Photo : S. Zoheïr De notre correspondant à Constantine Nacer Hannachi Ils bravent le froid, la chaleur, la pluie, le danger pour remplir leurs poches de quelques dinars. Ces enfants que l'école a rejetés faute d'une scolarisation réussie en raison souvent d'une situation familiale incommode, et aussi par manque de qualification pour rejoindre un centre de formation professionnelle, se reconvertissent pour la plupart en «travailleurs» avant l'âge requis pour l'exercice d'une quelconque profession. Pourtant, la législation est claire sur le sujet. Qu'elle soit nationale ou internationale. En témoigne l'Organisation internationale du travail (OIT) qui, depuis sa création, a émis une batterie de mesures coercitives à l'encontre des exploitants d'enfants mineurs à travers le monde. La convention des Nations unies relative aux droits des mineurs a de fait stipulé, voire proclamé des droits, dont principalement la protection de l'enfant contre l'exploitation et de n'être astreint à aucun travail sous peine de sévères sanctions prononcées à l'encontre des contrevenants. L'Algérie n'est pas en reste de cette convention adoptée en 1989. L'édit 90/11 du 12 avril 90 relatif à l'interdiction de travail pour des jeunes de moins de 16 est ainsi entré en vigueur pour préserver cette frange contre «l'esclavagisme». A Constantine, il reste difficile à établir un bilan fiable sur le nombre de ces «travailleurs prématurés» Il fallait se rendre à la cimenterie de Hamma Bouziane ou encore aux environs de la nouvelle ville Mendjeli, ville en pleine expansion et ses chantiers à ciel ouvert, pour apercevoir la main-d'œuvre «mineure» décharger de la brique, du ciment, pour une poignée de dinars. «Mon père n'arrive pas à subvenir à lui seul à notre famille. Il faut bien que je l'aide même en amassant ces ronds», confie un môme de 15 ans au niveau de la nouvelle ville, en attendant l'arrivage d'un camion de transport public pour taquiner avec ses bras chétifs le poids lourd. Gêné par notre présence, le chauffeur n'ose pas demander de l'aide aux enfants qui entouraient son engin. Il s'est contenté de lâcher : «Ces pauvres sont issus de familles démunies. En plus de cela, l'école les a mis à la porte. Ils trouvent leur compte dans ce travail pour ne pas se laisser tenter par une éventuelle dérive.» Une lecture qui en dit long sur une complicité… Difficile d'apporter des preuves sur ce genre d'exploitation. L'inspection de travail de la wilaya ne dira pas le contraire. Ce qu'elle arbore a trait aux statistiques de ces dernières années qui ne donnent aucune courbe sur l'insertion des mineurs dans des entreprises notamment privées. «Aucun enfant des moins de 16 ans n'est enregistré dans une quelconque société privée. Ce rapport est établi par nos brigades qui sillonnent tous les espaces de travail. De plus, la réglementation algérienne est claire sur le sujet», explique le directeur de cet organisme, M. Korichi, qui ajoutera que «l'inspection interviendra dans le cas où il existe une relation de travail. Autrement dit, entre ‘'travailleur et employeur'' pour appliquer la réglementation inhérente à ce propos». Cela étant, le bilan satisfecit de l'administration locale qui n'est pas habilitée à agir en différents lieux où s'adonnent quotidiennement des enfants à des travaux pour le moins «forcés». Pour sa part, la direction de l'action sociale de Constantine fait état de plusieurs cas d'exploitation. L'année dernière, ses brigades ont recensé des petits enfants activant au niveau des marchés de fruits et légumes implantés aux lieux dits «souk el Asser» et Polygone au nombre de 33. A la nouvelle ville, au moins une centaine courbe l'échine en déchargeant des matériaux de construction. «Nous agissons par des campagnes de sensibilisation sur les dangers encourus à travers ce travail», déplore un cadre à la DAS indiquant que celle-ci «propose des solutions du moins apaisantes aux familles dont le père est handicapé, cause principale de la ruée vers le travail par la majorité des enfants. Dans ce cas, le père de famille bénéficiera d'une prime mensuelle estimée à 4 000 DA comme le stipule la réglementation, après une virée de l'assistante sociale. Mieux, on encourage le jeune à poursuivre ses études tout en le rassurant que la DAS prendra en charge ses frères ou/et sœurs scolarisés en matière de trousseau». Au niveau de l'action sociale, 17 cas sont enregistrés avec une attention particulière sur 5 foyers dont les actifs au-dessous de 16 ans se trouvent en service d'observation et éducatif en milieu ouvert (Soemo). «On les place dans ce contexte en raison du danger moral qui pourrait planer sur eux», dira le responsable. «L'opération de suivi est cependant chapeautée par un juge des mineurs qui s'enquiert périodiquement des rapports que lui confie notre équipe.» Sur un autre registre on ne dissimule pas le voile sur l'exploitation des enfants sous la coupe de l'apprentissage «La formation bénéficie beaucoup aux propriétaires de commerce où ils sont censés suivre un apprentissage de métier avec le concours du centre professionnel. Ces malheureux mineurs passent leurs journées à nettoyer, faire des courses, pour la moitié du SMIG. Rares sont les commerçants qui respectent la convention de l'école de formation qui, normalement, se décharge de la rémunération des recrues stagiaires au terme des six mois selon la spécialité», apprend-on d'une source proche du secteur. Le fossé est important entre la réalité du terrain et l'écrit qui interdit la présence d'enfants mineurs actifs. Ce vide profite par-dessus tout aux exploitants tant «l'enrôlement» se passe dans la nature. La sensibilisation demeure la seule arme pour permettre à ces enfants «exploités» de vivre leur âge…