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Bataille de la communication au cœur d'une élection présidentielle
Les candidats investissent les médias lourds en quête d'électeurs
Publié dans La Tribune le 01 - 04 - 2009


Photo : Riad
Par Abderrahmane Semmar
Impossible de ne pas les apercevoir et les entendre. Depuis le début de la campagne électorale, des visages et des voix défilent sur nos écrans en épluchant les programmes des six candidats en course pour la magistrature suprême. Ce sont des représentants qui ont investi la télévision et la radio pour défendre, chacun de son côté, la cause de leur candidat. Délégués par des prétendants en guerre ouverte pour rallier le plus de partisans en prévision du vote décisif du 9 avril, ces représentants tentent tant bien que mal, à travers leurs interventions télévisées et radiodiffusées, de séduire des téléspectateurs et des auditeurs qu'on présente, à tort ou à raison, comme des «désabusés» emplis d'indifférence à l'égard de ce rendez-vous électoral incontournable.
Toutefois, cet état de lieux n'a guère empêché qu'une véritable guerre de communication se produise sur la scène médiatique algérienne, bouleversant ainsi les us et coutumes d'un paysage politique autrefois morne et taciturne. En effet, à la radio ou à la télévision, les représentants, dont des jeunes et des femmes, des candidats interpellent l'opinion publique sur des sujets d'actualité, des questions délicates, des problèmes de société complexes, et font même preuve d'une liberté de ton assez inhabituelle pour mettre en exergue les tenants et les aboutissants du programme électoral de leur candidat. Amorçant dès lors toute une campagne de communication, les candidats, chacun selon son objectif et ses moyens, ont décidé par le biais de leurs représentants dans les médias lourds de tenter le tout pour le tout dans l'optique d'engranger le maximum de points en augmentant leur «capital sympathie» auprès des électeurs.
Il reste tout de même à savoir comment les six candidats à la présidentielle ont dessiné leur stratégie de communication. Autrement dit, comment ont-ils sélectionné leurs représentants à la télévision et à la radio ? Quels sont les critères de cette
sélection ? Ont-ils fait appel à des experts en communication pour exploiter leurs temps de parole à la radio et à la télévision ? Et surtout ont-ils obtenu l'effet escompté sur l'opinion publique ? Pour répondre à ces questions, nous avons fait le tour des QG de campagne des six candidats engagés dans le sprint électoral.
Les femmes et les jeunes privilégiés
«Nos représentants à la télévision et à la radio sont tous des militants du parti. Mais nous avons privilégié beaucoup plus les jeunes et les femmes pour nous représenter dans les médias. Originaires de toutes les wilayas du pays, ils incarnent la richesse et le dynamisme du parti», nous dit d'emblée à ce sujet M. Labchri, membre de l'exécutif du Parti des travailleurs (PT), le parti de la candidate Louisa Hanoune. En nous accueillant au siège du PT, situé à El Harrach, notre interlocuteur nous a confié que la sélection de ces représentants se fait d'abord en fonction du thème abordé et programmé pour chaque passage. «S'il est question de l'agriculture, nous faisons appel à un militant spécialisé en cette question. Et s'il est question de la jeunesse ou de la femme, ce sera alors à des militants, jeunes et femmes, d'intervenir. Cela dit, le plus important pour nous est d'expliciter à nos citoyens les aspects fondamentaux de notre programme électoral», explique encore M. Labchri.
Ainsi, au parti de Louisa Hanoune, le fond compte plus que la forme. Tout le reste serait du superflu. Dès lors, ni la scénographie, ni la tenue du représentant, sa voix ou son physique, ni leur gestuelle ou leur image ne sont prises en considération par le staff de Louisa Hanoune. Loin d'être créative, la stratégie de communication du PT est on ne peut plus traditionnelle même si M. Labchri estime qu'elle a porté ses fruits. «Nous n'avons raté aucun passage, que ce soit à la télé ou à la radio. Quant aux prestations de nos candidats, je peux vous assurer qu'on a fait beaucoup mieux que nos concurrents. Pour preuve, un de nos représentants a même fait une intervention à la télé avec le langage des signes. Le lendemain de son passage, nous avons reçu des appels de félicitations car nous sommes les seuls à avoir tendu la main à nos citoyens sourds-muets», assure-t-il.
