De notre envoyé spécial à Miliana Ziad Abdelhadi Tout au long de notre ascension pour atteindre les vergers de cerisiers de notre guide Cherfaoui, ce dernier nous a raconté ce qu'il endurait ces dernières années, comme par ailleurs tous les habitants des hameaux clairsemés ici et là dans les alentours des monts du Zaccar. Ceux-là mêmes dont le seul revenu vient de la récolte annuelle de cerises ont été obligés de quitter leurs habitations pour des raisons sécuritaires, les autorités locales préférant les mettre à l'abri du danger venant de la présence de groupes de terroristes, à l'époque, dans ce relief montagneux. «Jusqu'à présent, la quasi-totalité des hameaux sont encore vides de leurs habitants. Certes, le danger est moins présent qu'avant mais toujours est-il que nous restons prudents. Ce n'est pas demain la veille que nous allons retourner y vivre», nous soulignera notre guide. Et de nous faire remarquer : «Nous avons rejoint la ville contraints par la force des choses. Chacun des pères de famille arrive tant bien que mal à s'occuper en exécutant de menus travaux, histoire de subvenir aux besoins des siens.» Et de lancer : «Les plus chanceux d'entre nous ont fini par trouver un emploi stable, quant à la grosse majorité, elle s'est résignée à accepter n'importe quelle offre de travail venant de particuliers, en attendant des jours meilleurs.» Pour Cherfaoui, il est clair que cette obligation de quitter les hameaux est tout à fait justifiée mais il reste qu'il ne peut supporter de voir son verger de cerisiers laissé à l'abandon et de surcroît de ne pouvoir récolter les fruits de ses arbres. Nous nous rappelons que bien avant la période d'insécurité et à la même époque de notre visite une intense activité régnait sur tous les vergers de cerisiers. «La cueillette battait son plein. Accompagnés de nos enfants et aidés par des voisins, nous nous attelions à remplir les cageots de nos fameux bigarreaux.» Une variété de cerise très demandée sur les étals des détaillants en raison de son goût très raffiné. Les cerisiers du Zaccar attendent la cueillette Après avoir quitté le bitume de la route en lacets qui n'arrête pas de grimper, nous empruntons un chemin muletier qui nous mène droit à la plantation de cerisiers de Cherfaoui. Une fois arrivés, nous découvrons avec stupéfaction que les cerises jonchent toute la surface que couvre de son feuillage chaque cerisier. Comme si, faute d'attendre une cueillette qui ne veut pas venir, les arbres avaient fini par lâcher prise au grand bonheur des insectes qui se régalont d'autant de nourriture sans avoir fourni le moindre effort. Sur d'autres cerisiers, il reste encore des vestiges. La maturation ne se faisant pas simultanément sur tous les arbres du verger car elle peut différer de quelques jours. Néanmoins, ces derniers subiront le même sort que les plus précoces. «Voilà le tableau qui s'offre à mes yeux depuis quelques années à la période de la récolte. De ces cerisiers que j'ai hérités de mon père, il ne m'est pas permis d'en tirer des dividendes.» Nous lui demanderons pourquoi il en est ainsi et Cherfaoui nous expliquera sur un ton désolé : «Comme je vous l'ai dit auparavant, le climat d'insécurité qui a régné dans la région a rendu impossibles les récoltes annuelles. Aujourd'hui, celui-ci [ndlr : le climat d'insécurité] s'est dissipé au point que les autorités militaires nous permettent de nous rendre dans nos vergers deux fois par semaine et pas plus de deux heures par visite.» Mais que faire dans un laps de temps aussi court ? Une question que nous a lancée notre interlocuteur. Et de rétorquer : «C'est tout juste le temps nécessaire pour remplir deux ou trois couffins de cerises, histoire de ne pas rentrer bredouille et tout au moins de quoi se ravitailler en produits alimentaires pour les besoins d'une semaine.» Il lancera qu'«une telle situation a fini par nous plonger dans la précarité à partir du moment où notre seule et unique ressource nous