Photo : Sahel Par Ziad Abdelhadi Depuis une décennie, le marché du poulet accuse de très fortes fluctuations des prix sur les étals d'autant plus que les cours repartent à la hausse à la veille de chaque mois de Ramadhan. Une période de l'année où la demande est en nette croissance et, du coup, l'offre se retrouve affectée car ne pouvant répondre ou satisfaire les besoins en viandes blanches, notamment des ménages dont le pouvoir d'achat est assez faible, ce qui les oblige à se rabattre sur les protéines issues de la viande de poulet qui, de toute évidence, est la moins chère sur le marché national de la viande. Il faut aussi rappeler dans la foulée que, durant la saison estivale, période des fêtes familiales, la consommation de poulet augmente. Mais, de nos jours, le déséquilibre entre l'offre et la demande ne se cantonne plus uniquement dans ces périodes précises de l'année, à savoir le Ramadhan et l'été, il commence à se manifester plusieurs fois par an. Et, pour preuve, la tension a tendance à revenir souvent pour ne pas dire s'installer petit à petit en permanence. Dans le milieu des véritables aviculteurs, cette situation de tension à répétition sur le poulet et à longueur d'année -et non plus conjoncturelle comme c'était le cas auparavant-, est devenue prévisible d'autant plus qu'il fallait «s'y attendre» soutient-on du côté de l'Association nationale de la filière avicole (ANFA). Une filière qui fait face à des déboires successifs. En effet, dans la filière, les années difficiles se poursuivent, ce qui a poussé de nombreux aviculteurs à cesser toute activité. Le reste de la troupe, c'est-à-dire les gros producteurs, car les petits se sont vite rendus compte de la non-rentabilité de leur activité, n'ont eu de cesse d'interpeller, par le biais de leur représentant, le ministère pour qu'il se penche sur l'avenir de la filière considérée par ces professionnels comme étant en ruine. Devant une telle situation, l'Association nationale de la filière avicole a tiré la sonnette d'alarme. «L'Algérie risque d'importer les abats et les restes de poulet si la filière avicole n'est pas réellement pris en charge», ont lancé les aviculteurs craignant aussi pour l'avenir de la profession qui pourrait disparaître si rien n'est envisagé pour la sauver. D'après l'ANFA, près de 50 000 postes d'emploi sont menacés et de multiples exploitations avicoles individuelles sont à l'arrêt. De son côté, M. Bensemane, docteur vétérinaire, estime que le secteur de l'aviculture traverse une crise chronique en raison de la volatilité des prix sur le marché mondial, ce qui suscite l'inquiétude de l'ANFA qui craint la disparition totale de la filière. Ces appréhensions sont tout à fait justifiées, juge pour sa part le docteur Nouad, consultant et expert en matière d'agriculture, que nous avons interpellé sur le sujet après sa conférence donnée lors du Salon de l'aviculture tenu dernièrement à Alger. Il confiera à cette occasion que «les indices du désastre que connaît ce secteur sont réels. Ils se perçoivent en amont comme en aval de la filière». De plus «la filière accumule les déficits». Pour cet agronome qui s'est beaucoup penché sur les questions de la production animale en Algérie, la structure actuelle de la filière avicole en Algérie «résulte des politiques de développement mises en œuvre par l'Etat au début des années 1980». Selon M. Nouad, «cette politique qui visait essentiellement à réaliser l'autosuffisance alimentaire comptait développer une aviculture intensive extravertie à même d'assurer l'auto-approvisionnement des populations urbaines en protéines animales de moindre coût. Le modèle d'élevage adopté est celui qui domine à l'échelle mondiale, à savoir un modèle avicole intensif basé sur le recours aux technologies et aux intrants avicoles industriels importés. Cette politique s'appuyait sur les métiers de base (production des produits vétérinaires et des additifs).» Il a précisé, par ailleurs, que l'Algérie ne dispose pas d'une industrie d'équipements avicoles, d'«où la dépendance vis-à-vis des marchés extérieurs». Il estime pour sa part que «la filière avicole est actuellement désarticulée et nécessite la mise en place de nouvelles formes d'intervention qui viseraient, notamment, la stimulation de la production et la réduction des coûts de production excessivement élevés». Cet expert avance que «90% des intrants avicoles (aliment de bétail, matériel biologique, produits vétérinaires, équipements) proviennent de l'étranger, provoquant une hausse des coûts de revient qui se répercutent sur les prix du poulet». Il a tenu, également, à nous faire remarquer : «Même si les prix des matières premières agricoles entrant dans la composition de l'aliment, notamment les principaux (maïs et soja) ont chuté, cela n'a eu pratiquement aucune incidence sur les prix. Pis, ils augmentent par moment, et quand ils régressent quelque peu, ce n'est qu'une accalmie provisoire car la tendance à la hausse reprend de si tôt. Donc, il devient difficile de se faire une idée claire sur le pourquoi de ces importantes fluctuations dans les prix du poulet. Mais une hypothèse tient la route car déduite d'un constat de terrain : les rendements et la production sont de plus en plus en fort recul, ces dernières années, alors que la demande en viande blanche augmente au rythme de la croissance démographique du pays.» Ce qui veut dire que le déséquilibre entre l'offre et la demande va encore perdurer dans l'attente de voir notre aviculture véritablement prise en main dans le but de rendre largement accessible la viande blanche aux ménages. D'ici là, il faudra espérer que la dernière mesure prise par le ministère de l'Agriculture de mettre sur le marché d'importantes quantités de poulet conditionné ne se limitera pas à la seule période de Ramadhan.