Au parti El Islah, le cachet est également très soft. En effet, le parti de Djahid Younsi s'attache aussi à mettre davantage en exergue son message dans ses passages à la télévision ou la radio. Ici encore, le fond éclipse la forme. Et même si le staff de campagne de Djahid Younsi dispose d'une association nationale d'information, de sensibilisation et de documentation, les représentants du candidat chargés d'intervenir dans les médias lourds rédigent eux-mêmes leurs interventions en s'inspirant du programme électoral de
leur candidat.
«Nos représentants à la télévision et à la radio sont tous des militants du parti. Nous les sélectionnons selon les thèmes choisis sur lesquels nous devons communiquer. Chaque représentant à un profit spécifique qui correspond à une thématique donnée. Mais, je dois vous avouer que c'est les tranches d'horaires qui comptent pour nous. Les passages qui précèdent le JT de 20h sont incontournables. C'est pour cela que nous rediffusons à cette heure-ci des interventions, exécutées par les cerveaux du parti, portant sur les points forts de notre programme. Cette stratégie nous a permis de gagner de nombreux partisans», dévoile Mohamed Saleh, président de l'Association nationale de sensibilisation, d'information et de documentation du parti d'El Islah.
«Nous manquons cruellement de financement pour faire un forcing médiatique»
De son côté, le candidat Mohamed Saïd a, semble-t-il, beaucoup de difficultés à exploiter comme il se doit ses temps de parole dans les médias. Et à défaut d'un financement adéquat, Mohamed Saïd et son staff ont surtout misé sur un site Internet dynamique et attractif pour s'attirer les faveurs des électeurs. «Mohamed Saïd est un candidat indépendant car son parti n'est pas encore agréé. Nous n'avons donc pas de militants. De plus, nous manquons cruellement de financement pour faire un forcing médiatique comme certains candidats», relève à ce sujet Souad Ayadi, responsable de la communication du candidat Mohamed Saïd. Dans ce contexte, avoue notre interlocutrice, il a été très difficile au staff de campagne de Mohamed Saïd de déléguer des représentants à la télé et à la radio. «Dieu merci, nous comptons de nombreux sympathisants qui ont des convictions et croient à Mohamed Saïd et à son programme. Nous avons donc fait appel à notre réseau d'amis pour profiter de notre temps de parole», assure la jeune responsable de communication. La méthode est digne du système D, mais elle a au moins le mérite de bien fonctionner. Planchant sur diverses thématiques, les sympathisants et les amis du candidat rédigent à leur guise leurs propres interventions en ayant pour simple obligation de rester le plus fidèle possible aux onze chapitres composant le programme électoral de Mohamed Saïd. «Concernant les questions pointues relatives à l'économie, nous avons un ami, docteur en économie et enseignant à l'université, qui intervient pour nous à la télé et à la radio. Il rédige ses communications et nous les relisons après ensemble pour juste vérifier qu'il n'y ait pas de contradictions avec notre programme électoral. Après, nous le déléguons pour qu'il aille enregistrer ses interventions à la télévision et à la radio. Nous adoptons les mêmes démarches avec d'autres sympathisants, enseignants, étudiants, cadres ou autres, plus au moins spécialistes dans certains domaines qui nous aident bénévolement pour faire connaître nos propositions aux Algériens», confie Souad Ayadi. Notre interlocutrice, encore étudiante à l'Institut des sciences de l'information et de la communication, se dit, malgré cette organisation improvisée, très satisfaite de l'exploitation médiatique de la campagne électorale du candidat Mohamed Saïd. «Malgré nos moyens très limités, nous n'avons raté aucun passage qui nous a été réservé à la télévision ou la radio. Et puis, grâce à notre dynamique site Internet, le meilleur de toute cette campagne électorale, selon des experts attitrés, nous nous sommes fait beaucoup de sympathisants. Il ne se passe pas un jour sans qu'on reçoive des dizaines de messages de soutien. Malheureusement, cette élection est une compétition déloyale où les médias profitent à un candidat plus qu'à d'autres», poursuite-t-elle. Il faut dire que le candidat Mohamed Saïd et son staff de campagne n'ont cessé de critiquer l'ENTV en l'accusant ouvertement de «parti pris pour un seul candidat». «Au JT de 20h, tous les candidats ont le droit à une couverture de 3 minutes. Mais à chaque fois, nous relevons que l'ENTV consacre le double de ce temps au candidat Abdelaziz Bouteflika. C'est une véritable injustice», estime Souad Ayadi qui nous apprend par ailleurs que toutes les plaintes adressées à la télévision et à la commission politique nationale de surveillance de l'élection présidentielle n'ont toujours pas donné de suite.