vient de nos cerisiers». A Miliana, la cerise n'est plus qu'un souvenir Les Milianis et Milianiennes que nous avons pu interpeller lors de notre passage dans cette ville, sont unanimes : «On ne retrouve plus sur les étals de nos marchands de légumes de la cerise du terroir, sauf rares exceptions.» Non sans soulever son prix qui, au demeurant, est devenue inaccessible aux petites bourses. Ce que, d'ailleurs, il est difficile d'expliquer aux visiteurs de cette ville ancestrale sachant de réputation qu'à cette période de l'année ils trouveront à bon marché de la cerise de qualité. C'était le cas, bien avant la tragédie nationale, notamment quand les récoltes étaient appréciables. Aujourd'hui, ce n'est plus que de l'histoire ancienne. Et même la fête de la cerise qui se célébrait tous les mois de juin a fini par disparaître faute de raison pour la commémorer. Seuls quelques rares privilégiés, qui ont dans leur jardin un cerisier ou deux continuent bon an mal an à perpétrer la tradition. Il faut également noter au passage que beaucoup d'arbres fruitiers inclus dans le périmètre urbain de la ville de Miliana ont fini par périr du fait du tarissement des sources, par le déficit pluviométrique ou, enfin, par défaut d'entretien. Un état des lieux qui n'est pas sans soulever des questions ? C'est à se demander également si le «bigarreau» de Miliana n'est pas en voie de disparition par la seule volonté de l'homme. Si jusqu'ici on a constaté que beaucoup de cerisiers implantés dans les potagers de la ville ont subi de multiples agressions sans tirer la sonnette d'alarme, il n'est pas à exclure que les vergers implantés dans le massif montagneux qui surplombe la ville subissent le même sort ! Un cas de figure tout à fait regrettable dans la mesure où il n'existe que trois régions en Algérie où l'on peut cueillir encore de la cerise d'assez bonne qualité car il y a cerise et cerise : des rouges, des jaunes, des cerises douces et sucrées, d'autres acides. On retrouve donc des cerisiers en quantité dans les régions de Miliana, de Tlemcen (dans la commune d'Attar) et de Tizi Ouzou mais en moindre importance. «Les cerisiers de Miliana n'ont pas d'égal !» Selon des autochtones, bien au fait des cultures fruitières de leur région, les cerisiers de Miliana ont cette spécificité de donner des cerises de très bonne qualité. La variété dominante est le «bigarreau», d'une douceur exquise et aux qualités nutritionnelles indiscutables. On apprendra aussi de ces derniers que, dans leur contrée, toutes les conditions sont réunies pour que les cerisiers donnent une production saine et de bonne qualité. Un climat adéquat car la pluviométrie est adaptée à ce type de culture avec un ensoleillement exceptionnel. Deux paramètres essentiels pour une bonne maturation des fruits rouges. Non sans souligner par ailleurs que la culture des cerisiers exige beaucoup de patience et de savoir-faire, et il faut attendre huit longues années après la plantation pour que le cerisier commence à produire. C'est entre 12 et 25 ans d'âge que cet arbre fruitier se mettra à produire abondamment. Un fruit en quête d'attention A chaque région du pays, sa spécificité agricole. Comme on cite souvent l'abricot de N'gaous (Batna), le melon de Oued Rhiou (à l'est de Chlef), la datte de Tolga, où dans ses contrées on s'évertue à donner plus d'intérêt à la production phare, à Miliana, par contre, on parle trop souvent du passé quand il s'agit de la cerise. Est-ce à dire que, dans cette ville, la question de sauvegarder un patrimoine arboricole fruitier n'est pas une priorité ? Et si dans les régions citées ci-dessus, il est surtout question d'extension de la surface plantée et d'une revalorisation de la spécificité agricole de la région, par contre, du côté de Miliana, il semblerait que l'on ait oublié de se pencher à préserver cette spécialité de la région. Et si tel est le cas, la cerise va se faire de plus en plus rare sur le gâteau des ménages milianais.