à 28 ans, Nourdine a déjà une dizaine d'années d'expérience dans le dur métier de la transformation artistique des métaux. Un métier qu'il a hérité «tout droit», comme il ironise, de son vieux père, aujourd'hui alité à force de traiter l'acier. Durant vingt ans, au Nord comme au Sud, son «vieux» avait travaillé ce métal avec la même aisance et technicité qu'ont les vieilles femmes kabyles à rouler le couscous. Né le 11 octobre 1980 à Beni Douala, Nourdine Gaya a très vite quitté les bancs de l'école. Dès la 9e année fondamentale et alors que ses pairs amorçaient l'insouciance de l'adolescence, lui avait déjà son avenir tout tracé. Il devait prendre la relève. Commencer à travailler pour nourrir dix bouches satellites. «J'ai bien fait de suivre une formation de dix-huit mois dans la menuiserie métallique dans l'atelier familial à Tizi ouzou», affirme-t-il avant d'ajouter : «Sans cela, je serais comme ces milliers de jeunes sans métier et sans travail et qui s'adonnent à la drogue, au vol et à l'alcool.» Ce constat, il le fait non sans un soupçon de fierté. «Moi, au moins, j'arrive à me faire un peu d'argent pour survivre…. Parce qu'en Algérie, on survit seulement», assène Nourdine. Sans aucune illusion, dénué de tout optimisme, il ne cache pas son désenchantement du lot des jeunes dans un pays «aussi riche et vaste que l'Algérie». Il ne manque pas de brosser un sombre tableau de son train-train de vie quotidien. Une routine destructrice. Il le pense et il affirme que tous les jeunes sont comme lui. Désespérés. «Il n' y a pas de vie pour les jeunes, en Algérie, sinon comment expliquer ces [caravanes] de harraga.» Le mal-vivre n'est pas propre aux chômeurs. «Les rares jeunes qui arrivent à trouver un boulot après des années de recherche sont sous-payés et exploités. Le secteur public c'est du pur esclavage, le salaire est plus que misérable et on ne peut même pas rouspéter de crainte d'être jeté à la porte», ajoute-t-il. La corruption, les passe-droits sont tant de maux qui accentuent le malaise. Ils minent les organismes en charge des dispositifs d'aide à l'emploi des jeunes, notamment pour la création d'entreprise économique. «La création d'entreprise est pleine d'obstacles. Si tu ne verses pas une chipa [bakchich] tu n'auras jamais ton accord bancaire. Je connais plein de jeunes dont les dossiers traînent dans les bureaux de banques depuis plusieurs années pour acquérir un fourgon ou de petites machines industrielles qui coûtent mille fois rien par rapport à ce que peut donner l'Etat à ses citoyens avec l'argent du pétrole. Il n y a ni soutien ni aide de l'Etat en direction des jeunes. Il faut avoir le bras long !», témoigne-t-il. A 28 ans, il sait déjà que «le chômage rend aveugle surtout avec l'âge» d'où la drogue, l'alcoolisme, la prostitution, les agressions, la violence et le vol qui se sont bien installés dans la société algérienne. Des exemples, il en connaît des tas et des tas. Quelques-unes de ses connaissances, des jeunes de son village, à Beni Aïssi ou à Tizi Ouzou, qui ont versé dans le banditisme après s'être trouvés devant des portes fermées et des horizons bouchés. Nourdine insiste pour dire que les graves émeutes qu'a vécues la Kabylie, de 2001 à 2004, et les mêmes scènes de contestation qui traversent toutes les autres régions du pays sont dues aux multiples formes de la hogra que vit le peuple, depuis des décennies, à commencer par le déni de la langue et de l'identité amazighes, le chômage malgré la belle rente pétrolière, les passe-droits, la corruption. En tant que jeune, il est impossible que Nourdine échappe à cette règle qui fait que tout un peuple est candidat à l'émigration régulière ou clandestine, le but étant d'aller vivre sa vie ailleurs que sous le toit ingrat et périlleux Algérie. Lui aussi rêve de partir. «Pour tout l'or du monde, je ne raterai l'occasion de me casser d'ici !» tranche-t-il. Pour lui, il est normal que des jeunes, hommes et femmes, risquent leur vie en mer pour atteindre l'autre rive de la Méditerranée ou payent des dizaines de millions de dinars pour se procurer le visa. «Chez nous, les jeunes n'ont pas le droit et ne peuvent pas avoir une vie privée. Ils sont tout le temps surveillés, quand ce n'est pas la police, ce sont les parents, la famille. On est devenus tous malades de cette situation. L'Algérie est comme un chemin sans issue pour nous les jeunes !» L. S.