De notre correspondant à Constantine A. Lemili A Constantine, tous les acteurs concernés par la mesure présidentielle d'effacement de la dette des agriculteurs soulignent la grande improvisation qui tourne autour de cette décision, salvatrice sur le fond pour le monde rural mais qui souffre d'anachronismes en ce sens que ceux qui l'auraient inspirée au chef de l'Etat n'en ont pas soupesé les conséquences.Ce n'est donc pas la sincérité des attentes du premier magistrat du pays de substituer aux hydrocarbures un autre moyen de sortir le pays de sa dépendance de ce qui est communément qualifié d'or noir qui est mise en cause mais plus particulièrement le dilettantisme de ceux qui en sont les promoteurs et lesquels vraisemblablement n'ont à aucun moment envisagé la moindre idée d'y associer ou, du moins, de consulter les organes concernés. Cette volonté politique de revenir à ce qui a fait la force de l'Algérie dans le passé ne souffre par voie de conséquence d'aucune critique mais inquiète beaucoup plus sur la capacité des exécutants de son application et des mécanismes, voies, moyens et procédures de déterminer les agriculteurs endettés éligibles à un effacement de dettes, d'une part, et ciblés, de la solvabilité des emprunteurs ou, sinon, de l'authenticité du besoin formulé par ces derniers, notamment les grands propriétaires terriens mais aussi de la destination réelle du crédit une fois acquis. Autrement dit, une traçabilité qui confirmerait son investissement dans le cadre précis pour lequel il a été sollicité.Nous avons tenté de faire le point de la situation à Constantine depuis que le président de la République a fait l'annonce de cette mesure. Une quinzaine de jours après cette déclaration, la Tribune avait publié un article dans lequel était rapporté «un statu quo parfait». Les services agricoles étaient dans l'attente d'une instruction, la même attitude habitait les banques et seuls les agriculteurs ou du moins ceux qui s'estimaient concernés restaient pendus à la «bonne nouvelle». En tout état de cause, responsables de la DSA et autres représentants de la chambre d'agriculture n'en savaient encore rien et restaient en l'attente des conclusions d'une éventuelle commission ad hoc interministérielle qui se chargerait de démêler l'écheveau. Trois mois plus tard, la situation est la même au niveau de ces deux structures. Pour A. M., un responsable de la DSA, il semblerait que «les grandes lignes et encore plus les détails de l'opération nous échappent. En fait, ce sont les banques qui sont les plus concernées dans la mesure où elles sont l'organisme prêteur. Quoi qu'il en soit, c'est une opération qui va certainement durer dans le temps en raison de sa complexité». Par complexité, il faudrait comprendre la nécessité de trouver une explication profonde à l'effacement d'une dette qui avoisine les 41 milliards de dinars pour l'ensemble des agriculteurs du territoire national et qui, en plus clair, n'impliquerait pas outre mesure ceux de la wilaya de Constantine dont la vocation est connue : céréaliculture. Or, cette filière est relativement peu exigeante en matière d'investissement même si les céréaliculteurs estiment que leur «quête d'une bonne récolte ne se fait pas dans la plus grande sérénité en raison de la difficulté d'acquisition de semences de qualité, des aléas de la nature et des contraintes bureaucratiques diverses». «En fait, ils se comptent sur les doigts d'une main, ceux qui ont raflé la mise question emprunt. Malheureusement, il s'agit de ceux qui y ont moins le droit, voire le besoin que d'autres. Ou, il s'agit de latifundistes traditionnels de père en fils depuis la nuit des temps ou encore d'anciens propriétaires expropriés qui ont bénéficié de la récupération de leurs terres en sus d'une indemnisation officielle. Certains sont à la tête d'immenses vergers dont la production une fois sur le marché n'est accessible malheureusement qu'aux ménages fortunés. Nous vous en donnons pour preuve le prix actuel de la cerise (1 200 DA), la nectarine (800 DA). En réalité ces agriculteurs, si tant est qu'ils en soient, ont parfois investi le crédit consenti à l'acquisition de bateaux de plaisance. Certains ont même monté une flotte de transport routier». La nécessité de déterminer la nature de la dette L'un de ces agriculteurs «vernis» s'est effectivement confié sous le sceau de la confidentialité en nous affirmant : «Vous savez, moi, je n'ai jamais rien demandé. Cet effacement de la dette, il me tombe du ciel, serais je tenté de dire. Je ne vais pas le refuser d'autant plus que je suis l'un des rares à respecter l'échéancier de remboursement avec la banque. Vous savez, je considère même que je suis quelque part berné comparativement à ceux qui n'ont jamais honoré leurs engagements.» C'est sans doute ce type d'anachronisme qui fait tiquer les banquiers, lesquels, en parfaits connaisseurs de leur métier, savent pertinemment que, comme en agriculture «il y a le bon grain et l'ivraie» dans ce dossier qui devrait être profitable aux vrais travailleurs de la terre, c'est-à-dire ceux-là mêmes qui ont des difficultés à réaliser leurs projets, vont se faufiler de grands propriétaires terriens qui n'ont rien à voir avec le processus engagé. A la hauteur de la Banque algérienne de développement agricole, la situation est quelque peu morose dans la mesure où la gestion d'une telle mesure n'est pas aussi facile que le laisse supposer la décision prise. «Il faudrait d'abord que nous sachions la nature même de la dette. S'agit-il de crédit d'investissement, de campagne, d'exploitation ou de prêts aidés ? Nous avons déjà procédé au recensement préalable des agriculteurs débiteurs, mais il est pour le moment encore tôt pour savoir qui en serait bénéficiaire et qui ne le serait pas. De toutes les manières, le tri a déjà été effectué par nos agences. Dans la pratique, nous sommes parés à l'exécution de l'application de l'opération une fois ces détails connus», considère M. Benmoussa, responsable du groupement régional de la BNA. A titre indicatif, nous dirons que l'opération est effectivement complexe et ne peut qu'exiger que lui soit consacré le plus grand intérêt, sachant que la dette peut varier, excusez du peu, entre 5 milliards et 10 millions de centimes selon le poids de l'agriculteur concerné mais aussi de son entrisme. En fait, un autre cadre de banque n'exclut pas l'idée d'«un ressaisissement des responsables des institutions impliquées à haut niveau qui consisterait à revoir nettement à la baisse, voire de la manière la plus rationnelle possible, et, par conséquent, en conformité avec l'orthodoxie de gestion bancaire, les catégories d'agriculteurs ciblés dont les dossiers sont spécifiques pour des motifs que je ne saurais vous détailler. Même si dans le fond les institutions bancaires n'ont rien finalement à perdre à appliquer en bons exécutants l'engagement pris par le président de la République sachant qu'épongées pour les agriculteurs, celles-ci, sinon le montant global, leur seront réaffectées par le Trésor public. Toutefois, bien des zones d'ombre auront été éclaircies». Ce qui confirme l'ajournement donc de l'exécution de la mesure au moins jusqu'au mois de septembre prochain. En conclusion, d'autres responsables de la BADR sont catégoriques : «C'est un dossier lourd à gérer et il est peu évident qu'il soit concrétisé dans les six prochains mois.» Soulignons, enfin, qu'entre-temps les agriculteurs concernés, du moins les bons payeurs, se sont acquittés au cours du mois d'avril dernier du remboursement mensuel habituel.