Tiens ! On dirait que Khaled, le plus grand des chebs du raï, s'est assagi. On penserait même qu'il a pris de la bouteille. Pas la dive, rouge de plaisir vermeil, bien sûr, mais celle d'une musique qui aurait retrouvé les chemins de Choupot et d'El Hamri. Ce retour aux sources de l'inspiration oranaise est une excellente nouvelle. Avec Liberté, au singulier, en CD ou à l'Olympia parisien, un vendredi 15 mai, à Paris, il a revisité sa jeunesse, époque des racines patrimoniales. En muezzin du raï, il en a exhumé les rites des premiers âges. La tradition pure ! Dieu que c'est rassurant ! Khaled, qui s'est égaré un temps dans les méandres de la mondialisation musicale, raï toujours ! Liberté est un album singulier. Florilège d'airs anciens, de tradition pure et dure, et mélopées en langue «françaouie». Chants désenchantés du blédard mélancolique. Mais que l'on ne s'y fie pas, le titre est trompeur, car nul message à véhiculer. Khaled n'est pas le porte-parole d'une Algérie corsetée par la malvie et les censeurs de tout poil. Khaled, c'est Khaled. Rien d'autre qu'un artiste retrouvé, qui ne veut plus prendre des libertés avec son raï des origines. Prenez, par exemple, Ya Mimouna. L'intro orientale évoque certes l'Inde de Dilip Kumar et de Sashi Kappoor, géants bollywoodiens dont les refrains sirupeux ont bercé l'enfance musicale de Khaled. La composition globale, primitivement oranaise rassure cependant les puristes. Zabana, qui évoque le premier guillotiné de la révolution de Novembre 54, ce Guy Mocquet algérien, est une ritournelle épaisse, lourdement épicée. C'est juste le temps de revenir au raï heurté, syncopé, avec Raïkoum. Ensuite, c'est du classique, du Khaled revisité par lui-même : de Ya bouya ki rani, en Soghri, de Sbabi ntiya à Sidi Rabbi, on se convainc que bon sang du raï ne peut mentir désormais. Sidi Rabbi en gnaoui, cadencé à la guitare juju-rumba, en est la profession de foi musicale. Liberté, c'est aussi faire la part belle à l'organe. La voix grave et rocailleuse est déployée par des mawwâl-s aussi primitifs que des you yous. On dirait Khelifi Ahmed, Oum Kalsoum même ou Mohamed Abdelwahab dont les préludes vocaux jetaient en transe des mélomanes envoûtés. Liberté compte cinq de ces préambules, ce qui ne gâche pas le plaisir. L'album, c'est surtout une voix retrouvant son mode guttural, sa profondeur et sa chaleur des années oranaises. Timbre appuyé par une flûte mélancolique, un accordéon au souffle ample, un oûd lancinant, accompagnés du guellal et du gumbri, bien algériens, ceux-là. Alors Raïkoum, Liberté, Yamina, Ya Mimoun -à ne pas confondre avec Ya Mimouna - et Haya Anssahlou, c'est Khaled de Wahran Wahran qui revient. Une résurgence. Une maturité libérée des noces du reggae raï et du pop raï, malheureux néologismes musicaux. Même s'il en a gardé quelques accents, histoire de ne pas signer une brutale rupture, Liberté est quand même assez loin du Kutché 1987 avec Safy Boutella et de Sahra 1999, mijoté avec Martin Meissonnier, ancien journaliste à Libération. Dans cet album des fondamentaux du raï, Papa, complainte affective en «francarabe» avec rythmes gondolés, révèle une fureur de vivre et une rage de chanter toujours intactes chez le grizzli d'El Hamri. S'il n'est pas le vaisseau-amiral d'une flotte musicale de quinze albums, Liberté est une étape clé dans l'itinéraire du chanteur. C'est le bilan d'une vie, la compilation d'une carrière de trente ans, un retour au bercail du raï. Finis donc les emprunts erratiques et psychédéliques à Elvis Presley, Joselito et aux mélodies hindoues caramélisées. Exit, aussi, fusions et infusions douteuses entre yéyé soul, reggae, soul, pop et twist en passant par le tarab arabe dévoyé. Khaled de Didi, N'ssi N'ssi et de Ne m'en voulez pas, serait-il désormais un souvenir kitch ? On l'ignore. Lui aussi, peut-être. Mais s'il revenait demain à ses anciennes tribulations musicales, on ne lui en voudrait pas. C'est sa… liberté. N. K.