Des techniques de communication inadaptées
A AHD 54, le parti du candidat Fawzi Rebaïne, on éprouve le même sentiment d'injustice. L'ENTV est également épinglée pour son manque de professionnalisme et d'honnêteté. «Cette élection est un combat qui oppose David à Goliath. Vous avez d'un côté une vague bleue qui écrase tout sur son passage et de l'autre des candidats qui n'ont même encore reçu un sou du Trésor public pour financer leur campagne», considère pour sa part M. Bellou, l'un des cadres d'AHD 54. Notre interlocuteur nous a ainsi appris que Fawzi Rebaïne a dû contracter plusieurs crédits pour assurer la campagne de communication de sa candidature à l'élection présidentielle. Campagne de communication qui demeure toutefois nettement plus structurée que celle de certains candidats. Et pour cause, à AHD 54 le staff de campagne dispose d'un comité de rédaction composé de spécialistes en conseil et en communication. Dans ce sens, les interventions rédigées par les militants désignés pour représenter leur candidat à la télévision et à la radio seront revues et corrigées par ce comité. Ce dernier a pour tâche aussi de préparer les représentants de Fawzi Rebaïne à assurer une bonne prestation lors de leur passage à la télévision ou la radio. Selon un programme établi une semaine auparavant, les représentants participent à des simulations chronométrées chapeautées par les membres du comité de rédaction.
«Nous ne cherchons pas des lecteurs ou des orateurs. L'objectif de ces dispositifs est de permettre à nos représentants d'accéder à une bonne maîtrise de leur discours. De plus, nous avons axé sur certaines tranches d'horaires plus que d'autres. C'est pourquoi certains
représentants doivent insister davantage sur un aspect particulier et d'autres devront mettre en évidence une thématique spécifique», révèle à ce propos M. Bellou qui signale au passage que les représentants «médiatiques» de Fawzi Rebaïne ne se livrent point à «un langage de bois» et autres «blabla».
Mais malgré cela, à AHD 54, on estime que ces «techniques de communication» sont inadaptées pour capter l'attention des électeurs, notamment des plus jeunes. «Ces passages à la télévision n'intéressent pas les gens, notamment les jeunes. Comment peut-on séduire ou convaincre des spectateurs qui regardent défiler l'un après l'autre plusieurs représentants intervenant sur divers sujets ? Le citoyen s'en lasse rapidement car il n'a même pas le temps d'assimiler et d'analyser ce qu'il reçoit comme messages», décrète M. Bellou. Ce politicien fidèle à Fawzi Rebaïne s'indigne de l'absence de débats contradictoires à la télévision. A ses yeux, seuls ces émissions en direct sont à même de fournir aux électeurs des clés de décryptage. Il pourra ainsi distinguer entre les six candidats et opter pour celui qui incarne ses attentes et ses convictions. «Mais l'ENTV ne joue pas le jeu car lorsqu'elle organise des tables rondes, elle ne nous invite jamais. Il est plus facile de s'introduire à la radio qu'à la télévision. Et pourtant, certains candidats sont très courtisés par notre télévision», dénonce M. Bellou.
