à son septième jour, la campagne pour l'élection présidentielle rappelle à bien des égards Ubu roi, la pièce d'Alfred Jarry. L'absurde, le cruel et le grotesque sont les caractéristiques connues du Père Ubu. C'est aussi les traits marquants d'un théâtre électoral jusqu'ici morne, plat et atone. Pas de quoi alors fouetter un chat, un lièvre, une hase ou un «chauffeur de bendir» présidentiels. L'indigence globale du jeu électoral s'explique, bien sûr, mais en partie seulement, par l'absence d'enjeu, donc de passion et de suspense. Logique. Mais comme il y a toujours des exceptions à la règle, le manque d'attrait de la campagne n'empêche pas toutefois le recueil d'un florilège de perles électorales. Surtout, d'en tirer de premiers enseignements politiques. Dans cette opération où les promesses tombent comme les giboulées de mars, on rase gratis ! A ce jeu d'extrême générosité, les challengers semblent damer le pion au candidat principal. Et l'on apprend notamment que Démiurge est algérien et que le 9 avril est une date cathartique… C'est ainsi, par exemple, que le jour J «permettra de mettre fin auxsouffrances» des Algériens. Ou encore, ce candidat qui promet un mandat présidentiel unique, ce qui serait une exception bien algérienne, celle-là. Un autre concurrent, qui ne semble pas croire à la devise olympique du baron de Coubertin, déclare, pince-sans-rire, qu'il «est candidat pour être Président». La foi du charbonnier, version algérienne. Pour un autre, l'alpha et l'oméga de son programme électoral est «la dissolution de l'APN». Un autre, avec la rage tranquille du bon Samaritain, vise à faire «converger les Algériens vers l'amour de la patrie» dans le cadre d'une «société démocratico-sociale». Ce qui «l'entraînerait furieusement à procéder inéluctablement à des changements radicaux sur plusieurs plans». Ce candidat vise, pêle-mêle, à favoriser le «droit au fondement du foyer» et le «rehaussement social de la femme au foyer et l'encouragement de la femme salariée». Et, sur le plan culturel, à travailler, s'il était élu, à «la fondation d'une culture symbiose au sein de l'ensemble algérien ayant pour objectif d'assainir le respect mutuel». Ce politique, dont le parti est le troisième de rang à l'Assemblée nationale, «veillera à ce que toutes les cultures algériennes multiples soient les éléments d'une seule culture nationale». Singulier et pluriel et pluriel singulier typiquement algériens enseignés à Kafka ! C'est pour cela qu'il compte créer une «académie de la langue amazighe qui complète la langue arabe en vue d'apporter assistance à la culture algérienne et l'édification de l'unité nationale». Et l'on n'en a pas fini avec ce bien-intentionné qui aspire à «la purification des complexes touristiques» tout en annonçant la «prise en charge de l'ensemble des affaires internationales justes et intègres». Et l'on apprend par ailleurs qu'un binôme électoral, formé par Mourad Saci et cheikh Djelloul Hadjimi du MNGL, le Mouvement national des générations libres, connu aussi de ses militants sous l'hydratant nom d'El Qolla (la jarre) irrigue le champ électoral de sa verve sémantique. Celle-ci étant résumée par un poignant «nous sommes de tout cœur avec toi, Monsieur Bouteflika». Enfin, enseignement fondamental de cette première semaine de campagne, «Monsieur Bouteflika» est finalement le seul candidat avec Mme Louisa Hanoune à disposer d'un programme électoral digne de ce nom. Avec une idée centrale, des axes et des objectifs claires. Pour être précis, le président de la République sortant est, lui, dans le bilan chiffré et les projections d'avenir. Quant à la leader du Parti des travailleurs, elle est dans la promesse d'une révolution «chavezienne», c'est à dire dans le souverainisme politique et le patriotisme économique. Face à des candidats de sympathique témoignage, Abdelaziz Bouteflika, s'il pouvait avoir l'âge du prophète Noé, pourrait disposer du mandat multiple… Et, notre Louisa nationale, lui succéder un jour, si Dieu lui prête vie. N. K.