et déchaîne les mêmes passions à tous les niveaux de la hiérarchie. Ici, un peu plus qu'ailleurs, tout le monde reste suspendu aux rebondissements du ballon rond, surtout lorsqu'il s'agit de l'équipe nationale A. L'effet euphorisant de la victoire agit comme un catalyseur sur chaque citoyen, et la déception de l'échec annihile automatiquement toute bonne humeur. Dans le subconscient collectif, le football est perçu exactement comme un indice de développement ou un paramètre fondamental du niveau de vie. C'est pourquoi on retrouve le foot au centre de tous les débats et se mêlant, volontiers, à toutes les sauces. Lors de sa récente visite dans la wilaya de Sidi Bel Abbès, le président de République, interpellé sur le sujet, rétorque ironiquement : «Donnez-moi une bonne adresse pour former la sélection de vos rêves.» La controverse qui anime en ce moment le milieu footballistique porte, en effet, sur l'exploitation d'un important gisement de joueurs professionnels qui évoluent en Europe, et essentiellement en France. En clair, il s'agit, dit-on, de gagner en premier les faveurs des binationaux avant leur enrôlement dans leur pays d'«accueil». Il se trouve même des voix qui plaident pour la «naturalisation» de talentueux athlètes sud-américains ou africains pour offrir aux Algériens leur dream team. Une bonne partie de l'opinion récuse catégoriquement cette option, en plaidant pour une prise en charge adéquate des valeurs locales. Bien au-delà du résultat technique, les partisans de cette seconde «adresse» veulent, d'abord, une équipe représentative qui incarnerait, en priorité, la culture et l'identité algériennes. Même si le Club Algérie a déjà garanti sa participation au dernier tour des qualifications combinées de la coupe d'Afrique des nations et de la coupe du monde CM-CAN 2010, les deux parties s'accordent sur la nécessité d'étoffer l'effectif de la sélection nationale pour faire face à de grands favoris comme l'Egypte. Il est évidemment intéressant d'appeler en renfort nos athlètes évoluant dans les grandes «écuries» européennes, mais on doit se mettre en tête que les mentalités ont énormément changé depuis 1958. Cette année-là, pour rappel, des légendes mondiales comme Zitouni et Makhloufi ont courageusement opté pour l'équipe embryonnaire du FLN au détriment d'une carrière internationale au sein de l'équipe de France. La fibre nationaliste n'est plus ce qu'elle a été en ces temps de guerre de libération. C'est valable aussi pour les nationaux. Parmi nos pros d'aujourd'hui, il se trouve beaucoup de gens qui pensent exclusivement à leur carrière individuelle au sein de leur patrie d'adoption. C'est leur «intégration» qui en dépend. Zidane, Benzema, Naceri ou Meriem, tous d'origine algérienne, ont choisi consciemment d'endosser le maillot bleu et se sentent plus Français qu'Algériens. Il faut croire qu'aucune convocation ne saurait changer leur décision. Ils sont nés en France. Ils croient aux valeurs de la France. Ils se disent Français. Et, ils en ont le droit. On les remercie pour la «sympathie» qu'ils témoignent au pays de leurs parents, et pour la franchise de leurs positions. D'autres, moins chanceux, boudent les Fennecs dans l'attente d'une hypothétique sélection dans l'équipe du coq gaulois. Sitôt leur intime espoir déçu avec la marche implacable de l'âge, ils finissent par rejoindre le bercail en fin de carrière. Inutile de mettre des noms sur cette incroyable hypocrisie. En revanche, ils sont nombreux à porter l'Algérie au cœur, en répondant par l'affirmative au premier appel. On aimerait bien citer, ici, des gars de grande valeur morale et technique comme Ziani, Yahia, Belhadj ou Mansouri. Autrefois, il y a eu aussi des légendes comme Dahleb, Oudjani, Madjer et tant d'autres encore. L'idéal, aujourd'hui, serait de bien prendre en charge les joueurs locaux en mettant de l'ordre dans le Championnat national. On doit, en premier, instaurer la discipline dans la maison. Mustapha Dahleb, ancien faiseur de jeu du PSG et de l'équipe nationale algérienne, estime, à juste titre, qu'on n'investit pas suffisamment dans la jeunesse. «Nos dirigeants n'ont pas assez prêté attention à l'impact de ce sport sur le pays. S'il n'y avait pas de ballon rond au Brésil, il y aurait une révolte tous les dix ans. A Alger, on peine à comprendre que le football apaise…» tient-il à souligner dans une interview. Cela dit, on doit également accueillir à bras ouverts et honorer les athlètes issus de notre importante diaspora qui choisissent de se mettre au service des couleurs nationales. En somme, tout est une question de conviction. Cela se passe dans les tripes. K. A.