De notre correspondant à Constantine A. Lemili La question posée est : «Quelles sont les actions menées par le mouvement associatif ou l'administration pour la socialisation de la culture ?» Sinon que font ces deux derniers pour exporter la culture en dehors de la cité et la porter vers des lieux… enclavés ou des milieux collectifs précis, exemple : les établissements scolaires, mais aussi les catégories marginalisées : hameaux, lieudits… ? Pour sortir d'un lieu, il faudrait auparavant y être entré. Pour exporter toute action culturelle en dehors de Constantine, il faudrait que celle-ci soit d'abord «victime» d'une overdose en la matière. Or, excepté des Festivals de malouf, aïssaouas et de musique jazz, et assez récemment des rencontres poétiques spécifiquement féminines, un ensemble d'activités comptabilisable sur les doigts d'une main, il n'existe aucun risque de noircir beaucoup de feuilles sur un bilan annuel. Donc parler d'activités déjà dans les douze communes importantes de la wilaya mais au sens réellement didactique serait faire dans la plus éhontée des prétentions. Alors évoquer des hameaux, lieudits ou îlots d'habitations isolés serait faire injure à leurs populations qui préfèrent sous un blafard lampadaire égrener le temps à se crever les tympans dans des parties homériques de dominos, les enfants de ce qu'ils auraient aimé être ou faire et auquel ils ne parviendront pas lorsqu'ils auront atteint l'âge adulte, ceux entre deux âges d'être en mesure de réussir (à l'image des self-mad-men des romans) s'ils avaient les moyens financiers de démarrer une petite affaire à commencer par une petite table de cigarettes et, enfin, les femmes à parler des dernières turpitudes de l'un des multiples feuilletons turcs qui passent sur les chaînes arabes, sinon du mariage de la fille d'un lointain parent citadin qui a réussi puisqu'il roule en 4x4. Donc pas question de parler de ces populations clandestines de l'existence et également moins des élèves des établissements scolaires qui ont droit à une visite groupée du rébarbatif musée lors du Mois du patrimoine, une virée réplique d'une odyssée qui ne dit pas son nom à Tiddis où les vestiges romains et autres civilisations sont expliqués par, est-il susurré, un ancien garde communal reconverti pour services rendus en guide et évidemment pour ne pas mettre au chômage un père de famille. Alors, nous avons tenté au début de ce mois de juin de poser la question à un groupe de personnes, des anonymes sans doute non représentatifs en ce sens que le panel est arbitrairement constitué, une question sur l'événement qui aurait marqué le mois de mai à Constantine. Rappelons que le mois du muguet est aussi celui où sont commémorées des dates indélébiles comme le Premier Mai, mais aussi le 3 qui est la Journée mondiale de la liberté d'expression, le 19 mai, Journée de l'étudiant, le printemps théâtral et le Festival de DimaJazz. Très franchement, c'est avec l'idée de quantifier l'impact de DimaJazz que nous avons entrepris cet humble sondage parce que convaincu en notre for intérieur que c'est évidemment le seul événement marquant pour la période considérée. Les réponses obtenues sont allées dans deux sens sauf celui escompté. L'événement majeur retenu par les «questionnés» est pour les hommes «la situation qui prévaut au CS Constantine et la motion de défiance des membres de l'AG à Mazar». Pour les femmes, ce sont plutôt «les désagréments dus au derby MOC-CSC»… sauf que celui-ci a eu lieu en… avril. Indépendamment de la question de sexe, ils ont été unanimes à évoquer également «l'intoxication alimentaire qui a eu lieu dans une cité universitaire [Khroub, ndlr]». Le constat coule de source par voie de conséquence. Comment envisager l'exportation de la culture vers des endroits éloignés, enclavés ou marginalisés quand, dans la cité même, au sens le plus noble, elle ne semble pas exister et dévoile, on ne peut mieux, le déficit des organisateurs, s'il s'agit d'indépendants, et des organismes des pouvoirs publics, s'il s'agit de l'administration, à polariser l'intérêt des habitants sur un événement sur lequel ils restent les seuls à se gargariser et surtout par lequel ils grèvent le Trésor de l'Etat sans parvenir à matérialiser l'utilité publique de leur action. Eloquente l'appréciation d'un mélomane qui n'a pas approché une seule fois le dernier DimaJazz : «Il semblerait, selon ce qui a été rapporté par vos confrères, que le festival de cette année ait coûté 5 milliards de centimes. Je ne suis pas contre une telle manifestation, mais je me dis qu'un événement d'une telle dimension, du moins au regard de ce qui se dit dans les journaux, aurait du mérite à faire la notoriété la ville non pas uniquement sur le plan national mais international. Or, j'ai franchement l'impression que le trip de 400 personnes [nombre de spectateurs par soirée] revient quand même trop cher d'autant plus que, selon d'autres musiciens, celui-ci [DimaJazz] est nettement moins qualitatif comparativement à celui de l'année écoulée».