Heureusement pour lui qu'Albert Einstein n'est pas Algérien. S'il avait vécu la campagne électorale des élections présidentielles du 9 avril 2009 et, surtout, s'il avait vu ces armées de vaillants fayots voler au secours du triomphe bouteflikien, il aurait reconsidéré sa fameuse théorie de la relativité. Il se serait dit, un brin philosophe, un tantinet mélancolique, qu'il n'existe finalement que deux choses infinies, l'univers et la bêtise humaine. Il aurait constaté également combien il est plus difficile de désagréger un flagorneur qu'un atome. Surtout, si le frotte-manche en question est le prototype même de l'obséquieux non fissible qui exprime un soutien, nécessairement spontané, naturellement désintéressé. Il aurait encore été plus médusé de constater que l'heureux servile publie des encarts publicitaires avec photo personnelle et mots de félicitations ampoulés dignes d'un petit poète de cour de douar. Les soupçons de fraude, il est vrai, faiblement étayés par les perdants, avaient moins de chance d'entacher la triomphale réélection d'Abdelaziz Bouteflika que le déluge flagorneur qui se répand encore sur les pages des journaux. Inusables, ces histrions semblent avoir la foi du charbonnier fayoteur. Mieux, ils convoquent l'ethnosociologie et l'ethnopsychologie pour exprimer soutien, félicitations et unanime allégeance de la mechta, du çof, de la tribu ou du arch du coin. Quand ils sont à la tête de «Comités de soutien», d'«associations d'amis du président» ou de «clubs de la presse des amis du président», les courtisans se veulent porte-paroles, chefs de file et, de leurs points de vue très personnels, les «garants» d'un vote «assuré» de tous les électeurs locaux. C'est ainsi que l'unanimisme y trouve son premier terreau fertile ! L'histoire de ces cabotins voulant montrer qu'ils ont payé de leurs petites personnes et de leurs généreux deniers aurait été risible si elle n'était pas tragi-comique. Mais la bouffonnerie locale n'est pas la seule à avoir trouvé son théâtre de prédilection. Le ridicule, qui tue comme une balle de 9 mm, a atteint aussi des entreprises étrangères, celles-ci usant de la flatterie comme d'une technique évoluée de marketing. Les commerciaux et les communicants de ces sociétés donnent l'impression d'avoir surinterprété la sociologie culturelle de l'Algérie. Ils semblent, en tout cas, croire que les félicitations publicitaires au président réélu pourraient valoir des parts de marché supplémentaires. Devant tant d'ingéniosité, l'on ne peut que se demander si cette force de vente aurait été utilisée dans une économie de marché occidentale. Dans l'attitude des laudateurs locaux, en particulier dans la posture des louangeurs économiques étrangers, il y a comme de la mésestime, de la péjoration même à l'endroit d'un chef d'Etat réélu et de ses électeurs. Il a donc dû échapper à cette coalition objective de thuriféraires occasionnels que tout flatteur ne vit pas toujours aux dépens de celui qu'il flatte. Comme ils oublient que le cœur d'un homme d'Etat est dans sa tête, ils feignent d'ignorer que ce ne sont pas les hommes qui règnent mais leurs idées. Sans doute qu'ils auraient alors détesté un Jean Cocteau affirmant que «les miroirs feraient bien de réfléchir avant de renvoyer des images». En fin de compte, les uns comme les autres forment une amicale d'encaustiqueurs. Bien mieux, un grand parti virtuel, celui des fayoteurs à la louche par l'odeur des pétrodollars algériens alléchés. Les obséquieux locaux, zornadjia du dithyrambe, et les flatteurs étrangers, cornemuseurs du panégyrique, confondent respectivement féal et fayot, marché économique et souk folklorique. Flagornez, flagornez, il en restera toujours quelque chose… Le président de la République, réinvesti de la confiance populaire, lui, n'a rien promis qui ne soit adressé qu'à ceux qui lui ont conféré sa légitimité. Les manieurs algériens et étrangers de la «chita» à propulsion nucléaire, eux, ne ramasseront à la louche que leurs propres promesses. C'est un certain Charles Pasqua, farceur et accessoirement cynique, qui a dit que les promesses n'engagent que ceux qui les écoutent. Surtout quand c'est les mêmes qui les ont formulées. Pour eux mêmes. N. K.