«Nous menons une campagne à ‘‘l'Obama''»
En revanche, au Front national Algérie (FNA), le parti de Moussa Touati, l'heure n'est pas à la dénonciation. L'ambiance est plus studieuse et des structures sont mises en place pour rentabiliser les temps de parole dans les médias lourds. «Nous avons une cellule
d'étudiants issus de toutes les universités nationales. Ce sont des jeunes qui incarnent la vitrine du parti. Ces derniers sont chapeautés par un docteur en communication avec lequel ils ont des séances de travail pour rédiger leurs discours et apprendre certaines techniques de parole. Celui qui interviendra durant 5 minutes bénéficiera d'une préparation différente de celui qui aura un temps de parole de 10 minutes», indique à ce propos M. Brahimi, secrétaire national au FNA. Néanmoins, en dépit de cette organisation, le staff de campagne de M. Touati n'a pas réussi à combler tous les créneaux horaires. «Le problème s'est posé avec acuité en langue amazighe. Nous manquons de représentants qui maîtrisent cette langue. Nous disposions d'un militant sur lequel nous avions placé toutes nos attentes. Malheureusement, il nous a fait faux bond au tout dernier moment», nous apprend encore M. Brahimi.
Il est à noter sur un autre plan que le staff de campagne de Moussa Touati regrette le manque d'enquêtes d'opinion en Algérie. Celles-ci auraient permis, selon les cadres du FNA, de cerner les intentions de vote des Algériens. «Ces enquêtes accorderont l'opportunité aux candidats à la présidentielle de ‘‘recalibrer'' leur campagne avec les tendances de l'opinion publique», estime-t-on au FNA. Des sondages et des enquêtes d'opinion, à la direction de campagne du candidat Abdelaziz Bouteflika, on n'en éprouve guère le besoin puisque, note M. Bouchouareb, directeur de communication d'Abdelaziz Bouteflika, la campagne de communication mise en place jusque-là commencent d'ores et déjà à porter ses fruits. «Nous sommes structurés autour de plusieurs directions. Nous confectionnons même chaque jour un bulletin d'information sur toutes les activités de campagne dans toutes les wilayas du pays. Mais concernant notre représentation à la télévision et à la radio, nous avons tout un dispositif de conception de messages qui comprend un espace dédié à l'information et à l'expression directe», nous apprend à cet effet M. Bouchouareb. Ainsi, la direction de campagne d'Abdelaziz Bouteflika a doté cet espace de tous les moyens technologiques de pointe, à l'instar d'un studio d'enregistrement au sein duquel les représentants sélectionnés sont coachés par deux spécialistes en communication et ce, 48 heures avant leurs passages à la radio ou à la télé. C'est sur la base des bilans sectoriels unifiés que les messages sont élaborés. Toutefois, les représentants choisissent eux-mêmes la thématique qui les inspire. Rien ne leur est imposé. C'est le premier point de départ pour écrire et concevoir avec leurs coaches leurs discours. «70% de nos expressions directes sont conçues en direction des jeunes. C'est pour cela que nos représentants dans les médias sont des jeunes que les partis de l'Alliance présidentielle et le mouvement associatif ont mis à notre disposition. Et grâce au coaching de nos spécialistes, nous avons réussi à présenter deux à trois représentants durant un seul créneau horaire. Ce qui est une réelle performance», déclare encore M. Bouchouareb. Qu'en est-il alors de l'impact de cette stratégie de communication sur l'opinion publique ? «Nous menons une campagne ‘‘à l'Obama'', c'est les médias étrangers eux-mêmes qui le disent. La cérémonie de déclaration de candidature a surpris les observateurs. Nous avons adopté aussi une charte graphique moderne, des couleurs attirantes, et nos représentants à la télé et à la radio ont été à l'hauteur. Pour preuve, sur notre site qui est visité chaque jour par plus de 12 000 internautes, nous recevons des messages de félicitations pour notre choix de placer la jeunesse sur le devant de cette campagne électorale», souligne M. Bouchouareb. Un choix qui, espère le staff de campagne d'Abdelaziz Bouteflika, saura faire la différence le jour du vote. Mais pour cela, il faut attendre le verdict du 9 avril. Quoi qu'il en soit, les autres candidats aiguisent toujours leurs armes en opérant le dernier virage de cette campagne…


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